THURSDAY, 21 JANUARY 2016
Faire confiance aux professionnels pour éviter les effondrements de bâtiments. C’est ce que recommande Fodé Diop, président de l’Ordre des architectes du Sénégal. Dans cet entretien, M. Diop est revenu sur les missions de l’Ordre, non sans faire le plaidoyer pour la réouverture de l’école d’architecture de Dakar. Il n’a pas manqué de demander aux Sénégalais de faire recours aux architectes.
Pourquoi un Ordre des architectes du Sénégal ? Quelle est sa mission ?
L’Ordre des architectes du Sénégal est un établissement public à caractère professionnel doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière. Il organise la profession. C’est un démembrement de l’Etat rattaché au ministère du Renouveau urbain, de l’Habitat et du Cadre de vie. Généralement, les populations et mêmes certaines autorités ne comprennent pas que l’Ordre est un démembrement de l’Etat à qui ce dernier a délégué l’organisation et la moralisation de l’exerce de la profession d’architecte. Nos membres sont assujettis à un code de déontologie qui règle aussi les relations entre confrères. L’Ordre a une mission de service et d’utilité publique.
En quelle année l’Ordre a-t-il été créé ?
Les premières inscriptions d’architectes sénégalais à l’Ordre remontent à 1973, mais la loi sur l’architecture date de 1978. Actuellement, il y a 217 membres inscrits au tableau de l’Ordre.
Quelles sont les conditions à remplir pour être membre de l’Ordre ?
Pour faire partie de l’Ordre, puisque nous avons plusieurs catégories, il faut d’abord être de nationalité sénégalaise et être titulaire d’un diplôme d’architecte reconnu par l’Etat, le Cames et l’Ordre des architectes. Dans le temps, il y a eu des architectes agréés. Ce sont des professionnels qui, après un certain nombre d’années, avaient fait la demande. A l’époque, cela se justifiait car il n’y avait pas beaucoup d’architectes au Sénégal. Quand vous regardez le tableau de l’Ordre, ce n’est qu’à partir de 1979 que les premiers architectes diplômés de l’école d’architecture et d’urbanisme de Dakar ont commencé à être inscrits à l’Ordre. Les premiers Sénégalais inscrits à l’Ordre datent 1973. C’est donc une profession jeune au Sénégal.
Pouvez-vous revenir sur les différentes catégories de membres ?
Il y a des architectes qui exercent à titre libéral, des salariés ou d’associés d’un architecte ou d’une société d’architecture, des architectes fonctionnaires ou contractuels des services publics et des architectes exerçant exclusivement leurs activités pour le compte de l’Etat ou des collectivités. Nous avons maintenant une catégorie de stagiaires suite à la directive de l’Uemoa qui impose un stage aux nouveaux diplômés. Ces derniers doivent faire 24 mois de stage pour s’inscrire au tableau de l’Ordre. Il y a également des architectes qui sont inscrits à titre honorifique.
Avec la Directive de l’Uemoa favorisant la libre circulation des biens et des personnes, nous avons maintenant une nouvelle catégorie pour les architectes ressortissants de l’Union qui font la demande.
Vous vous occupez de la construction. Malgré l’existence de l’Ordre, il y a fréquemment d’effondrements de bâtiments. A quoi cela est-il dû ?
Il faut nuancer, un architecte ne doit pas construire, il conçoit. Est-ce qu’il y a eu des bâtiments conçus dans les règles de l’art par des architectes et qui se sont effondrés ? Est-ce que les bâtiments qui ont suivi toutes les règles et procédures de construction normale, c’est-à-dire avoir recours aux architectes, aux bureaux d’études techniques, les études de sol, faire valider les plans et les éléments de construction par des bureaux de contrôle sont concernés ? Existe-t-il un bâtiment qui remplit toutes ces conditions et qui s’est effondré ? Généralement, pour les bâtiments qui se sont effondrés, il n’y a pas eu de professionnels qui sont intervenus. La raison est simple. Depuis que l’Etat du Sénégal a mis en place l’Inspection générale des bâtiments qui vérifie la conformité des documents d’exécution dans les chantiers, on assiste, de moins en moins, à des effondrements de bâtiments ; puisque le recours à l’architecte est obligatoire. Mais il y a des dispositions réglementaires qui ont permis de faire des dérogations.
Les professionnels du bâtiment existent, ce sont les architectes, les ingénieurs en génie civil, les bureaux de contrôle, les bureaux d’études techniques. Si l’on fait recours à eux, on a moins de problèmes. C’est comme si vous allez dans un hôpital quand vous êtes malade. Toute personne en blouse blanche n’est pas médecin. C’est la même chose dans le bâtiment. Il y a beaucoup de gens qui gravitent autour de l’acte de bâtir. Ils se prévalent de titre et de compétences qu’ils n’ont pas et qui font de l’exercice illégal. Ils créent beaucoup de dégâts.
Vous voulez dire que si l’on associe les professionnels à la construction, il y aura moins d’effondrements de bâtiments ?
Normalement oui. Mais il y a quand même la volonté divine. Mais je crois que si l’on associe et l’on utilise bien les professionnels et que toutes les procédures sont respectées, en principe, un bâtiment ne devrait pas s’effondrer.
Que préconisez-vous pour éviter les effondrements de bâtiments ?
Qu’on laisse les professionnels faire le métier qu’ils ont bien appris. Un architecte, quand même, c’est quelqu’un qui a fait des études très poussées. A notre époque, il fallait faire un bac plus 6 et soutenir une thèse. Aujourd’hui, avec le système Lmd, les jeunes font un bac plus 5 avec deux années de stage. Nous sommes bien formés.
L’Etat a lancé beaucoup de projets immobiliers. L’Ordre est-il impliqué dans leur mise en œuvre ?
On ne peut pas dire que l’Ordre n’est pas associé puisqu’il est membre du conseil d’orientation du Pôle urbain de Diamniadio. Certes, cela ne suffit pas. Il y a beaucoup de projets. C’est pourquoi, lors d’une conférence de presse, nous avions demandé qu’on implique davantage l’expertise locale. Notre pays doit être construit par nous-mêmes.
Plaidez-vous pour qu’on fasse confiance à l’expertise locale ?
Il faut faire confiance à l’expertise locale qui se vend très bien à l’étranger. En Afrique et partout dans le monde, il n’y a pas un domaine où vous ne rencontrez pas d’experts sénégalais de haut niveau.
Quelle est votre contribution dans la mise en œuvre du Pôle urbain ?
Nous aimerions bien être associés en tant que service public pour servir de conseil à l’Etat. Individuellement, il y a des architectes qui interviennent. Mais en tant qu’Ordre, on ne nous a pas demandé de désigner ou de participer à la désignation d’architectes qui interviennent sur le Pôle urbain. L’Ordre des architectes est le premier conseiller de l’Etat d’autant plus qu’aujourd’hui, il n’y a presque plus d’architecte dans la fonction publique. Il faut que les architectes inscrits à l’Ordre soient impliqués dans la mise en œuvre du Plan Sénégal émergent (Pse) et des nombreux projets de l’Etat. Il faut que l’Etat procède à la réouverture de l’école d’architecture et d’urbanisme d’où sont sortis une grande partie des architectes et urbanistes du Sénégal. Elle a été fermée depuis 1992. L’architecture est quand même une expression de la culture.
Nous n’avons aucun complexe à l’international quand nous rencontrons nos confrères et participons à des projets. Notre souhait le plus ardent, c’est sa réouverture. Actuellement, pour la formation, il y a l’école communautaire qui se trouve à Lomé au Togo, supportée par l’Uemoa et la Cemac. Il y a également d’autres initiatives.
Les Sénégalais ne font pas souvent recours aux architectes. Cela est dû à quoi ?
Je pense que cela est dû à un manque de connaissance de la profession de l’architecte. L’architecte est utile à tous les niveaux. Dans beaucoup de pays, dans chaque ministère et collectivité locale, on retrouve un architecte. Un architecte peut être à tous les niveaux. C’est d’abord un conseiller. Au Sénégal, les gens n’ont pas la culture architecturale. Si l’architecture était enseignée à l’école primaire comme un art, les enfants allaient mieux la comprendre et se l’approprier. Si l’on ne fait pas recours à l’architecte, c’est qu’on ne le connaît pas. L’argument souvent utilisé, est que les services de l’architecte coûtent cher. Les architectes sont-ils plus chers que les autres professions réglementées comme celles des avocats, des notaires, des experts comptables ?
Ce n’est pas cher ?
Ne pas faire recours à un architecte peut être plus cher. Parce que quand on construit et que le bâtiment s’effondre, c’est plus cher que les honoraires qu’on avait voulu éviter de payer au professionnel.
Aujourd’hui, nous nous battons pour que le droit à l’architecture pour tous soit une réalité. L’accès aux services de l’architecte doit être facilité par les autorités. Dans nos textes, il existe la possibilité d’apporter de l’assistance architecturale aux populations qui n’ont pas les moyens de se payer les services d’un architecte. C’est pourtant bien défini dans la loi. Nous avons ouvert un espace citoyen avec l’Adie à l’Ordre pour que les populations puissent se rapprocher de notre service. Ils peuvent y demander un conseil et voir comment nous pouvons les assister. Nous avons organisé un atelier avec les élus locaux pour les sensibiliser sur la nécessité d’encourager les populations à avoir recours aux professionnels. Nous avons organisé des journées portes ouvertes. Nous faisons toutes les démarches possibles pour que l’architecture soit connue par tous et accessible à tous.
Que comptez-vous faire pour inverser la tendance ?
Chaque année, à l’instar de l’assistance judiciaire, il y a un budget qui est voté pour l’assistance architecturale. Nous demandons que ce budget soit mis à notre disposition pour que nous puissions en faire bénéficier les populations dans l’assistance architecturale. Notre siège est équipé pour apporter toute l’assistance nécessaire aux populations éligibles qui ne peuvent pas payer les services d’un architecte.
Quand la Bhs a lancé son Pack 35, nous avons dit, de la même manière que les notaires ont décidé d’apporter leur pierre à l’édifice pour promouvoir l’habitat au Pôle urbain, en tant qu’architectes, nous sommes également prêts à accompagner la politique de développement du logement social du gouvernement.
En faisant quoi ?
Nous invitons l’Association des promoteurs immobiliers, la Délégation générale des pôles urbains de Diamniadio et du Lac rose (Dgpu) et la Bhs à s’asseoir avec nous autour d’une table, pour voir peut-être la possibilité de faire un forfait.
Aujourd’hui, nous sommes en train de travailler sur la révision des textes de l’Ordre. Le barème de l’ordre date de 1978. Depuis lors, il n’a jamais évolué. Le taux qui était appliqué en 1978 pour un projet d’un million de Francs, l’est encore aujourd’hui, alors que le barème est dégressif. Ce qui veut dire qu’en réalité, les honoraires d’architectes ont diminué. Puisque la référence, c’est 1978, dans la première tranche, c’est entre 12,5% et 8,5%, selon les types de bâtiments. Plus le budget augmente, plus le taux des honoraires baisse. Mais vous êtes d’accord que vous ne pouvez plus faire la même construction avec le budget de 1978. En 1978, il n’y avait que deux ou trois architectes sénégalais. Le barème n’a jamais changé depuis la loi de 1977. Dans la réalité, le barème a même baissé.
Dans les programmes d’habitat de la Bhs, l’Ordre avait fait des efforts. Aujourd’hui, les projets d’habitat initiés par les promoteurs et financés par la Bhs coûtent environ 4% d’honoraires pour les études et la direction d’exécution.
Propos recueillis par Aliou KAND