Que vous inspire le débat sur la double nationalité ? Le Sénégal flirte-t-il avec la catastrophe ?
Ce débat engendre un mélange de choc, de gêne et d’inquiétude. Il est d’office aux antipodes de notre trajectoire historique qui met le Sénégal en osmose avec d’autres pays. Souvenons-nous de la brochette d’hommes qui ont beaucoup apporté au Sénégal et vis-à-vis desquels nous avons un devoir de mémoire sans restrictions ni retenues. Dans une liste volontairement écourtée, je mentionne Isaac Foster, Jean Collin, le Général Jean-Alfred Diallo, le Colonel Claude Mademba Sy, l’avocat Boissier Palum, l’ambassadeur Gabriel d’Arboussier et le Général Abdoulaye Soumaré. D’illustres Sénégalais dont les noms, les extractions et/ou les itinéraires mixent moult origines et quantité de nationalités. Dans cet ordre d’idées, je rappelle que les Sénégalais, au sortir de la colonisation, ont été d’abord des Maliens ; puisque le Soudan français et le Sénégal français ont accédé conjointement à l’indépendance, dans un cadre fédéral : la Fédération du Mali. C’est pourquoi, le premier contingent militaire envoyé au Congo, en 1960, avait arboré les couleurs du Mali. Du coup, le débat devrait alors porter sur un cocktail de nationalités et non sur la bi-nationalité. Bref, je suis partagé entre le « pleurer et le rire », titre d’un roman de Henri Lopès. Plus sérieusement, le comportement national est plus essentiel que le certificat de nationalité ; la posture nationale importe plus que le papier national. Le Maréchal Pétain et ses complices, Pierre Laval et Maurice Papon, étaient des Français. N’empêche, ils ont roulé pour Hitler. Et contre leur pays. Preuve que la haie juridique n’a jamais bloqué la propension à la trahison nationale. Cependant, il est indiscutable qu’un Président jouissant d’une seule nationalité ne connaitra aucun déchirement intérieur en cas de télescopage d’intérêts entre son pays et un autre.
Le Président de Rewmi, Idrissa Seck, a écrit aux Sénégalais pour partager ses craintes sur ce qu’il appelle « un débat malsain et dangereux ». Est-il dans son rôle ? Votre lecture…
A mon avis, le débat est traumatisant pour certains de nos compatriotes qui n’ont choisi ni leurs foyers de naissance ni leurs nationalités au pluriel ? Voilà une disposition qui heurte et traumatise les petits-fils et arrière- petits-fils de géants de la Nation comme Léopold Sédar Senghor, Jean Collin et le Général de gendarmerie Waily Faye. En effet, le patron de l’Inspection générale d’Etat, François Collin – issu de la famille du Président Senghor, de par sa mère – a épousé la fille du Général Waly Faye, une dame née d’une maman nigérienne. Un couple historiquement au cœur de la République dont les enfants de sang franco-sénégalo-nigériens seront fâcheusement et psychologiquement affectés par la disposition électorale et le pénible débat qu’elle alimente.
Justement, cette disposition prévue dans la mouture du code électoral envoyée à l’Assemblée nationale, exige des binationaux, le choix d’une nationalité, cinq ans avant le scrutin présidentiel. Est-ce une erreur ?
Vérité, en deçà des Pyrénées et erreur, au-delà des mêmes Pyrénées ! Je n’ai pas la réponse politiquement carrée et immédiate. En revanche, c’est l’expression d’une méconnaissance effarante de notre Histoire politique dans ses épisodes les plus retentissants. Voici une anecdote instructive pour Benoit Sambou et ses amis de la majorité. Maitre Lamine Guèye, Docteur en droit, leader de la SFIO et maire de Dakar, courroucé par une disposition du projet de Constitution de la Ve République, se précipita dans le bureau du Général De Gaulle et affronta « l’homme du 18 juin » en ces termes : « Mon Général, je suis contre l’une des dispositions qui lèse quelques uns de nos droits au sein de la Communauté franco-africaine en gestation. Elle est une hérésie, car moi Lamine Guèye, je suis français avant vous, mon Général. Voyons les dates ! Saint-Louis du Sénégal est française dès 1659, tandis que votre ville natale de Lille est englobée dans la France, à partir de 1667 ». Silence de Charles de Gaulle qui capitule. Voilà les lointains, courageux, prestigieux et visionnaires devanciers du Président Macky Sall.
Une telle loi ne cache-t-elle pas des calculs pouvant être fatals à quelques candidats redoutables ou redoutés ?
Moi, je suis républicain, jusqu’au bout des ongles. Donc respectueux de la Constitution votée par le peuple souverain. Elle est limpide. En résumé et en clair, le candidat à l’élection présidentielle doit être de nationalité exclusivement sénégalaise. Pas de place pour l’exégèse. C’est précis. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel passe toutes les candidatures au crible, au peigne fin. On n’a pas besoin de phrases qui véhiculent et fixent un délai de cinq ans. Bonjour l’arbitraire et le stratagème. Le Président en exercice Macky Sall ne manque pas d’atouts. A la belote, le joueur nanti de bonnes cartes, c’est-à-dire d’une somme d’atouts, doit bannir les règles hideuses et embellir le jeu. Ainsi, sa victoire éventuelle sera éclatante et immaculée.
Entretien réalisé par Mor Talla Gaye (L’OBSERVATEUR du 11 août 2016)