En même temps qu’elle modifiait son Code pénal, le Sénégal a renforcé et réorganisé ses services secrets pour faire face à la menace. Après le feu vert de l’Assemblée, le Président Macky Sall a pris un décret pour promulguer la loi qui vient à son heure. Libération a pu consulter le décret présidentiel.
«Chapitre premier. – Des activités des services de renseignement
Article premier. – Les services de renseignement ont pour mission commune la recherche, le recueil, l’exploitation et la mise à la disposition des autorités de décision des renseignements relatifs aux menaces contre la sécurité et les intérêts fondamentaux de la Nation.
Les besoins spécifiques et les priorités en matière de renseigne- ment sont précisés dans un plan national de renseignement (PNR).
Art. 2. – Les services de renseignement sont également chargés de la mise en œuvre des moyens spécifiques destinés à entraver les menaces visées à l’article premier ou à prévenir ou déjouer des activités d’ingérence dirigés contre les intérêts nationaux.
Art. 3. – Dans le cadre de la coopération internationale en matière de renseignement, les services de renseignement mettent en œuvre les engagements souscrits par l’Etat.
Art. 4.- En matière de terrorisme, de criminalité organisée ou de trafics internationaux, les services spéciaux de renseignement peu- vent procéder à des enquêtes judiciaires, ouvertes au moment le plus opportun, lorsqu’il résulte des renseignements et indices dont ils disposent une présomption de crime ou de délit.
Art. 5.– Les enquêtes visées à l’article 4 sont diligentées par des officiers et agents de police judiciaire regroupés au sein d’entités spécialisées des services. Elles sont conduites conformé- ment aux règles prévues par le Code de procédure pénale, sous réserve des dispositions spéciales prévues par la présente loi et éventuellement par d’autres textes législatifs.
Art. 6. – Les entités d’enquête des services spéciaux de renseignement peuvent être saisies par le procureur de la République, les services nationaux ou étrangers de recherche de renseignement ou par toute administration ou personne physique ou morale mettant à leur disposition des informations crédibles relatives à la préparation ou à la commission d’une infraction portant sur l’une des matières visées à l’article 4. En cas de risque encouru par un dénonciateur, elles prennent ou préconisent toutes mesures utiles à la protection de la personne de celui-ci et de ses intérêts menacés.
Art. 7. – Les entités d’enquête peu- vent exercer leur compétence sur l’étendue du territoire national dans les matières énumérées à l’article 4. Elles peuvent, dans ces matières et avec l’accord des autorités compétentes de l’Etat concerné, poursuivre leurs investigations à l’étranger récupérer et transférer au Sénégal tout suspect ou tout objet se rapportant à l’enquête.
Art. 8. – Les entités d’enquête peuvent, avec l’autorisation et sous le contrôle du procureur de la République compétent, recourir aux moyens d’investigation prévus à l’article 10. Les preuves régulièrement recueillies par ces moyens sont recevables en justice et sont laissées à l’appréciation des juridictions pénales compétentes.
Art. 9. – Pour l’exécution des missions qui leur sont assignées, les services de renseignement apprécient la consistance des moyens opérationnels à mettre en œuvre. Ils s’assurent cependant de la légalité des moyens employés et de leur proportionnalité à la gravité de chaque menace.
Art. 10. – Les services spéciaux de renseignement peuvent, lorsqu’ils disposent d’indices relatifs à l’une des menaces prévues à l’article 2 et en l’absence de tout autre moyen, recourir à des procédés techniques, intrusifs, de surveillance ou de localisation pour recueillir les renseignements utiles à la neutralisation de la menace.
Art. 11. – Les activités de renseigne- ment régulièrement menées ne doivent faire l’objet d’aucune entrave volontaire sur l’étendue du territoire national.
Requis en cas de besoin, les agents de la force publique, les autres services de l’Etat ainsi que les organismes privés compétents fournissent sans délai aux services de renseignement le concours nécessaire et observent le secret sur les opérations et investigations en cours.
Art. 12. – Les documents de renseignement émis par les services de renseignement sont protégés par le secret conformément à leur degré de classification. Ne peu- vent les détenir ou les connaître que les personnes habilitées à cet effet. La déclassification totale ou partielle d’un document peut être autorisée par décret si elle ne constitue pas une menace pour la sécurité nationale ou pour les personnels et les sources du renseignement.
Art. 13. – Par dérogation aux dispositions de la loi n° 70-14 du 6 février 1970, modifiée, fixant les règles d’applicabilité des lois, des actes administratifs à caractère règlementaire et des actes administratifs à caractère individuel, les lois et les actes administratifs à caractère règlementaire relatifs à l’organisation, au fonctionnement aux activités ou aux personnels des services de renseignement peuvent comporter une disposition autorisant leur non-publication ou leur publication partielle au Journal officiel. Le cas échéant, ces textes entrent en vigueur à la date expressément prévue ou à défaut, à compter de leur promulgation ou de leur signature.
Art. 14. – Les autorités administratives contrôlent la régularité et l’efficacité des activités des services de renseignement placés sous leur responsabilité. Elles veillent à l’exécution correcte des missions ainsi qu’à la réalisation des objectifs spécifiques pouvant être assignés par des directives ou plans de renseignement.
Art. 15. – L’Assemblée nationale peut, devant la Commission de la Défense et de la Sécurité, entendre le Premier ministre ou les ministres responsables de services de renseignement sur des questions relatives aux orientations générales de la politique de renseignement, à l’organisation et aux ressources des services de renseignement.
L’exercice du contrôle parlementaire ne doit toutefois pas entraîner une divulgation de secrets susceptible de compromettre la sécurité nationale, les intérêts diplomatiques stratégiques du pays, la sécurité des personnels et des sources du renseignement ainsi que l’efficacité des activités de renseignement.
– Chapitre II. – Des personnels des services de renseignement
Art. 16. – Les personnels des services de renseignement sont constitués par des fonctionnaires civils, militaires et paramilitaires et des agents non fonctionnaires de l’Etat. En cas de besoin, les services de renseignement peuvent recourir à des collaborateurs contractuels ou occasionnels ou faire appel à d’anciens personnels à la retraite et toujours aptes à servir pour compléter temporairement les effectifs.
Art. 17. – Les personnels sont sélectionnés en raison de leurs compétences et aptitudes particulières ainsi que des garanties de loyauté et de discrétion qu’ils présentent.
Art. 18. – Sous réserve des dispositions spéciales prévues par la pré- sente loi et l’adoption de statuts spéciaux applicables aux personnels de certains services de renseignement, les fonctionnaires et les agents non fonctionnaires de l’Etat détachés ou mis à la disposition des services de renseigne- ment restent régis par leur statut d’origine.
Art. 19. – Un centre de formation des personnels des services de renseignement assure la formation initiale et continue des personnels du renseignement. Les règles d’organisation et de fonctionnement dudit centre sont fixées par décret.
Art. 20. – les personnels des services de renseignement doivent avant leur entrée en fonction, dis- poser d’une habilitation pour connaître des informations protégées.
Ils s’engagent à garder le secret, même après la cessation de leurs fonctions, sur les activités de renseignement et sur les in- formations classifiées connues dans l’exercice de ces fonctions.
Art. 21. – En dehors des cas relevant de l’exercice de leurs missions, il est interdit aux personnels des services de renseignement d’adhérer à un parti politique, de participer à des manifestations politiques ou à toute activité dont la nature est incompatible avec la réserve et la discrétion que leur imposent leurs fonctions, de se constituer en syndicat, d’adhérer à des organisations syndicales et d’exercer le droit de grève.
Art. 22. – L’identité des personnels des services de renseigne- ment est protégée contre toute forme de divulgation. Les services compétents de l’Etat fournissent à ces personnels les documents administratifs nécessaires pour leur procurer les identités d’emprunt. La délivrance de ces documents est enregistrée sur des registres et fichiers spéciaux protégés par le secret. Les personnels peuvent, lors de certaines opérations, utiliser des équipements pour dissimuler leurs visages.
Art. 23. – L’identité de certains personnels notamment celle des chefs des différents services de renseignement peut toutefois ne pas être protégée lorsque la publicité n’est pas de nature à compromettre leur sécurité ou l’efficacité des activités de leurs services.
Art. 24. – Les déplacements à l’étranger des personnels des services de renseignement en mission peuvent ne faire l’objet d’aucune mention sur les passeports ni d’enregistrement par les services chargés du contrôle aux frontières. Il en est de même des déplacements au Sénégal effectués par les agents des services étrangers dans le cadre de leur coopération avec les services nationaux de renseignement.
Art. 25. – Les services de renseignement veillent à la protection de leurs personnels. Les personnels des services spéciaux exposés à des risques contre leur intégrité physique peuvent être autorisés à détenir et porter des armes fournis par leurs services.
Chapitre III. – Des dispositions pénales
Art. 26. – Les personnes concourant à l’établissement des identités d’emprunt des personnels des services de renseignement ainsi que ces derniers lorsqu’ils en font usage, sont exonérées de toute responsabilité pénale du fait des différents actes accomplis ou exécutés dans ce cadre.
Art. 27. – Toutefois, les infractions commises par les personnels des services de renseignement dans l’exercice de leurs fonctions relèvent de leur responsabilité pénale personnelle.
La réparation des dommages causés aux tiers incombe toutefois à l’Etat
Art. 28. – Sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100.000 à 1.000.000 de francs, quiconque aura volontairement révélé des informations, images, enregistrements ou des indices de toute nature permettant de découvrir, soit l’identité protégée d’un agent d’un service de renseignement, soit l’identité d’une source humaine du renseignement.
Sera également puni des mêmes peines, quiconque se sera abstenu de dénoncer aux services de sécurité une menace contre la sécurité nationale dont il a eu connaissance.
Si l’auteur de la révélation visée à l’alinéa premier du présent article est un membre d’un service de renseignement ou si la révélation a entraîné une atteinte physique, tentée ou consommée sur l’agent, la source humaine ou leurs proches, les peines prévues ci-dessus seront portées au double.
Art. 29. – Les peines prévues par l’alinéa 2 de l’article 28 seront encourues lorsque le refus ou l’abstention a entraîné la réalisation d’une menace contre la sécurité nationale.
Art. 30. – Sera puni des peines pré- vues à l’alinéa premier de l’article 29, tout responsable ou agent quelconque d’un service de renseignement qui aura ordonné, autorisé ou procédé à la mise en œuvre d’activités de renseignement contre toute personne physique ou morale pour des objectifs autres que ceux qui sont prévus par la loi.
Sera également puni des mêmes peines, quiconque aura ordonné, autorisé ou procédé illégalement à la mise en œuvre d’activités de renseignement contre toute per- sonne physique ou morale.
Art. 31. – Lorsque dans une procédure pénale, la déposition en qua- lité de témoin d’un agent d’un service de renseignement dont l’identité est protégée est requise sur des faits dont il aurait eu connaissance dans l’exercice d’une mission, cette identité ainsi que les fonctions de l’agent ne sont pas révélées. La déposition est reçue dans des conditions garantissant l’anonymat et attestée par une autorité hiérarchique dont l’identité n’est pas protégée. En cas de confrontation ou de déposition à l’audience, l’audition peut avoir lieu à distance et à l’aide d’un dispositif empêchant l’identification de la voix. »