Nov 21, 2016
L’Union des magistrats du Sénégal (Ums) a rué dans les brancards contre le projet de réforme de la loi organique portant Statut des magistrats. Une telle réaction est compréhensible, car toute corporation a le devoir de veiller à ce que les règles qui l’organisent soient préalablement partagées et discutées entre les différents acteurs, mais surtout doivent emporter autant que possible l’adhésion de ses membres.
Les magistrats reprochent à l’Exécutif «la dénaturation du texte déjà discuté en assemblée intérieure de la Cour suprême, par ajout et suppression de plusieurs dispositions». Les magistrats demandent ainsi le renvoi à l’assemblée intérieure de la Cour suprême dudit texte pour un nouvel examen.
Un reproche a donc été fait au ministère de la Justice de chercher, en quelque sorte, à faire un aux magistrats un bébé dans leur dos. Piquée au vif par une fuite dans la presse du contenu du document adopté en Conseil des ministres le 2 novembre 2016, l’Ums a très vite sorti des déclarations pour dénoncer des dispositions de la mouture de ce texte que ses différentes instances n’avaient pas encore eu l’occasion d’étudier. Les magistrats avaient dans un premier temps annoncé la convocation immédiate d’une Assemblée générale pour se mettre sur le pied de guerre. Ils se raviseront quand la chancellerie recevra le bureau de l’Ums pour lui communiquer le projet de texte. Sur le coup, on a pu considérer que l’Ums avait réagi de manière intempestive comme un quelconque syndicat ouvrier, alors que le profil des membres de cette organisation et surtout la sérénité que requiert leur mission devraient dicter une attitude plus retenue.
Il n’en demeure pas moins qu’à l’analyse des positions exprimées par les deux parties, à savoir le gouvernement d’un côté et l’Ums de l’autre, on peut considérer qu’il existe de nombreux vices dans cette affaire. Les positions exprimées révèlent de forts relents de subjectivisme.
En effet, ce qui a semblé le plus provoquer le courroux de l’Ums, si on en juge par les déclarations publiques de ses responsables, serait l’instauration d’un mandat aux hautes fonctions au niveau de la Cour suprême. Certains responsables de l’Ums estiment qu’une telle disposition est taillée sur mesure, car elle serait destinée à favoriser quelques hauts magistrats bien identifiés, qui occupent présentement de telles fonctions et qui seraient dans les bonnes grâces du pouvoir exécutif. On peut considérer a priori que nul n’est dupe et que la critique ne manque pas d’être fondée. Seulement, l’Ums tombe dans le même travers qu’elle dénonce, quand elle se met à citer des noms de personnes qui se verraient enlever toutes possibilités de pouvoir accéder dans leur carrière à d’aussi hautes et prestigieuses fonctions. Et dans l’absolu, l’Ums ne devrait pas remettre en cause l’instauration d’un mandat au niveau de ces fonctions à la Cour suprême. En effet, le principe d’un mandat inamovible et irrévocable demeure la meilleure garantie d’indépendance pour un magistrat, qui plus est, un magistrat placé à des fonctions aussi importantes dans l’appareil judiciaire. Cela constituerait non seulement une garantie de stabilité, mais un véritable bouclier contre les soubresauts de la vie politique qui pourraient impacter les institutions judiciaires. Dans la situation actuelle, si d’aventure la Cour suprême prenait une décision qui déplairait au pouvoir politique, rien n’empêcherait la chancellerie de provoquer une réunion du Conseil supérieur de la Magistrature pour proposer le changement de magistrats désobéissants. Le pouvoir politique a encore, il faut le dire, de grandes possibilités de manipulation dans la gestion de la carrière des magistrats. On a encore en mémoire la réforme initiée en 1992, qui avait pour motivation cachée d’extirper des hauts magistrats de l’appareil judiciaire, comme Assane Bassirou Diouf et Basile Senghor, qui passaient, aux yeux du régime du Président Abdou Diouf, comme des magistrats rebelles. En outre, l’institutionnalisation de mandats au niveau des hautes juridictions constitue une bonne pratique qui tend à se développer à travers le monde. D’ailleurs en 2012, tout le monde s’était félicité de l’instauration d’un mandat au niveau de la Cour des comptes, qui pourtant est renouvelable une fois. On avait estimé que c’était une garantie supplémentaire pour l’indépendance du président de la Cour des comptes. Pourtant, la Cour suprême est censée redresser certaines décisions de la Cour des comptes et des Cours d’appel au niveau desquelles un régime de mandats est instauré. L’Ums devrait alors prôner l’instauration d’un régime de mandats au niveau de la Cour suprême pour rester logique avec sa démarche. Mieux, elle aurait pu demander au ministère de la Justice d’aller plus loin dans son élan de fixer des mandats pour l’élargir par exemple à des fonctions comme le Parquet de la République près le Tribunal régional de Dakar et la présidence de cette juridiction qui constitue le principal poumon de l’appareil judiciaire sénégalais.
L’autre argumentaire des magistrats et qui affaiblirait davantage leur position est lié au fait que les bénéficiaires supposés de la réforme devraient aller à la retraite sous peu et que ce serait un moyen détourné pour les garder en fonction. Sur ce point, l’Ums ne devrait plus alors accepter que des magistrats à la retraite soient recyclés au niveau du Conseil constitutionnel, où ils continueront d’exercer des emplois judiciaires bien qu’ayant dépassé l’âge de la retraite.
Il reste que le gouvernement n’a pas su donner les bonnes réponses ou adopter la bonne position face la révolte annoncée des magistrats. Le ministère de la Justice s’est empressé de proposer, dans la réforme, d’allonger l’âge pour partir à la retraite de certains hauts magistrats pour le porter de 65 à 68 ans. C’est la preuve la plus évidente que la réforme est taillée sur mesure et que le gouvernement cherche coûte que coûte à ce que les toges soient portées par des personnes déjà identifiées. Un tel entêtement vide le projet de loi de son caractère impersonnel et lui donne une subjectivité suspecte.
Les positions de l’Ums ne manquent pas de provoquer un certain malaise auprès de certains nombreux magistrats qui considèrent qu’un combat d’arrière-garde ne serait pas étranger à l’attitude de l’Ums. Ainsi, faudrait-il éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain. La réforme préconisée comporte des dispositions qui constituent de véritables avancées en termes de renforcement de l’indépendance de la Magistrature et de la mission de distribution et d’administration de la justice.