Le journaliste Edwy Plenel publiait il y a deux mois (mars 2016) un ouvrage dépeignant sa vision de la société française, et tout spécifiquement la position de l’islam au sein de celle-ci. Le livre en question, intitulé « Dire nous » reprend en grande partie les thèses de l’intellectuel musulman Tariq Ramadan.
S’effacer pour mieux laisser avancer « l’Autre »
Publié le 19 Mai 2016
Edwy Plenel a publié en mars 2016 un ouvrage, « Dire nous », qui prolonge les propos qu’il tenait déjà l’année dernière dans son « Pour les musulmans ». Je vous propose de rassembler autour de quelques thèmes l’essentiel des propos contenus dans ces deux ouvrages, qui ont tous les deux la particularité d’être remplis de considérations morales sanctifiées par l’universalisme bien-pensant.
Si l’islam en est partie intégrante – Edwy Plenel étant semble-t-il devenu le factotum de Tariq Ramadan –, la « pensée » d’Edwy Plenel se déploie bien au-delà et ravage en réalité un champ beaucoup plus vaste.
Edwy Plenel, conscience morale universelle
Le premier point sans doute à souligner concernant les écrits d’Edwy Plenel est sa revendication à peine voilée à représenter une conscience morale universelle. Il ne faut guère s’embarrasser d’humilité pour prétendre être légitime à dicter aux autres ce que doit être la morale et la responsabilité. Cet arrière-plan psychologique narcissique et nombriliste (les autres produisant « Des discours politiques de courte vue et de faible hauteur ») explique comment un individu peut se prendre aujourd’hui pour un nouveau prophète incarnant la conscience du monde (cela étant, il n’est pas le seul, en témoigne le désastre libyen).
À lire Edwy Plenel, peu nombreux sont ceux qui, comme lui, auraient une conscience lucide de ce qui affecte le monde aujourd’hui : « Les monstres libérés par nos temps de transition et d’incertitude, contre lesquels j’ai déjà essayé d’alerter dans « Dire non », sont des poupées gigogne qui, en nous habituant au rejet des musulmans, nous accoutument à d’autres refus en cascade, dans une quête sans fin des inégalités et des hiérarchies humaines : les roms, les tsiganes et romanichels, toujours ; les juifs de nouveau ; les noirs encore ; les homosexuels aussi ; voire les femmes dans un retour primitif à l’inégalité anthropologique. »
Se positionnant parmi les plus grands, Edwy Plenel élève donc la voix pour « dénoncer », à l’instar d’illustres prédécesseurs : « L’acte décisif de cette rupture sera un article de 1896, où le nom de Dreyfus n’est pas une seule fois mentionné mais dont le propos amènera les premiers dreyfusards, notamment le journaliste Bernard Lazare, à contacter Zola pour le rallier à leur cause. Il s’intitule tout simplement Pour les Juifs, avec une lettre capitale, et il suffit de remplacer, dans ses premières lignes, le mot « juifs » par celui de « musulmans » pour entendre la résonance avec notre époque : c’est un cri de colère contre un sale climat.«
Edwy Plenel se projette ainsi, dans un grand élan patriotique, dans le rôle du héraut de cette nouvelle guerre sainte : « En défense de toutes celles et de tous ceux qu’ici même, la vulgate dominante assimile et assigne à une religion, elle-même identifiée à un intégrisme obscurantiste, tout comme, hier, d’autres humains furent essentialisés, caricaturés et calomniés, dans un brouet idéologique d’ignorance et de défiance qui fit le lit des persécutions. L’enjeu n’est pas seulement de solidarité mais de fidélité. À notre histoire, à notre mémoire, à notre héritage. Pour les musulmans donc, comme on l’écrirait pour les juifs, pour les noirs, ou pour les roms, mais aussi pour les minorités et pour les opprimés. Ou, tout simplement, pour la France.« Ou encore : « Des juifs aux musulmans, d’hier à aujourd’hui, il est facile de se rassurer en se disant que l’histoire ne se répète jamais, sinon en farce. Et ainsi de justifier nos silences et nos indifférences. Pour ma part, il me suffit de savoir que cette farce est sinistre et imbécile pour inviter, s’il est encore temps, notre France à éviter ce déshonneur.«
L’art de l’amalgame : résumer toutes les problématiques à une seule, le racisme
Pour Edwy Plenel, différencier – ce qui est la base de l’acte culturel – semble être par nature un acte raciste puisqu’il identifie l’essence de l’autre (il « l’essentialise ») et rend par là possible la catégorisation, la hiérarchisation et donc le jugement. Dans cet amalgame qui ramène tout au racisme se déploie ainsi le principal ressort de la manipulation totalitaire : la culpabilisation. « Le racisme est une monstrueuse poupée gigogne qui, une fois libérée, n’épargne aucune cible. »
L’autre, cet idéal
Le drapeau de l’antiracisme s’accompagne naturellement d’une sacralisation de l’autre, sans que rentrent aucunement en ligne de compte les valeurs que « l’autre » véhicule. Edwy Plenel nous impose ainsi son impératif catégorique sacrificiel : « La froideur, l’insensibilité, l’ignorance qui amènent à négliger l’Autre sont autant de pas qui nous éloignent du bien, alors que la découverte de sa différence, « cette altérité qui est une richesse ou une valeur », nous en rapproche. Mais cette démarche ne va pas de soi, elle suppose un effort, « un don de soi et de l’héroïsme« . » Ou encore : « Les réflexions de Sartre avaient déjà débusqué ce qui est toujours le nœud du blocage français, et qu’il est bien temps de déverrouiller : le refus d’admettre l’Autre comme tel, le souci de l’assimiler à soi, cet universel abstrait qui n’admet le juif, le noir, l’arabe qu’à condition qu’il se dépouille de son histoire et de sa mémoire. »
Tous ceux qui ne se plient pas à cet impératif sont nécessairement, parce qu’ils différencient, condamnés à produire tôt ou tard des boucs-émissaires : « La fonction du bouc émissaire principal – juif et métèque hier, musulman et immigré aujourd’hui – ». Edwy Plenel prétend ainsi « Hausser la voix non seulement en défense des musulmans mais de toutes les autres minorités que cette accoutumance à la détestation de l’autre met en danger, expose et fragilise. »
Le complexe du saint-Bernard et le bouc émissaire
Edwy Plenel glisse donc naturellement dans la mission de défense farouche de la veuve et de l’orphelin, forcément persécutés. Et pour Edwy Plenel, le nouveau juif, c’est le musulman : « Le bouc émissaire principal de notre époque, le musulman, de croyance, de culture ou d’origine. » Ou encore : « C’est par le détour de sa banalisation envers les musulmans, sous couvert d’un rejet de leur religion, qu’il [le racisme] s’est de nouveau installé à demeure, redevenu admissible. Tolérable, respectable et fréquentable. L’actuelle extension du domaine de la haine dont nous sommes les témoins atterrés a pour ressort cette diffusion bienséante d’un racisme antimusulman, qui occupe la place laissée vacante par la réprobation, heureusement mais tardivement conquise, qui frappe l’antisémitisme. »
Et les propos s’enchaînent : « C’est précisément ce que vivent, depuis si longtemps, nos compatriotes musulmans qui, dans le même mouvement, sont assignés à leur origine et empêchés de la revendiquer.
À la fois ethnicisés et stigmatisés. Réduits à une identité univoque, où devrait s’effacer leur propre diversité et la pluralité de leurs appartenances, et rejetés dès qu’ils veulent l’assumer en se revendiquant comme tels. » Ou encore : « Une guerre contre une religion (l’islam) et des quartiers (populaires), contre une foi et des territoires tous deux identifiés à une partie de nos compatriotes, parmi les moins favorisés, parmi les moins protégés. » Mais aussi : « Au-delà de leurs prétextes d’époque, l’islamophobie d’aujourd’hui, le racisme anti-arabes et la stigmatisation des musulmans s’enracinent dans cette longue durée non apaisée, comme une blessure toujours purulente. » Et encore : « Et, de la même manière que ce sont leurs marges qui font tenir les pages, le mouvement radicalement démocratique et social que nous défendons ici se joue dans le sort que nous réservons aux minoritaires qui sont encore en lisière de la cité. À tous ceux qui n’ont pas les mêmes croyances que la majorité, à ceux qui revendiquent leur différence, à ceux qui ne se contentent pas de penser différemment mais qui s’assument comme différents. Les protestants et les juifs hier, les musulmans aujourd’hui. »
Si Edwy Plenel exploite en la magnifiant la symbolique de la « persécution » que subiraient les musulmans en France, son intelligence sélective le conduit à omettre les persécutions bien réelles celles-là que subissent toutes les minorités non-musulmanes dans les pays musulmans, constat dont la réalité ne fait aucun doute, y compris dans le monde musulman (cf. la déclaration de Marrakech de janvier 2016 sur les droits des minorités non-musulmanes en terre d’islam).
Il n’y a pas de spécificité musulmane : judaïsme et islam, même combat
Pour Edwy Plenel, il n’y a pas de question musulmane ou islamique (comme le disait d’ailleurs mot pour mot il y a quelque temps Tariq Ramadan, son maître à penser). Dans le grand supermarché des valeurs spirituelles et religieuses d’Edwy Plenel, seul l’emballage semble différencier des produits (religieux) qui seraient au fond semblables par leur contenu : « Être musulman, l’exprimer ou le revendiquer, n’est donc pas plus incompatible en soi avec des idéaux de progrès ou d’émancipation que ne l’était l’affirmation par les ouvriers ou les étudiants de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne et de la Jeunesse Étudiante Chrétienne de leur identité chrétienne, alors qu’ils rejoignaient les combats syndicaux et politiques du prolétariat ou de la jeunesse. »
Quand Edwy Plenel écrit : « rien ne justifie qu’on décrète l’incompatibilité entre la République, ses idéaux et ses principes, et la revendication d’être reconnu, respecté et admis comme musulman. Tout au contraire même, puisque c’est dans la reconnaissance des minorités que se joue la vitalité d’une démocratie acceptant la diversité des siens, la pluralité de leurs conditions, la richesse de leurs différences. », on se demande bien à quel pays musulman il peut bien faire référence comme modèle. Sur quelle analyse s’appuie cette affirmation ? Elle ne figure pas dans ses livres.
Et si Edwy Plenel se hasarde, sans doute par inattention, à faire le constat de l’existence de communautarismes, c’est pour en nier par principe – sans démonstration aucune – leur caractère nocif au regard du sacro-saint vivre ensemble : « Au mot « multiculturalisme », qui n’est que le constat de la diversité française et de la richesse des relations qui s’y nouent, ils s’effraient d’un « communautarisme » supposé destructeur auquel ils opposent, avec un empressement affolé, le bouclier d’un laïcisme crispé, infidèle à la laïcité originelle. ».
Enfin, quant au rappel de ce qu’il considère être des errements gouvernementaux sur la question de l’identité française au regard de la question musulmane, (« Lors de cette réunion intergouvernementale (été 2013), l’alors ministre de l’intérieur, Manuel Valls, devenu en 2014 premier ministre, fit part des trois défis qui, selon lui, s’imposaient à la France pour les 10 prochaines années. Les voici, selon ses mots, rapportés par les médias au style indirect : celui de l’immigration en raison de la démographie africaine ; celui de la compatibilité de l’islam avec la démocratie ; celui des problèmes posés par le regroupement familial au bénéfice des travailleurs étrangers.« ), c’est pour lui l’occasion d’émettre un jugement dédaigneux plutôt que de s’interroger factuellement sur la réalité des problématiques soulevées par l’islam (apostasie, laïcité, statut de la femme, polygamie, homosexualité, etc.).
La remise en cause de l’héritage occidental chrétien et la damnation de l’ancien colonisateur (que l’opprobre soit jeté sur lui et tous ses descendants !)
Enfin, pour faire bonne mesure, Edwy Plenel ne s’en tient pas là puisqu’il pousse le vice jusqu’à remettre en cause l’héritage occidental chrétien tout en prétendant faussement (avec quelle intention, sinon celle de nuire aux chrétiens ?) que cet Occident chrétien nierait aujourd’hui les dissensions qu’il a pu connaître :« L’historienne Lucette Valensi nous a mis en garde. Et notamment contre les pièges d’un « fondement judéo-chrétien » de la civilisation européenne qui, d’un même mouvement, exclut ses autres composantes et fait opportunément oublier combien les chrétiens eux-mêmes se sont entre-tués au nom de la religion. »
La domination séculaire de l’Occident chrétien sur l’islam dans de nombreux domaines (sciences, littérature, arts, médecine,…) débouche naturellement sur un incontournable vice originel, le colonialisme : « renouer avec les préjugés coloniaux qui essentialisaient d’autres cultures pour les dominer ou les opprimer, les rejeter ou les soumettre, ». Aussi, le refus d’assimilation dans le pays d’accueil semble être pour lui un devoir pour l’immigré, notamment musulman : « Refuser résolument l’injonction néocoloniale d’assimilation qui entend contraindre une partie de nos compatriotes (de culture musulmane, d’origine arabe, de peau noire, etc.) à s’effacer pour se dissoudre, à se blanchir en somme. Bref, qui ne les accepte que s’ils disparaissent. »
Le paroxysme psychiatrique de cette réflexion est atteint lorsqu’Edwy Plenel introduit la transition abjecte vers le nazisme : « C’est une école de barbarie, ici même, comme l’avait dit avec force, dès 1950 Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme : tout connaisseur de ce texte célèbre en aura entendu l’écho dans l’intervention de Serge Letchimy, tant on y trouve déjà l’affirmation du lien entre crimes coloniaux et crimes hitlériens : le « formidable » choc en retour, selon Césaire, de cette corruption fatale que fut le colonialisme et qui a fait le lit de la barbarie nazie, sur ce fumier commun de la hiérarchie des humanités et de leurs civilisations. »
Après cela, on se demande ce qui a bien pu faire le lit du génocide d’un million et demi de chrétiens arméniens et assyro-chaldéens en 1915…
Conclusion
La superficialité des réflexions d’Edwy Plenel en matière socio-religieuse s’explique sans doute par la faiblesse de sa connaissance des textes fondateurs des principales religions auxquelles il fait référence puisqu’il ne les cite absolument jamais. Se reporter aux textes, besogne austère et peu médiatisable, est probablement pour lui une contrainte inutile et nuisible aux grandes envolées lyriques dont il a le secret. Visiblement imbu de sa propre personne et profondément narcissique, Edwy Plenel semble être un représentant archétypal de la pensée bien-pensante et œcuménique pour laquelle la culture consiste à vouer à l’anathème toute idée de jugement et de hiérarchisation des valeurs culturelles humaines au profit du grand pot-pourri de l’humanisme universel. Booba, Black M et Bach (Jean-Sébastien) : vous voyez une différence, vous ?
Cette logique détestable, qui jongle et s’enivre avec des mots vides et des raisonnements vicieux, nous révèle probablement autant de ce personnage que la nature de ses attaques contre Alain Finkielkraut – qui ne boxe visiblement pas dans la même catégorie – lorsqu’il écrit à son propos : « Plus souvent que la vieillesse, la notabilité est un naufrage. Ces honneurs qui masquent des défaites. Ces distinctions qui disent des renoncements. », ou encore « Sans doute est-ce l’habituelle tragédie individuelle des quêtes de reconnaissance inassouvies qui, parfois, déchirent minoritaires ou persécutés, jusqu’à leurs héritiers : cette lassitude que produit l’inconfort du paria qui ouvre la voie au zèle du parvenu. Lequel parvenu n’en fera jamais assez dans son désir d’être enfin distingué et accepté, au risque de se perdre. De perdre son histoire, sa mémoire, son héritage. »
Donc si vous voulez lire du Plenel, allez en bibliothèque, vous perdrez sans doute votre temps mais pas votre argent. J’espère au moins que ce petit article vous aura diverti ou bien instruit en dédommagement du temps que sa lecture vous aura pris.