le Mercredi 10 Août 2016
Cher compatriote,
Je suis exclusivement de nationalité sénégalaise. Cependant, je trouve le débat installé par le régime APR sur la nationalité malsain et dangereux parce que source de déchirures et de discriminations pour notre jeune nation.
Comment expliquer à nos compatriotes nés à Mantes-la-Jolie, aux Mureaux ou à Marseille et qui ont la nationalité française, qu’ils sont, au Sénégal, des citoyens de second rang ? Comment dire à nos compatriotes nés de parents sénégalais et étranger (français, belge, ou libanais par exemple), fait pour lequel ils n’ont au demeurant aucune responsabilité, qu’ils sont quand même des citoyens n’ayant pas les mêmes droits que les autres ? Comment expliquer au compatriote émigré en Italie, en Espagne ou aux États-Unis que son fils et sa fille nés la-bas sont moins sénégalais que lui? Ils doivent payer des impôts comme les autres, accepter de mourir pour le pays comme soldat, lui apporter la gloire d’une médaille olympique ou l’enrichir par leur génie créateur. En contrepartie, ils ne devraient avoir droit qu’à une citoyenneté partielle ou de seconde zone.
Je m’élève énergiquement contre cette absence de vision, cette nouvelle erreur de Macky Sall qui n’obéit qu’à des calculs politiciens et qui est porteuse de dangers pour notre nation.
On a vu ce que de tels débats sur la nationalité ont provoqué comme dégâts ailleurs. Évitons-les chez nous. Je ne crois pas que le port d’une autre nationalité rende un Sénégalais moins patriote qu’un autre. Je ne crois pas qu’il le rende moins apte à servir son pays, même au plus haut niveau de responsabilités ! Du reste, il n’a jamais été démontré nulle part qu’un citoyen, parce qu’il est bi-national, serait incapable de porter les aspirations légitimes et de défendre, en conséquence, les intérêts de son peuple qui l’aurait choisi pour exercer les charges suprêmes.
Au pays de Senghor, où même avant l’indépendance, on débattait déjà de civilisation de l’Universel, au moment où l’Unesco parle de citoyenneté mondiale dans tous ses projets éducatifs, il est un recul notoire d’agiter la très sensible fibre populiste autour d’une question de nationalité qui a embrasé d’autres pays. Ce n’est ni opportun dans le contexte actuel de la sous-région encore moins salutaire pour l’image d’un pays toujours considéré comme un creuset d’apports divers et d’héritages enrichissants.
La mondialisation, avec la densification des mouvements de population qu’elle implique, met les Etats en compétition pour accéder à une expertise et à des compétences qui, de plus en plus, portent plus qu’une seule nationalité. En adoptant une telle réforme, le Sénégal décide de se mettre hors de cette compétition qui, aujourd’hui, détermine plus que tout la prospérité des nations.
Le sens de l’histoire promeut la citoyenneté universelle, le bannissement des frontières, l’intégration sous-régionale puis continentale. L’unité africaine dont l’aboutissement serait l’unité de passeport de Casablanca à Johannesburg est inscrite dans notre Constitution. Que signifierait-elle si cette réformette politicienne de l’APR était adoptée ?
Le temps est venu de sortir de ces calculs politiciens, court-termistes, destinés à éliminer des adversaires gênants pour se concentrer sur l’essentiel: construire ou au moins consolider l’unité nationale en chassant de notre vocabulaire et de notre droit positif toute source de discrimination entre nos citoyens.
Soyons et restons tous d’égale dignité. Pinçons tous nos koras et frappons ensemble le balafon national. Restons ce « lion rouge » qui rugit et veille constamment à l’intérêt supérieur de notre pays. Pas celui qui dort!!! »
Idrissa Seck
Ancien Premier Ministre
Président du Conseil départemental de Thiès
Président du Parti Rewmi