Djibo Leity Kâ, l’autre virtuose de la tortuosité qui ne peut plus se passer de l’oxygène du pouvoir (par Mody Niang)

 

Mody NIANG - © Malick MBOW
Mody NIANG – © Malick MBOW

 le Jeudi 3 Novembre 2016

Djibo Leïty Kâ a été pendant de longues années un apparatchik du Parti socialiste (PS). Il a été ainsi Directeur de cabinet du président Senghor puis, sans désemparer, Ministre du président Diouf de 1981 à 1995.
Me Ousmane Ngom et Djibo Leïty Kâ sont de parfaits jumeaux, tous les deux des virtuoses de la tortuosité. Le 10 octobre 2016, nous avons dédié une contribution au premier, pour rappeler à nos compatriotes qui il est vraiment. Celle-ci s’inscrit dans la même perspective : elle remonte en surface le vrai visage du second, un visage hideux si on devait le qualifier. Elle passera en revue les épisodes de la longue « odyssée » politique de « l’homme du 14 mars 2000 ».

L’homme a été pendant de longues années un apparatchik du Parti socialiste (PS). Il a été ainsi Directeur de cabinet du président Senghor puis, sans désemparer, Ministre du président Diouf de 1981 à 1995. Il rompra définitivement les amarres avec le PS, après que le président Abdou Diouf l’eut traité publiquement d’hypocrite, le 14 mars 1998, un 14 mars prémonitoire. Les conséquences du Congrès dit sans débat du 30 mars 1996 étaient passées par là. Un peu moins de trois mois après, le 5 juin, il créa l’Union pour le Renouveau démocratique (URD). Aux élections législatives du 24 mai 1998, il fait élire onze députés, sous la bannière de l’Alliance Jëf-Jël de Talla Sylla, son parti n’étant pas encore reconnu. Ragaillardi par ce score fort encourageant, il se présente à l’élection présidentielle du 27 février 2000. S’ouvre alors, devant lui, une longue et tumultueuse aventure.

De la date de la création de son Parti, le 5 juin 1998, au 14 mars 2000, M. Djibo Kâ proclamait sans équivoque son appartenance au camp de l’alternance, du changement. Nous invitons le lecteur à suivre patiemment cet épisode de sa vie politique mouvementée.

Le 11 septembre 1999, à l’occasion de la cérémonie d’installation du « Comité de pilotage, de gestion et de coordination » de son Parti pour la campagne électorale de février 2000, il déclarait nettement :

« Nous voudrions réaffirmer solennellement que si par extraordinaire, dans une hypothèse irréelle, le candidat du Ps était présent au deuxième tour, et que celui du Renouveau n’y était pas, nous apporterions notre soutien au candidat de l’opposition, donc celui de l’alternance. »

Engagement sans équivoque, à retenir par le lecteur. Moins de deux mois plus tard, il réaffirmera, avec la même « détermination », son appartenance au camp de l’alternance et du changement. Il s’exprimait alors fermement ainsi :

« Nous luttons pour l’alternance et le changement. L’alternance se fera par le Renouveau et les forces du progrès, les forces démocratiques. J’ai dit que tous ceux qui luttent pour l’alternance et le changement sont nos alliés naturels. » (Sud quotidien n° 1974 du 2 novembre 1999).

Pendant qu’il proclamait urbi et orbi son attachement sans faille au camp de l’alternance, il menait secrètement des négociations avec le Premier Ministre d’alors Habib Thiam, en vue de son retour dans le giron socialiste, avant la date fatidique du 27 février 2000. M. Thiam confirme ces négociations dans son excellent livre (« Par devoir et par amitié », pp. 206-207). Il écrit ceci :

« Depuis plus de six mois, par l’entremise de mon neveu, Mayoro Wade, j’avais pu établir le contact avec Djibo Kâ. Je voulais le rapprocher d’Abdou. Je l’ai reçu plusieurs fois chez moi, en présence de Mayoro. Finalement, il a donné son accord pour laver le linge sale en famille, Djibo étant un parent d’Abdou et m’ayant dit que ce dernier serait le meilleur président pour le Sénégal ainsi que sa détermination à voter et faire voter pour lui au second tour… »

Un véritable jeu de yoyo, qui va permettre à cet homme de respirer à pleins poumons l’oxygène du pouvoir avec les quatre présidents qui se sont succédé au Sénégal.

Le Premier Ministre Thiam a indiqué également que de nombreuses autres personnes avant lui avaient tenté d’organiser sans succès une rencontre Abdou-Djibo. L’homme insaisissable accepta finalement la rencontre et M. Thiam de préciser : « Le président Abdou Diouf fixa la date, l’heure et toutes les procédures pour amener M. Kâ, la nuit, au palais de la République en ma présence et celle de Mayoro Wade. La veille, exactement la veille, Djibo m’appela pour me dire qu’il fallait renoncer à la réunion, des fuites ayant eu lieu ». Le Premier Ministre Thiam et d’autres personnalités tenteront tout, sans succès : « L’homme du 14 mars » campa sur ses positions, non sans avoir donné toutefois l’assurance, devant l’expert comptable Mayoro Wade, que « si lui n’était pas au second tour, il se rallierait à Abdou Diouf ».

Voilà notre ondoyant homme d’avant le 27 février 2000 ! Il proclame sur tous les toits son ancrage sans équivoque dans le camp de l’alternance et donne en même temps, entre quatre murs, l’assurance qu’il voterait pour Abdou Diouf au second tour.

Les électeurs se rendent donc aux urnes le 27 février 2000. A l’issue de ce premier tour de scrutin, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade sortent respectivement premier et deuxième. Pendant que les tractations allaient bon train, Djibo Kâ réaffirmait toujours son attachement au camp du changement. Il entra en négociations avec Me Wade. Celles-ci ne donnant apparemment pas les résultats escomptés, il est reçu en audience le 2 mars 2000, à 19 heures, par le président Abdou Diouf. Au sortir de cette audience, il fit la déclaration suivante, qui donna la chair de poule aux Socialistes et à leurs sympathisants :

« Je lui ai demandé de ne pas se présenter au second tour, ….parce que c’est la demande populaire la plus partagée. » « Le pays a besoin de changement », poursuivit le renversant Djibo Kâ qui ajouta, comme pour donner le coup de grâce à Abdou Diouf et aux siens :

« Son départ est le premier acte de changement dans ce pays. C’est le meilleur service qu’il peut rendre au pays. »

La cause semblait donc entendue et le Premier Ministre Habib Thiam en resta coi. « Je fus rarement aussi stupéfait que ce jour-là », reconnut-il, désabusé, vraiment désabusé.

Le Premier Ministre Thiam et ses compatriotes n’étaient pas d’ailleurs au bout de leur peine et de leur surprise car, en ce mémorable 14 mars 2000, ce mardi funeste qui a marqué d’une pierre noire l’histoire politique de notre pays, la virtuose de la tortuosité est de nouveau reçue par le président Diouf. Au sortir de cette audience, il lâche sa terrible bombe, une de plus :

« Je demande aux militants et aux sympathisants du Renouveau démocratique, aux électeurs et aux électrices qui m’ont accordé leur confiance le 27 février 2000, de porter leurs suffrages sur le candidat Abdou Diouf le 19 mars, pour que nous apportions la preuve que le Renouveau est la clé du changement dans notre pays. »

Le changement chanté sur tous les toits depuis le 14 mars 1998, était désormais incarné par le Renouveau, à côté du Président Diouf.

Malgré ce retournement spectaculaire de notre caméléon, le candidat Abdou Diouf fut nettement battu au second tour, le 19 mars 2000. Le Sénégal connut alors la première alternance par les urnes de son histoire. Une page était tournée et nous allions découvrir, dans la période qui va du 19 mars 2000 au 21 avril 2004, d’autres facettes de l’homme-caméléon.

Nous découvrons d’abord un Djibo Kâ assumant son choix du 14 mars 2000 et très critique à l’endroit de la gouvernance du tout nouveau Président Wade. Ce sera ensuite un Djibo très accommodant et tout d’un coup très amoureux de Me Wade et de son Parti. Au cours de cette dernière période, le très versatile et très renversant leader de l’URD s’est signalé par des déclarations renversantes, aussi contradictoires les unes que les autres. Nous en évoquerons seulement quelques-unes, pour ne pas trop nous attarder sur cette page sombre de l’histoire politique du Sénégal.

Dès l’installation du Gouvernement dit de l’alternance, Djibo Kâ se délecte des premiers couacs, trébuchements et maladresses des nouveaux gouvernants. Dans une interview accordée au quotidien national Le Soleil du vendredi 17 mai 2002, il parlait d’ »overdose électorale », pour caractériser l’attitude du Gouvernement qui ne travaillait pas. « Or, ils (les nouveaux gouvernants) étaient là pour régler les problèmes des Sénégalais. Leurs problèmes sont intacts ; ça s’aggrave. Les paysans, les pasteurs, les pêcheurs et les travailleurs le savent. » M. Kâ aborde ensuite les Finances publiques qu’il qualifie d’exsangues, puis le malheureux (le qualificatif est de lui) taux de croissance qui a été bouffé par l’inflation, etc. Le leader de l’URD poursuit son réquisitoire et ses railleries, en mettant en cause la compétence de Me Wade et sa capacité de gouverner. « C’est la manière de gouverner de Me Wade qui pose problème. Il a beaucoup de bonnes idées, trop nombreuses à mon goût et qui s’entrechoquent pêle-mêle. Il n’y a pas de fil conducteur », lâchait-il.

On en apprend encore sur Djibo quand il parle du Cadre permanent de Concertation (CPC). Pour rappel, ce Cadre regroupait les partis de l’opposition la plus significative, y compris l’Urd. Et voici en quels termes « forts » il en parlait :

« Je considère que le CPC est aujourd’hui comme une alternative possible au pouvoir en place (sic). Nous allons donc travailler à son renforcement et à sa cohésion, pour que cette nouvelle espérance puisse s’incruster dans un projet politique majeur (…) Nous sommes aujourd’hui une opposition démocratique qui montre aux Sénégalais l’alternative. Parmi ceux qui nous gouvernent aujourd’hui, il y a des individualités remarquables, mais il y a un problème de ligne politique et de gestion. Celui qui gouverne ce pays n’a pas de ligne (sic). Avec le CPC, demain, il fera jour. »

Que le lecteur retienne bien ces critiques acerbes contre le Président Wade et son gouvernement ! Qu’il n’oublie surtout ces mots « prophétiques » de Djibo Kâ : « Avec le CPC, demain, il fera jour. »

Donc, le leader de l’URD ne ratait aucune occasion pour clouer au pilori la gestion des Libéraux et les traiter de « cuune » (d’amateurs, d’incompétents). Il reprochait souvent au Président de la République « son manque d’orientation et de vision politique et économique », comme nous venons d’en avoir l’illustration. Dans une interview à Walfadjri du mercredi 31 décembre 2003, il déclarait, à propos de son fameux choix du 14 mars 2000 :

« Lorsque le 14 mars 2000, j’avais pris la décision historique de ne pas m’embarquer dans une aventure (sic), beaucoup de Sénégalais n’avaient pas perçu le sens de mon message. Ceux qui ont gagné les élections de 2000 ne pouvaient pas gouverner, les Sénégalais ne pouvaient pas le comprendre. Ils étaient si fatigués qu’ils voulaient du « jooni jooni ». Mais la politique, ce n’est pas le jooni jooni, c’est la réflexion, la prospective ; c’est le sens du réel (…) Aujourd’hui, les faits m’ont donné raison puisqu’on constate avec regret que ceux qui nous gouvernent sont incapables de faire face… »

M. Kâ se faisait aussi le plaisir de brocarder la politique économique du Gouvernement libéral. L’agriculture en particulier était, à ses yeux, mal en point. Il réfutait tous les résultats qu’il considérait comme « tripotés ». Celui concernant le maïs (500.000 tonnes) « aura été une arnaque officielle ». Rien d’étonnant, puisque le gouvernement « a distribué aux paysans des semences fourragères », semences qui ont donné « beaucoup de plantes longues de trois mètres, mais sans épi ou avec des épis hybrides ». Le « petit berger peul » constatait surtout que « l’élevage (était) oublié (et) même en voie de disparition ». Dans Walfadjri du 6 janvier 2003, il trouvait « ridicule » le taux croissance de 6,6 % et le considérait, lui aussi, comme « une arnaque officielle ».

A l’avant dernière question (du même quotidien) portant sur la gauche sénégalaise dont il se réclamait – que le lecteur le note bien – il répondit, après un rire moqueur : « Vous savez, moi, j’aime bien le président Wade. Vous savez pourquoi ? Parce qu’il est clair. Il a dit l’autre jour, très clairement et c’était peut-être la première fois, en parlant de ses ministres, que le programme qui est appliqué, c’est le programme du Pds, un programme libéral. Il (Wade) ajoute : ″Il ne faut pas l’oublier″. Tout de suite, j’ai enlevé mes lunettes pour me demander comment vont faire les gens de gauche qui sont avec Me Wade. Il y a des formations politiques qui, pendant longtemps, nous ont fatigués avec leur pôle de gauche et qui, aujourd’hui, sont au pouvoir pour appliquer le programme du libéralisme qui est l’antithèse de la gauche. » Notre caméléon ajoute, et c’est ce qui est plus intéressant encore : « Moi, Djibo Leyti Kâ, je ne connais que la Social-démocratie qui va nourrir le monde. La gauche est l’avenir du monde, surtout avec l’alter mondialisation. C’est le régime de partage et il est opérationnel. » C’est clair et net : c’est un homme de gauche qui n’appliquera pas un programme libéral ! Le lecteur a bien compris et sera attentif pour la suite.

Un peu plus d’un an après, le 21 avril 2004 exactement, nous découvrons un autre Djibo Kâ, à la faveur de la formation d’un nouveau Gouvernement, avec Macky Sall comme Premier Ministre. Promu Ministre d’État, Ministre de l’Économie maritime, il devient tout autre et tient un tout autre discours sur Me Wade, devenu entre-temps « un très grand visionnaire que l’Afrique et le monde reconnaissent ». A une question sur son nouveau compagnonnage avec Me Wade, il répond sans sourcilier :

« Nous l’admirons beaucoup, nous travaillons à ses côtés parce qu’il est l’exemple de la ténacité, le type modèle d’endurance et de patience…. Quand je lis Léopold Sédar Senghor et j’écoute Me Abdoulaye Wade, j’avoue, je suis ému, je retrouve des voix et des voies de salut. » Quel jeu de mots !

Quelques mois plus tard, en procédant à la réouverture de la permanence de son Parti à Thiès fermée depuis belle lurette pour défaut de paiement (sic), il renvoie la balle à qui de droit en ces termes :

« Me Wade est un gor (loyal) qui ne sera pas plus gor que nous. Aujourd’hui, il s’est fait jour. Nous nous sommes retrouvés avec le chef charismatique (depuis quand ?) du Sopi qui se battait aussi pour le changement. Notre convergence programmatique avec le président Wade est une convergence philosophique, structurelle et de méthode (« Taxi Le Journal » du mardi 14 septembre 2004, page 4).

Le lecteur se rappelle qu’il avait prédit ceci : « Avec le CPC, demain, il fera jour ». La prédiction s’est révélée exacte : « Aujourd’hui, il s’est fait jour ». Il a atteints ses objectifs politiciens. Sacré personnage qui déclarera, par la suite, que « jamais le Sénégal n’a été aussi bien gouverné que du temps de Me Wade ».

Terrible tout cela ! Le lecteur se rappelle-t-il encore les méchantes railleries à l’endroit du Président Wade et de son Gouvernement, du 19 avril 2000 à cette période de quelques mois avant le 21 avril 2004, quand il préparait sa reconversion ? J’ai toujours du mal à m’imaginer le face à face Wade-Djibo, lors de la réunion de leur premier Conseil des Ministres.

En tous les cas, voilà Djibo Leïty Kâ, dont quelques morceaux choisis – parmi de très nombreux autres –, viennent d’être passés en revue pour illustrer les volte-face, les revirements, les reniements et les renoncements qui ont jalonné toute sa trajectoire politique. L’homme est incapable de vivre hors du pouvoir, dont il ne peut manifestement pas se passer de l’oxygène. Ses interminables va-et-vient ne devraient donc plus étonner, surprendre ou indigner personne. C’est ainsi que DIEU l’a créé.

C’est cet homme sans autre conviction que ses intérêts, que le président Macky Sall est allé chercher pour lui confier une commission-bidon, et lui payer pour rien, à lui et à ses militants, l’argent du contribuable dont nous avons pourtant tant besoin ailleurs. Le problème, ce n’est donc pas lui, ni Ousmane Ngom, ni les nombreux autres transhumants qui passent d’une gouvernance à l’autre sans vergogne. Le problème, c’est plutôt le président-politicien Macky Sall, qui a béni sans état d’âme la détestable transhumance et l’a pratiquement érigée en méthode de gouvernement. Ses électeurs du 25 mars 2012 comme tous les autres compatriotes ont mal, très mal de retrouver dans son entourage immédiat des têtes connues, les mêmes qui ont mangé à tous les râteliers et fait leur temps. Dans toute autre démocratie qui se respecte, tout ce « beau » monde serait plongé pour de bon dans l’oubli. La politique nauséabonde que nous vivons depuis bientôt une quinzaine d’années et, en particulier, depuis le 2 avril 2012, est carrément insoutenable. Il faut beaucoup de courage pour la vivre et continuer de prendre part au débat qu’elle suscite. Cette contribution est, en tout cas, la toute dernière que j’envoie aux journaux. Ce qui ne signifie point pour moi la fin du combat. Le reste de mes forces sera consacré à d’autres activités militantes et citoyennes, notamment en m’employant à rapprocher toutes les Sénégalaises et tous les Sénégalais qui ne traînent pas de casseroles matérielles, politiques ou morales, pour faire face à la machine électorale du politicien Macky Sall en juin 2017.

Mody Niang

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