La posture est républicaine mais la parole est tactique. Le Président Macky Sall a bien ajusté son manteau républicain sur son buste de caméléon parmi les nombreux caméléons de la camarilla politique. L’épilogue juridique de la promesse électorale de 2012 (la réduction différée de son mandat) est un chef d’œuvre de leurre légalement parfait. Donc irréprochable sous l’angle institutionnel. Gardien farouche de la Constitution, le chef de l’Etat est, aussi, un habile boulanger de l’échiquier politique qui a l’art de rouler ses adversaires dans la farine. Après le boulanger d’Abidjan (Laurent Gbagbo) qui a roulé beaucoup de gens dans la farine – et roulé Robert Gueï dans le sang – la palme des super-boulangers en politique revient au Président de l’APR, Macky Sall.
Moins la frénésie et la fureur, l’analyse de l’évènement devient aisée. Trois voire quatre terrains sont en bordure sans être imbriqués. Dans le champ des principes, il est contre-indiqué de tailler ou de retailler le mandat tant au plan du nombre qu’à celui de la durée. Que les motivations soient fondées, fantaisistes ou manœuvrières, rendons le mandat intangible ! L’essor et le salut du pays y gagneront en densité et en pérennité. Dès que le mandat tangue, le pays entame son vol plané, tel un gros épervier touché par les chevrotines d’un chasseur adroit. Heureusement que le Sénégal possède des reins institutionnels infiniment plus solides et, surtout, des soupapes démocratiques autrement mieux accrochées que celles du Burkina et du Burundi. Toutefois, la leçon est à retenir.
Au chapitre du Droit – et par extension de la République – Macky Sall est s’est assis à califourchon sur l’orthodoxie républicaine. Aucune esquisse de violation de la Constitution n’est opérée. La Loi-Fondamentale lui demande de solliciter l’avis du Conseil constitutionnel. Il l’a fait et en a reçu un avis qui, à mon avis, n’est pas contraignant. Tout le reste relève d’un juridisme fumeux ou d’une sémantique fluctuante qui baptise l’avis en décision et/ou en arrêt. A ce propos, la flexibilité des avis rappelle l’incassable tige de bambou. En effet, un avis est flasque quand il est donné par le Groupe de travail de l’ONU, en direction de Karim Wade ; mais demeure rigide lorsqu’il est servi à Macky Sall, par le Conseil constitutionnel. Qu’on ne brandisse surtout pas la souveraineté du Sénégal qui est innervée par des faisceaux de conventions et de traités internationaux de nature à enrayer toutes les crispations ultranationalistes ! Bref, le débat autour des avis conformes et des avis consultatifs doit être nourri par des arguments étincelants de bonne foi. Faute de quoi, il sera sans fin.
Bien entendu, la vivacité de la controverse ne dégrade point le Conseil constitutionnel qui n’est pas un « machin ». Bien au contraire, il est une juridiction saillante dans le panorama juridictionnel au sein duquel des missions névralgiques lui sont assignées. Au Sénégal, le Conseil constitutionnel valide le serment du Président de la république, reçoit sa déclaration de patrimoine, apprécie la régularité des élections (la présidentielle et les législatives) et donne un avis sur la ratification des traités internationaux etc. Sur ce dernier point, son jumeau français fait le même travail. En 1992, le référendum et la ratification du Traité de Maastricht avaient buté sur l’avis du Conseil constitutionnel soulignant l’impossibilité pour la France de souscrire à un abandon de souveraineté, sans un gros amendement ou une substantielle réforme de la Constitution de la Cinquième République. L’Elysée et Matignon en prirent acte et firent le nécessaire. Ici comme ailleurs, il est habituel, il est normal, il est idéal et il est sain que les Pouvoirs publics respectent – ne serait-ce que par discipline républicaine – les avis du Conseil constitutionnel. Bien qu’un avis reste une « soft law » c’est-à-dire une recommandation souple.
Au demeurant, aucune loi n’empêche le Président de la république d’interroger directement le peuple (souverain et première source de Droit) par voie référendaire, en portant à sa connaissance, le libellé des questions. Le peuple (souverain) au nom duquel la justice est distribuée ; le peuple (souverain) au nom duquel le Droit est dit ; le peuple (souverain) qui catapulte électoralement le Président au sommet de l’Exécutif national ; le peuple (souverain) qui élit et mandate les députés ; le peuple (souverain) peut – par sa volonté et son choix – tout couvrir et tout entériner : l’imposture, le despotisme et l’illégalité. En un mot, le peuple consulté peut, dans les urnes et par les urnes, balayer proprement la non-rétroactivité de la loi. Hypothèse peu souhaitée mais bien concevable et très plausible. En clair, le peuple (souverain) est toujours là, pour démêler les écheveaux politico-juridiques qui assaillent le pays.
Puisque l’ambassadeur de France, Jean-Félix Paganon a donné son avis sur l’avis de notre Conseil constitutionnel, je lui rappelle que Charles de Gaulle avait, en 1962, soumis directement au peuple français, un projet de loi constitutionnelle instituant l’élection du Président de la république au suffrage universel. Ce fut la mise à mort de la Quatrième République. L’initiative rencontra les réserves du Conseil constitutionnel et la colère homérique du Sénat et de son Président Gaston Monnerville. Mais De Gaulle n’en eut cure et fonça. Il y a quelques jours, le Premier ministre Manuel Valls a ignoré royalement l’avis du Conseil constitutionnel puis banalisé la démission de son ministre de la Justice, Christiane Taubira, en allant défendre devant le Parlement, son fameux projet de loi sur la déchéance des binationaux coupables d’actes de terrorisme sur le sol français. Projet voté, il est vrai, dans sa version édulcorée (donc revue et corrigée) par rapport à la mouture originelle.
En résumé, la démarche de Macky Sall est légalement au-dessus de toute critique. En revanche, sur le triple terrain (politique, psychologique et moral) le tardif choix dévoilé par le chef de l’Etat cristallise une somme de soupçons et une kyrielle de récriminations. Sur le plan psychologique, l’opinion est choquée par le retard injustifiable à l’allumage. Le proverbe est éloquent à cet égard : « La poule condamnée à pondre avant la tombée de la nuit, doit expulser l’œuf en pleine après-midi ». Moralité : Macky Sall a joué abusivement avec les nerfs du peuple. Sur le terrain moral, les reproches sont presque irrecevables, car chacun sait que le mariage entre la politique et la morale n’a jamais été scellé ; tant le couple est peu soudé, et par conséquent, fait mauvais ménage sous tous les cieux. Cependant le Président de la république a gravement manqué de prudence dans une aire culture (l’espace ouest-africain) où la civilisation et le culte de la PAROLE supplantent largement la culture du document et de la signature. La parole dite KUMA en dioula (terme générique désignant les Bambaras, les Mandingues et les Malinkés) est sacrée. Lire le livre de l’ancien ministre de la Culture, Makhily Gassama, intitulé précisément : KUMA. Prononcez : KOUMA !
Dans ce contexte post-avis et pré-référendaire, le volet politique est évidemment le réceptacle de tous les dépits, de tous les coups de gueule, de toutes les chausse-trapes et de toutes les ripostes que la démocratie autorise. Visiblement, la déception est née du destin très éloigné (2019) que les « Cinq Sages » et Macky Sall ont conjointement réservé au mandat considéré, à tort ou à raison, comme le navire-amiral de l’escadre lourde des quinze points de la réforme constitutionnelle. Du coup, le référendum du 20 mars prochain aura un objet politiquement dévalué et un coût financièrement exorbitant. Un désenchantement populaire qui, dans un système démocratique, ne suscite pas une insurrection ou une révolution, mais favorise un ouragan dans les urnes. Un typhon porteur de message à décoder. C’est probablement pour conjurer une telle perspective que le Président Sall, très en éveil, a entamé des consultations tous azimuts. La porte de son bureau n’a jamais été aussi largement ouverte pour les visiteurs venus de tous les horizons.
Loin de tout flirt avec les Cassandres, il est loisible de dire que le référendum installe le pays (de façon simultanée) à la croisée des choix et au carrefour des complications. Si les partisans du OUI l’emportent, la réforme passera la rampe, mais on sera constitutionnellement et juridiquement dans la gadoue, car la non-rétroactivité de la loi laissera intact le présent septennat de Macky Sall ; tandis que la même loi – censée être non-rétroactive – sera rétroactivement appliquée à la limitation du nombre de mandats, à travers la comptabilisation de la séquence 2012-2019. Par la magie d’une disposition transitoire, dérogatoire et…bricolée La même cause (l’avis du Conseil constitutionnel) produit ici deux effets différents. Quel potentiel embrouillamini !
Si les partisans du NON et le camp de l’ABSTENTION triomphent, la légitimité du Président de la république sera déchiquetée. Nos institutions seront précaires, à l’intérieur, et notre influence se rétrécira, à l’extérieur. Avertissement de Françoise Giroud, journaliste puis ministre de Giscard d’Estaing : « Dans un référendum, les gens ne répondent jamais à la question qu’on leur pose. Ils donnent leur adhésion ou la refusent à celui qui la pose ».