Le dialogue national initié par le Président Macky Sall a eu lieu ce samedi. Et il a mobilisé toutes les forces vives de la Nation. Mais, le politologue, Babacar Justin Ndiaye, n’y voit qu’une «légitimation» des retrouvailles entre l’Alliance pour la République (Apr) et le Parti démocratique sénégalais (Pds). Entretien.
Quelle lecture faites-vous du dialogue national ?
Ce conclave, aux portes et fenêtres largement ouvertes, porte mal son nom. A moins qu’il ne soit délibérément mal baptisé. Nous avons assisté à une rencontre plus politique que nationale, dans un format surdimensionné, pour mieux envelopper ou habiller un contact préparatoire à la paix des braves et… des bricoleurs entre l’Apr et le Pds. C’est un numéro de haute voltige politique, exécuté par des champions du dialogue en trompe-l’œil. La suite des évènements ébahira les Sénégalais.
Qui sont les gagnants et les perdants de cette consultation nationale ?
Le Président Macky Sall a eu «son samedi» d’effervescence politique et d’exaltation consensuelle. Au lendemain d’un référendum irrigué de crispations, cette grand’messe est incontestablement un vecteur de détente ou de dégel sur l’échiquier politique, nonobstant l’ambiance de cirque très dégradante pour l’Etat dont le chef a été parfois, moqué par des bribes de discours prononcés dans un lieu symboliquement fort et mythique, comme la Présidence de la république. Les hôtels Terrou-bi et King Fahd Palace étant, à mes yeux, des endroits plus en phase avec les défoulements et les dérapages que le Palais présidentiel. En vérité, les organisateurs ont trop exposé le président de la République, puisque ce dernier a présidé, modéré et conclu les débats, en s’exposant inévitablement aux objections, répliques et commentaires des participants aux tempéraments vifs et variés. Cela dit, on s’est arrangé pour que l’accessoire cache l’essentiel qui est le pont rectiligne, sans courbes, jeté entre le l’Apr et le Pds, par-dessus une vallée gorgée de contentieux. Voyez-vous, Abdoulaye Wade n’est ni un enfant ni un enfant de chœur. Je conçois mal qu’il appuie ou bénisse un contact public et détendu entre Macky Sall et Oumar Sarr, sans des réglages à gogo et en amont. Je ne veux pas être bavard, mais je me suis laissé dire que des personnes discrètes servent, depuis le mois d’avril, de courroies de transmission entre Versailles et l’avenue Roume, parmi lesquelles, un journaliste, dépositaire de l’amitié et de la confiance de Macky Sall. Un journaliste qu’on ne voit pas à la télévision, qu’on ne lit pas dans les journaux, qui n’est pas dans l’équipe gouvernementale et qui ne s’appelle pas Madiambal Diagne. Dans le circuit, on identifie aussi une inconditionnelle de Karim Wade, donc une femme.
Quelles peuvent être les répercussions pour les «boudeurs», comme Idrissa Seck, Pape Diop et Malick Gakou ?
Un dialogue, même baptisé national, n’est pas assimilable à une échéance électorale. Donc, les conséquences –si elles existent– ne peuvent qu’être bénignes. Ces trois leaders ne sont pas confrontés aux mêmes défis que Me Wade. Pourquoi devront-ils être des adeptes du mimétisme ? Idrissa Seck et Abdoulaye Wade ne peuvent pas être logés à la même enseigne. Le Président de Rewmi n’a pas une équation judiciaire à résoudre : aucun de ses fils ne s’éternise en prison. Donc, il n’est ni dans le besoin ni dans l’urgence d’un compris historique ou politique avec Macky Sall. De son côté, Macky Sall n’attend pas et n’espère point un coup de pouce du Président Conseil départemental de Thiès, pour assouvir sa soif de de deuxième mandat.
Le Président Macky Sall n’est-il pas tenu de satisfaire certaines doléances exprimées à haute voix, parmi lesquelles, la libération de Karim Wade, au risque d’hypothéquer la suite du dialogue voire gripper la marche du pays ?
Impossible n’est pas politique. Or, ce dialogue, astucieusement baptisé national et habilement initié par le Président-fondateur de l’Apr, est éminemment politique. Tenez, voilà une définition de la politique qui prouve qu’un horizon n’est jamais hermétiquement bouché. Je cite : «La politique est un cheminement entre les grands principes et les petits arrangements.» Autrement dit, on peut slalomer sans perdre l’équilibre. Bref, le pont jeté entre l’Apr et le Pds sera évidemment emprunté par les deux constructeurs. Il est fait pour ça. De quelle manière ? Le futur immédiat le dira.
L’Histoire du Sénégal a enregistré trois dialogues dont deux ont débouché sur des gouvernements d’union, de coalition ou de rassemblement. Le dialogue actuel fera-t-il exception ?
Je conviens du fait que les gouvernements élargis ne manquent pas de qualité. Toutefois, l’orgie de couleurs et de sensibilités, dans une équipe gouvernementale, n’a pas valeur d’efficacité, donc de panacée. La gouvernance apaisée, c’est bien. La gouvernance performante et développante, c’est mieux.
NDEYE FATOU SECK (L’OBS du 1 juin 2016)