Brandissant la Constitution brésilienne, Aecio Néves, le président du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), principal parti de l’opposition, ne cache pas sa satisfaction. Ce mardi 29 mars, à Brasilia, le candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2014, suspecté de corruption, ne donnait plus aucune chance de survie à sa rivale du Parti des travailleurs (PT, gauche).
La présidente du Brésil vient de perdre son principal allié au sein de la coalition gouvernementale. Le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB,centre), dont le sort était lié à celui du PT, a abandonné un gouvernement quasi moribond, espérant sauver son image et son pouvoir. Il aura fallu à peine trois minutes pour que la décision des députés centristes soit adoptée. La plupart des ministres PMDB du gouvernement devraient présenter leur démission, à l’instar de Henrique Eduardo Alves, chargé du tourisme.
Le départ du PMDB signifie aussi son appui à la procédure de destitution (« impeachment ») lancée au mois de décembre 2015, et dont une commission parlementaire examine la pertinence en évaluant si la présidente s’est rendue coupable, ou non, d’un « crime de responsabilité ». On reproche à Dilma Rousseff d’avoir eu recours à un « pédalage budgétaire » permettant deminimiser les dépenses d’une année en les reportant sur une autre par le biais d’emprunts publics. Elle est également suspectée depuis peu d’avoir fait obstruction à la justice en nommant au gouvernement son mentor, l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010), soupçonné, lui aussi, de corruption.
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La chasse aux députés indécis
La commission parlementaire devrait rendre son avis le 14 avril. Si elle approuve le dispositif, sa décision sera alors soumise à un vote des députés. Si les deux tiers – soit 342 députés – avalisent le jugement de la commission, Dilma Rousseff sera éloignée du pouvoir quelques mois, remplacée par son vice-président Michel Temer (PMDB) jusqu’à un vote final du Sénat probablement en octobre, soit deux mois après les Jeux olympiques de Rio. Le PT a besoin d’au moins 171 votes pour arrêter cette machine infernale. Moins d’une centaine lui sont acquis. Affolé, le parti s’est lancé dans une chasse aux députés indécis.
Pour les convaincre, la présidente, Lula et les défenseurs du PT invoquent la sauvegarde de la jeune démocratie brésilienne contre un « impeachment » aux allures de « coup d’Etat ». Les ennemis du PT, disent-ils, cherchent à éloignerMme Rousseff du pouvoir sous des prétextes fallacieux au mépris du droit constitutionnel. « Une rhétorique désespérée qui témoigne du manque de ressources du PT », estime Marco Antonio Carvalho Teixeira, politologue à la Fondation Getulio Vargas à Sao Paulo. « Un terme inacceptable », s’étouffe Carlos Siqueira, le président du Parti socialiste brésilien (PSB, gauche), dans l’opposition. « Le PT ferait mieux de dépenser son énergie à se défendre des accusations plutôt qu’à parler de coup d’Etat. Notre seule arme, c’est la Constitution », attaque encore Aecio Néves.
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Le « crime » de Dilma Rousseff reste à prouver. Et, de fait, la destitution obéit à une logique politique. Les députés ne peuvent rester insensibles à la pression de l’opinion publique. La rue gronde, exaspérée par les scandales de corruption et par la gestion de la crise, quand les milieux d’affaires voient dans la destitution de la présidente la seule façon de redresser une situation économique désastreuse. A quelques mois des élections municipales, les responsables politiques savent que soutenir le PT et une présidente haïe coûterait cher dans les urnes. « Aucun parti ne sera assez suicidaire », souffle une source à Brasilia.
Reste une inconnue : l’après. La destitution peut-elle suffire à contenter une opinion atterrée par ses élites ? L’opération « Lava Jato » (« lavage express »), qui a mis au jour le scandale tentaculaire des appels d’offres truqués du groupe pétrolier Petrobras et des géants du BTP, impliquant des hommes d’affaires et des dirigeants politiques, ne cible pas uniquement le PT.
« Il y a urgence »
Les Brésiliens retiendront ainsi que la présidente a été démise par une procédure lancée par le président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha (PMDB), lui-même accusé de corruption et blanchiment d’argent ; qu’elle fut examinée par une commission parlementaire dont la plupart des membres ont reçu de l’argent d’entreprises du BTP ; que Michel Temer, qui pourrait être leur prochain chef d’Etat, est suspecté d’avoir bénéficié de financements illégaux lors de la dernière campagne présidentielle, et discute de l’avenir du Brésil avec Aecio Néves, cité, lui aussi, dans l’enquête « Lava Jato ».
Lors des dernières grandes manifestations du 13 mars réclamant le départ immédiat de « Dilma », la foule s’est bien gardée d’adouber un remplaçant idéal de la présidente honnie. Aecio Néves, qui s’était aventuré sur l’avenue Paulista, la grande artère de Sao Paulo, durant la mobilisation, n’a récolté que des sifflets. Le seul héros des manifestants porte le nom de Sergio Moro, le magistrat qui instruit l’opération « Lava Jato », chargé d’en finir avec l’impunité.
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Aecio Néves le reconnaît : organiser une nouvelle élection serait préférable. Si le Tribunal supérieur électoral juge que les comptes de campagnes de Dilma Rousseff et de son coéquipier Michel Temer font apparaître des financements illégaux, un nouveau scrutin pourrait être organisé. Mais le Brésil ne peutattendre ce verdict : « Il y a urgence », argue M. Néves.
- Temer a-t-il seulement la carrure d’un sauveur ? A moins qu’il soit à son tour rattrapé par les affaires, il devra seconstruire une légitimité, rassurer les classes populaires sans effrayer la bourgeoisie et les milieux d’affaires, défendre les programmes sociaux tout en assurant l’équilibre budgétaire – une prouesse. En cas de destitution, celui que les Brésiliens surnomment parfois« Monsieur 1 % », tant son résultat dans les derniers sondages électoraux est faible, aura aussi, et surtout, la charge délicate de ramener la paix sociale dans un pays animé par la colère et la peur.
- Temer a déjà contre lui un PT entré en guerre et sonarmée de fidèles. Le parti mobilise ses soutiens parmi les militants, les artistes et les intellectuels pour contrer le « golpe » (coup d’Etat). Un nouvel appel à manifester a été lancé pour le 31 mars.
Claire Gatinois (Brasilia, envoyée spéciale)