Dans une volonté de s’attirer les faveurs de Washington, la France a bien souvent pris son parti contre des lanceurs d’alertes comme Julian Assange ou Edward Snowden. Le fondateur de WikiLeaks vit réfugié à l’ambassade d’Equateur à Londres depuis 2012.
Laquais
Publié le 5 Novembre 2016
En Europe et notamment en France, on a tendance à sous-estimer gravement la mésaventure qui est arrivée à Julian Assange il y a trois ans, et à embrasser un peu vite la cause d’une Amérique qui pousse ses pions partout et qui est capable de faire extrader qui elle veut
C’est l’une des plus grosses lâchetés commises par François Hollande au début de son mandat, en juillet 2013. Alerté par une fausse rumeur aussitôt confirmée par notre génie des affaires étrangères Laurent Fabius, rumeur selon laquelle Edward Snowden allait survoler le territoire français à bord de l’avion du président bolivien, le chef de l’Etat français s’est dressé sur ses minuscules ergots pour le lui interdire, non mais sans blague. Puis il a regardé de manière appuyée du côté de Washington pour demander « est-ce que j’ai bon ? »On a senti qu’il regrettait que Kim Dotcom et Julian Assange n’aient pas été dans l’avion, parce que dans le genre « prêt à tout pour plaire aux Américains », au mois de mai de la même année, il n’avait pas pu fayoter suffisamment.
On se souvient qu’il avait accordé foi à deux branquignols du Monde qui rentraient de Damas, par un vol régulier, avec des capsules de sarin dans un bocal, pour jurer que c’était Assad qui les avait lancées. Quand le département d’état américain s’est finalement retourné ,Hollande s’est retourné aussi, un peu comme dans ces comédies musicales où une fille empruntée regarde danser Sinatra pour l’imiter parfaitement au bout de trois mesures.
Eh bien l’attitude européenne à l’égard de Julian Assange depuis 3 ans est comme une énorme comédie musicale américaine, un flashmob permanent, une chorégraphie où tour à tour la Suède, le Royaume Uni, l’Allemagne et la France modèlent leur attitude sur celle de Washington . Tous ces pays trouvent normal que les Etats-Unis essaient de faire accuser un type de viol de manière entièrement artificielle, de le faire extrader vers la Suède qui est à leur botte, puis vers leur propre territoire où il risque cent ans de prison sous trangsène dans le meilleur cas, et dans le plus probable un accident de fourgon blindé. On peut tout dire d’Assange, qu’il l’a bien cherché, etc, on ne peut pas décemment lui reprocher de se défendre désormais en balançant les emails d’Hillary Clinton, pas plus qu’on ne peut reprocher à l’antilope de donner des coups de corne aux hyènes qui l’entourent.
Et puis il y a l’extraordinaire destin de ce type, la situation shakespearienne où il s’est placé, le fait qu’il soit en train de décider à lui seul du sort de l’élection la plus importante de la terre et peut-être du demi-siècle. Les grossièretés de Trump avec les femmes n’ont plus aucune importance. Quand on voit la piètre qualité morale du couple Clinton, telle qu’elle nous est dévoilée peu à peu, on ne peut s’empêcher de comprendre pourquoi une certaine Amérique tient sa revanche et pourquoi une certaine France pourrait s’en inspirer. Après tout la situation du héros seul contre une hydre internationale qui se nourrit du sang des peuples est à la base de tout thriller américain moderne, et Assange n’est pas si différent d’Erin Brokovitch, du Tom Cruise de La Firme, et de tous les gens qui ont affronté le diable dans les fictions d’après-guerre. Si Trump gagne il aura son couvert à Hollywood.
Christian Combaz est écrivain et polémiste.