31/10/2016 à 06h34
Des milliers de Marocains sont descendus dans la rue, dimanche, dans la région du Rif et plusieurs grandes villes du Maroc, pour protester contre la mort d’un marchand de poisson, happé par une benne à ordures alors qu’il tentait de s’opposer à la saisie de sa marchandise.
Le drame a fait descendre des milliers de Marocains dans la rue. La mort tragique d’un vendeur de poisson, broyé par une benne à ordures, a suscité une vague d’indignation et de manifestations au Maroc, où les autorités ont affiché leur volonté de « punir » les responsables de ce drame.
Happé et broyé par une benne à ordures
Mouhcine Fikri, un marchand de poisson d’une trentaine d’années, est décédé vendredi soir à Al-Hoceima, dans le Rif, happé par une benne à ordures alors qu’il tentait apparemment de s’opposer à la saisie et à la destruction de sa marchandise par des agents de la ville.
Les circonstances effroyables de sa mort, filmée sur un téléphone portable et diffusée sur Internet, ont choqué la population. Une photo de la victime inanimée, la tête et un bras dépassant du mécanisme de compactage, a été largement diffusée sur les réseaux sociaux, qui ont relayé plusieurs appels à manifester dans tout le pays.
« Ici on broie les gens »
Dimanche, des milliers de personnes ont participé aux funérailles du jeune homme, marchant pendant plusieurs heures dans le calme du centre-ville d’Al-Hoceima jusqu’à la localité d’Imzouren, où la dépouille a été inhumée. Des marcheurs brandissaient en tête du cortège un drapeau berbère, rendant hommage au « martyr Mouhcine » et exigeant « la vérité ».
Le soir même, des milliers de personnes se sont de nouveau rassemblées, cette fois dans le centre d’Al-Hoceima. « Criminels, assassins, terroristes », scandaient notamment les manifestants, ou encore « Ecoute makhzen (palais royal), on n’humilie pas le peuple du Rif! ». Le rassemblement s’est déroulé sans incident.
Des manifestations de moindre ampleur ont eu lieu dans plusieurs autres villes du Rif, mais aussi -fait peu ordinaire- à Casablanca, Marrakech et Rabat, où plus d’un millier de personnes ont défilé au cri de « Nous sommes tous Mouhcine! », ou brandissant la photo de la victime ou une pancarte provocatrice « Bienvenue à la COP22, ici on broie les gens ».
« Personne n’avait le droit de le traiter ainsi »
Actuellement en Tanzanie, au terme d’une importante tournée diplomatique en Afrique de l’Est, le roi Mohammed VI a dépêché dimanche à Al-Hoceima son ministre de l’Intérieur Mohammed Hassad qui est venu « présenter les condoléances et la compassion du souverain à la famille du défunt ».
Le roi a donné des instructions « pour qu’une enquête minutieuse et approfondie soit diligentée (…) », alors que le ministère de l’Intérieur avait déjà annoncé l’ouverture d’une enquête, conjointement avec le parquet local, au lendemain du drame.
Les circonstances exactes de la mort de Mouhcine Fikri restent à établir, et le ministre Hassad s’est dit « déterminé à établir les circonstances exactes du drame et à en punir les responsables ». La victime avait refusé d’obtempérer à un barrage de police, et avait en suite été interceptée, avec dans sa voiture « une quantité importante d’espadon, une espèce interdite à la pêche », a récapitulé le ministre. « Décision a été prise de détruire la marchandise illégale. Toutes les questions se posent après ça », a-t-il expliqué.
« Personne n’avait le droit de le traiter ainsi », a déploré le ministre de l’Intérieur. « On ne peut pas accepter que des responsables agissent dans la précipitation, sous la colère, ou dans des conditions qui ne respectent pas le droits des gens », a-t-il souligné, promettant les conclusions de l’enquête d’ici « quelques jours ».
Le Rif, foyer de contestation
La ville côtière d’Al-Hoceima, comptant environ 55.000 habitants, fut le coeur de la révolte contre le colonisateur espagnol dans les années 1920, puis le théâtre d’une insurrection populaire en 1958.
Longtemps délaissée sous le règne de Hassan II, la région du Rif a une réputation de frondeuse et entretient des relations difficiles avec le pouvoir central. Elle fut aussi l’un des principaux foyers de la contestation lors du mouvement du 20-Février, la version marocaine des Printemps arabes en 2011.
Le suicide d’un vendeur ambulant fin 2010 en Tunisie est souvent vu comme l’un des éléments déclencheurs de ces Printemps arabes. L’homme s’était immolé par le feu en réaction à la saisie de sa marchandise par les autorités.
En pointe dans les manifestations de 2011, l’Association marocaine des droits humains (AMDH) a « dénoncé » le rôle de l’Etat qui « foule aux pieds la dignité des citoyens » et mis en garde contre « une possible répétition » du mouvement du 20-Février. Un scénario particulièrement délicat pour les autorités alors que s’ouvre dans une semaine à Marrakech la conférence internationale sur le climat, la COP22, dont Rabat entend faire une vitrine internationale.
A.S. avec AFP