Publié le 31-10-2016 Modifié le 31-10-2016
Le leader chrétien Michel Aoun, allié du Hezbollah, a été élu, ce lundi 31 octobre, treizième président de la République libanaise. Son élection met un terme à deux ans de vacance à la tête de l’Etat.
De notre correspondant à Beyrouth,
Vingt-six ans après avoir quitté les ruines du palais présidentiel libanais, détruit par l’aviation syrienne, pour se réfugier à l’ambassade de France, le 13 octobre 1990, Michel Aoun prend sa revanche sur l’histoire. Il revient au palais de Baabda en maître des lieux, après avoir été élu, ce lundi 31 octobre, président de la République par le Parlement, avec 83 voix, 36 votes blancs et 8 votes annulés. Au-delà de son aspect dramatique, ce développement comporte une importante dimension géopolitique, du fait que l’ancien chef de l’armée libanaise (1984-1990) et ex-Premier ministre (1988-1990), a accédé à la magistrature suprême grâce à son alliance avec le Hezbollah, principal soutien du régime syrien.
La première lecture que l’on peut faire de cet événement historique est que le Hezbollah pro-iranien est devenu un acteur incontournable dans la vie politique libanaise. Il a réussi, après 29 mois de vacance à la présidence de la République, à imposer son candidat. Mais cette analyse reste incomplète, car Michel Aoun doit sa victoire, surtout, à sa propre popularité au sein de la communauté chrétienne, que rien n’a pu entamer en trois décennies. Ni sa défaite militaire face à l’armée syrienne en 1990, ni son exil pendant quinze ans en France, ni son alliance controversée avec le Hezbollah en 2006, ne l’ont achevé politiquement.
Charismatique et populaire
Cet octogénaire, de petite taille, n’est pas un tribun exceptionnel. Il est réputé pour ses colères, ses propos un brin impulsifs, ses sautes d’humeur. Et pourtant, il dégage un fort charisme, qui a fait de lui le personnage central de la communauté chrétienne ces trente dernières années. Les chrétiens, dans leur majorité, ne l’ont jamais désavoué, malgré les campagnes de dénigrement acharnées dirigées contre lui et son entourage, le changement de son discours politique et ses alliances jugées « contre nature » par certains. Ainsi, il s’est réconcilié avec Bachar el-Assad, qui l’a reçu à Damas en 2008, alors que la communauté internationale accusait ce dernier de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, en 2005.
Il a signé un « document d’entente » avec le Hezbollah, en 2006, à un moment où la formation chiite était isolée par une grande partie de la classe politique libanaise. Il a soutenu ce même Hezbollah pendant l’offensive israélienne de juillet-août 2006, alors que tout le monde pensait que le parti pro-iranien serait vaincu dans cette guerre. Depuis ce jour-là, le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a juré qu’il n’oublierait jamais le soutien de son allié chrétien pendant cette guerre… dix ans plus tard, Nasrallah a tenu sa promesse et remboursé sa dette.
Une carrière dans l’armée
Né en 1933, dans la banlieue sud de Beyrouth, devenue aujourd’hui le fief du Hezbollah, Michel Aoun ne fait pas partie des grandes familles traditionnelles chrétiennes, qui dominent la scène politique depuis plus d’un siècle. Fils de boucher, il rêvait de devenir ingénieur, avant de rejoindre l’école militaire en 1955. Lieutenant en 1961, il se spécialise dans l’artillerie, en France et aux Etats-Unis. Les Libanais entendront parler de lui la première fois pendant la guerre civile, lorsque la 8e brigade qu’il dirigeait, en 1983, résiste victorieusement aux assauts des milices soutenues par la Syrie et les organisations palestiniennes, dans les montagnes de Souk al-Gharb, surplombant le palais présidentiel, à l’est de Beyrouth. Un an plus tard, il est nommé chef de l’armée puis, en 1988, il est désigné par le président sortant Amine Gemayel chef d’un gouvernement militaire provisoire, en attendant l’organisation de l’élection présidentielle.
Pendant ses deux ans passés au pouvoir, Michel Aoun lancera une « guerre de libération » contre les 40 000 soldats syriens présents au Liban. Après des mois de combats qui font des centaines de morts, il ne parviendra pas à atteindre son objectif. Il tentera ensuite, sans succès, de mettre au pas la milice chrétienne des Forces libanaises. Cette guerre fratricide fera des centaines de morts et affaiblira considérablement les chrétiens, qui seront contraints d’accepter l’accord de Taëf, réduisant les prérogatives du président de la République, un chrétien maronite dans un pays où les hautes fonctions de l’Etat sont réparties sur une base communautaire. Michel Aoun refusera de signer cet accord et sera finalement délogé du palais présidentiel à l’issue d’une ultime bataille, qui fera beaucoup de victimes dans les rangs de l’armée libanaise.
Malgré ce parcours semé de défaites et de guerres, et ses quinze ans d’exil en France, les chrétiens continueront de voir en lui leur vrai chef. Son refus du règne des milices et sa volonté de rétablir l’autorité de l’Etat après de longues années de guerre civile, expliquent, en partie, l’attachement qu’une écrasante majorité de chrétiens lui voue.
Retour d’exil et alliance avec le Hezbollah
Après cinq ans de silence imposé par un accord entre Paris et Beyrouth, Michel Aoun reprendra, en 1995, son combat, axé jusqu’en 2005 sur le retrait de l’armée syrienne et le recouvrement de la souveraineté nationale. Il rentre au Liban en mai 2005, un mois après le départ des soldats syriens, et son parti, le Courant patriotique libre (CPL), remporte haut la main les élections législatives dans les régions chrétiennes. Ses adversaires parleront d’« un tsunami orange », la couleur de son parti. Mais, malgré cette victoire, il est écarté du gouvernement. Il dénonce une volonté d’exclusion des chrétiens et recentre son discours politique sur la récupération par cette communauté de son rôle au sein des institutions étatiques, après quinze ans de marginalisation. En conséquence, il ouvre une nouvelle page dans ses relations avec la Syrie et noue une alliance avec le Hezbollah.
Dès le début de la crise syrienne, Michel Aoun dénonce la « mainmise » des islamistes sur l’opposition syrienne et exprime ses craintes pour l’avenir des minorités. Il ne ratera plus une occasion de mettre en garde contre le sort réservé aux chrétiens d’Orient. C’est pour redonner confiance à cette communauté et l’encourager à rester attachée à ses racines, qu’il estime que les chrétiens doivent redevenir des partenaires à part entière dans le pouvoir au Liban. Chef du plus important bloc parlementaire chrétien, il se considère, par conséquent, le candidat « naturel et légitime ». Si, en 2008, il avait accepté un candidat de compromis, agréé de tous les partis libanais (l’ancien chef de l’armée Michel Sleiman), en 2014, il refusera catégoriquement de se retirer de la course. Appuyé par le Hezbollah, il assure qu’il restera candidat jusqu’au bout.
Il patientera deux ans et demi avant d’être élu. Après avoir essayé plusieurs options et scénarios, dont la candidature du député Sleiman Frangié, très proche du Hezbollah, ses adversaires se sont rendus à l’évidence, un à un : soit Michel Aoun devient président, soit la vacance à la tête de l’Etat durera indéfiniment. C’est la décision de l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, d’appuyer sa candidature, qui a finalement débloqué la situation. En contrepartie de ce soutien, Michel Aoun s’est engagé à le nommer chef du gouvernement. Il s’agit donc d‘un marché, qui porte à la présidence de la République un allié du Hezbollah (et de l’Iran), et à la tête du gouvernement un ami de l’Arabie saoudite. Il faudra voir si ce compromis résistera aux échéances à venir, notamment la formation du gouvernement et l’organisation des élections législatives, prévues au printemps 2017.