Alors que Vladimir Poutine s’apprête à se doter d’une garde nationale aux effectifs et aux pouvoirs très étendus, la mainmise du président russe sur le pouvoir n’a jamais semblé aussi forte, à quelques mois d’élections législatives très attendues.
La Russie, c’est lui ?
Publié le 13 Avril 2016
Atlantico : Récemment, Vladimir Poutine a soumis une loi au Parlement russe prévoyant la création d’une garde nationale qui ne répondrait plus aux ordres du gouvernement mais du Président lui-même (via un de ses proches, Viktor Zolotov). Alors que les prochaines élections législatives de septembre pourraient donner lieu à des manifestations d’opposants, quelle signification donner à cette décision ?
Michael Lambert : Le Président russe aime à réformer les structures gouvernementales afin d’accroitre leur performance. Lors de son premier mandat, Vladimir Poutine avait déjà réorganisé le Haut commandement de l’Armée russe en simplifiant les structures administratives, créant ainsi quatre Centres (Ouest, Est, Nord, Sud) pour mieux répondre aux menaces externes.
La création de cette nouvelle “Garde nationale” s’impose dès lors dans l’optique de simplification des Services de renseignement existants en Russie à ce jour. Au moment de son annonce, le Président russe a également mentionné le rattachement de l’Agence de contrôle des drogues ainsi que de l’Agence migratoire au sein du Ministère de l’Intérieur. Cette fusion permettra d’accroitre la collecte de renseignements sur les personnes qui transitent sur le sol de la Fédération. Elle s’impose dans un contexte ou la menace terroriste n’à de cesse de s’accroître, d’autant plus depuis le début du conflit avec l’État Islamique en 2015.
La Garde nationale aura donc pour charge d’assurer la sécurité intérieur en usant de compétences spécifiques, simplifiant ainsi la carte des Services de Renseignement. Elle se fixera comme objectif de lutter contre le terrorisme sur le sol national, un phénomène récurrent en raison de la présence des séparatistes dans le Caucase russe (Dagestan et Tchétchénie). Qui plus est, la Russie est désormais entourée par de plusieurs États de facto (Abkhazie, Ossétie du Sud, Novorossya) ou les armes légères abondent. Le souhait de renforcer la sécurité à l’intérieur du pays prend donc son sens dans le contexte de prolifération des armes légères dans l’espace post-soviétique et au Moyen-Orient.
Officiellement, cette décision ne concerne donc en rien les prochaines élections. Dans la pratique, il s’avère cependant évident qu’un tel service pourra museler les opposants politiques sans aucune contrainte juridique.
Cette garde nationale aurait ses propres services de renseignement, des pouvoirs d’enquête, le droit de contrôler le port d’arme des particuliers, de tirer sans sommation dans certains cas ou encore de ne pas se présenter lors des arrestations effectuées. De telles prérogatives ne rappellent-elles pas dans une certaine mesure l’époque soviétique ? S’agit il d’une dérive du pouvoir ou faut-il y voir une intention réelle de se doter d’outils à même de lutter contre le terrorisme ?
Dans une certaine mesure, le schéma n’est pas sans rappeler celui des structures Américaines, à l’image du FBI. Un groupe armé au sein de l’État russe n’est pas sans établir une analogie avec les pleins pouvoirs dont disposait le KGB pendant la période soviétique.
Il serait cependant incohérent de parler de “dérive du pouvoir”, tout simplement car les opposants politiques sont déjà sus surveillance du Ministère de l’Intérieur. Le Gouvernement actuelle est lui même déjà répressif en ce qui concerne les libertés individuelles, et les Services de renseignement disposent également des pleins pouvoirs depuis plusieurs années. On pourrait dès lors avancer l’idée selon laquelle on est en face d’un groupe directement rattaché au Président, mais qui utilise les mêmes méthodes que l’actuel FSB.
Il faudrait donc davantage entrevoir dans cette organisme un moyen de participer au pluralisme des appareils de l’État, ainsi que le souhait de ne pas laisser à une seule agence le privilège de tout contrôler. Un schéma similaire se retrouve en France avec des organismes comme l’IRSEM et l’IHEDN. L’IRSEM est rattaché au Ministère de la Défense, tandis que l’IHEDN est rattaché au Cabinet du Premier Ministre. Cette situation n’a aucun sens sur le plan financier et académique car les deux pourraient fusionner afin d’accroitre leur visibilité et leurs moyens. Mais le MinDef et le Cabinet du Premier Ministre s’y opposent par manque de confiance et en vue de préserver leurs propres intérêts.
On pourrait envisager un schéma similaire en Russie, ou Poutine voudrait disposer de son “groupe privé”, d’un organisme de plus petite taille sous son contrôle direct et plus facile à prendre en charge.
Dans une perpective historique, les chefs d’États souhaitent souvent avoir une garde personnelle pour assurer leur propre sécurité. Avec des hommes au dessus des lois pour mener des actions illégales sous approbation directe du leader.
Vladimir Poutine semble rentrer dans ce schéma, et le temps nous dira de quelle manière il utilisera cette structure. Au regard de la situation, la relation à la lutte contre le terrorisme semble cependant secondaire, même si c’est l’argument officiel.
Derrière les apparences de puissance et d’Homme providentiel, le Président russe à pleinement conscience de son âge et qu’il ne sera plus capable d’incarner l’État russe avec la même image d’Homme fort d’ici la prochaine décennie.
Il est probable que celui-ci reste au pouvoir pendant encore quelques années, mais cela n’aurait pas véritablement de sens dans le contexte géopolitique actuel dont il dispose.
Le 1er janvier 2015, le Président russe a lancé le projet d’Union eurasiatique, en concurrence directe avec l’Union européenne et la Chine. L’objectif de cette nouvelle union n’est autre que de permettre à la Russie de contrebalancer le soft power de l’Union européenne et d’étendre les frontières géographiques, économiques et culturelles de la Russie en proposant un format similaire à celui de l’Union soviétique. En théorie, l’Union eurasiatique octroie aux participants la possibilité de son concerter. Dans la pratique, seule le Président russe décide de toutes les initiatives.
Il est dès lors fort probable, étant donné le fonctionnement de l’Union eurasiatique, que Vladimir Poutine vise à transformer celle-ci en pays à part entière. Il pourrait ainsi se faire élire comme tout premier Président de l’Union eurasiatique et accroitre son influence directe en dehors de frontières de la Russie. Une telle situation permettrait à Vladimir Poutine de mener des actions militaires de plus grande ampleur et de continuer à déstabiliser la communauté Euro-Atlantique. On peut donc facilement imaginer une transition de Président de la Fédération de Russie à Président de l’Union eurasiatique.