La résolution 2334 a recueilli quatorze voix en sa faveur, passant grâce à l’abstention américaine ; une décision historique qui a suscité la réprobation d’Israël.
LE MONDE | 23.12.2016 à 20h49 • Mis à jour le 24.12.2016 à 11h40 | Par Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)
Abonnez vous à partir de 1 € Réagir Ajouter
Partager Tweeter
Barack Obama a décidé de laisser à son successeur, Donald Trump, un héritage qu’il ne pourra défaire : la résolution 2334, adoptée au Conseil de sécurité des Nations unies (ONU), vendredi 23 décembre. Ce texte dénonçant la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens occupés a recueilli quatorze voix en sa faveur, passant grâce à l’abstention américaine.
Au terme de quarante-huit heures de tourbillon politique, l’administration Obama a décidé de replier le parapluie qu’elle avait systématiquement déployé depuis huit ans au-dessus d’Israël, au Conseil de sécurité. Ce coup de semonce est une défaite politique sévère pour le premier ministre Benyamin Nétanyahou et une sanction contre la promotion décomplexée de la colonisation par la droite israélienne.
Le texte de la résolution, contrairement aux affirmations des responsables israéliens, n’est pas fondamentalement hostile à l’Etat hébreu. Il s’inscrit dans la lignée de la résolution 465, adoptée en 1980, qui dénonçait déjà l’extension des colonies, jugées illégales.
Un souci d’équilibre
En outre, il se place à la suite du rapport du Quartet – Etats-Unis, Russie, Union européenne (UE), ONU –, publié le 1er juillet, qui dressait un état des lieux alarmant de la réalité, sur le terrain. La résolution 2334 estime elle aussi que la construction et l’extension des colonies mettent « gravement en danger la viabilité de la solution à deux Etats ».
Par ailleurs, dans un souci d’équilibre réclamé notamment par Paris et Washington, le texte « condamne tous les actes de violence contre les civils, dont les actes terroristes », une référence aux attaques palestiniennes. La résolution exige la « cessation immédiate » de la colonisation dans les territoires palestiniens occupés, dont Jérusalem-Est, et loue les efforts diplomatiques entrepris par la France, la Russie et l’Egypte, au cours des derniers mois, pour relancer un dialogue sur le conflit.
« C’est une victoire pour le terrorisme, la haine et la violence », s’est lamenté Danny Danon, l’ambassadeur israélien auprès de l’ONU, selon lequel la résolution représente un « non à la possibilité d’une paix ». Le bureau du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a aussitôt rejeté cette « résolution anti-israélienne honteuse » et annoncé qu’Israël ne s’y conformera pas.
Amertume israélienne
A l’origine, le texte avait été présenté mercredi soir par l’Egypte, à la surprise générale. Mais Donald Trump est intervenu pour peser de tout son poids de président élu des Etats-Unis auprès d’Abdel Fattah Al-Sissi. Il a demandé au président égyptien de renoncer à son initiative. Son interlocuteur n’a pas voulu compromettre ses futures relations avec le président américain, et a donc retiré son texte.
Mais la volte-face de l’Egypte n’a pas condamné son initiative. Quatre membres non permanents du Conseil de sécurité – la Nouvelle-Zélande, la Malaisie, le Sénégal et le Venezuela – ont pris le relais du Caire, pour promouvoir la résolution dans une version identique.
Vendredi dans l’après-midi, sous couvert d’anonymat, des responsables israéliens exprimaient leur amertume – et aussi une certaine panique – dans les médias, en affirmant que Barack Obama et le secrétaire d’Etat américain John Kerry se trouvaient derrière ce « coup honteux » et qu’ils « abandonnaient » Israël.
L’accusation est d’autant plus injuste que, comme le rappelait vendredi soir l’ambassadrice américaine à l’ONU, Samantha Power, M. Obama a « démontré un engagement sans précédent pour la sécurité d’Israël ». La diplomate faisait implicitement référence au nouvel accord de défense sur dix ans, conclu entre les deux pays à l’automne pour un montant de 38 milliards de dollars (36,3 milliards d’euros).
590 000 colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est
Samantha Power a expliqué que les Etats-Unis ne votaient pas en faveur de la résolution parce qu’elle « se concentre trop étroitement sur les colonies » en ne tenant pas compte des autres facteurs dans le conflit.
Mais l’abstention se justifie, selon elle, par la continuité de la position américaine, d’un président à l’autre, républicain ou démocrate, depuis des décennies : elle se résume par une condamnation de la colonisation et un soutien à une solution à deux Etats. En 2011, l’administration Obama avait ainsi opposé son veto à une résolution condamnant la colonisation, dont la formulation avait été jugée trop déséquilibrée.
L’ambassadrice américaine a rappelé que le nombre de colons s’élevait à présent à 590 000 en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, dont 90 000 au-delà de la barrière de sécurité construite par les Israéliens.
L’examen actuel d’un projet de loi à la Knesset légalisant tous les avant-postes – colonies sauvages et illégales, même au regard du droit israélien – illustre la pente dangereuse suivie par le pays, alors que sera célébré, en juin 2017, le 50e anniversaire de l’occupation. « Il faut faire un choix entre les colonies et la séparation » avec les Palestiniens, a lancé Mme Power à l’attention du premier ministre Benyamin Nétanyahou.
Lire aussi : Les colons, la bombe à retardement d’Israël
La frustration de John Kerry
S’exprimant lors du Forum Saban à Washington, le 4 décembre, John Kerry, avait exprimé sa frustration vis-à-vis de la droite israélienne et son idée d’un « grand Israël » qui absorberait les territoires occupés.
Interrogé sur la position de l’administration Obama en cas de résolution au Conseil de sécurité de l’ONU, M. Kerry avait traduit les hésitations de la Maison Blanche. « S’il s’agit d’une résolution biaisée et injuste prévue pour délégitimer Israël, nous nous y opposerons. Evidemment que nous le ferons. Nous l’avons toujours fait. Mais cela devient de plus en plus compliqué », ajouta-t-il, ne cachant pas sa frustration.
Lors de sa première élection, Barack Obama semblait décidé à agir sur ce dossier. Au second jour après son entrée en fonctions, il avait ainsi nommé un envoyé spécial pour le Proche-Orient, George Mitchell. Mais dès 2010, l’échec de sa première tentative de médiation avait découragé le président américain, qui avait délégué le dossier à son secrétaire d’Etat.
John Kerry a fourni beaucoup d’efforts, qui se sont révélés vains. Depuis l’effondrement des négociations israélo-palestiniennes en avril 2014, puis la guerre dans la bande de Gaza l’été suivant, les relations politiques entre les deux parties dans le conflit sont inexistantes. Seule la coordination sécuritaire fonctionne à plein.
Au cours des derniers mois, la droite nationale religieuse en Israël n’a pas caché sa satisfaction à l’idée de tourner la page des années Obama et de saisir l’occasion d’une remise à plat des relations bilatérales avec les Etats-Unis, grâce à l’arrivée de M. Trump à la Maison Blanche.
Ce dernier a réitéré son intention de déménager l’ambassade des Etats-Unis de Tel Aviv à Jérusalem, en rupture complète avec la tradition diplomatique de son pays, selon laquelle le statut de Jérusalem ne sera déterminé que dans le cadre de négociations de paix. Enfin, le président élu a déjà annoncé l’identité du futur ambassadeur en Israël. Il s’agit de David Friedman, un ami avocat spécialiste de la banqueroute, connu pour son soutien idéologique à la colonisation et son opposition à un Etat palestinien.
L’« héritage » d’Obama
« Ce vote risque de pousser Trump à être encore plus pro-israélien, souligne un diplomate à Jérusalem. On risque d’assister par exemple à un déménagement accéléré de l’ambassade des Etats-Unis de Tel Aviv vers Jérusalem. »
Dans un tweet, Donald Trump a assuré vendredi soir que « les choses seront différentes après le 20 janvier ». Mais la résolution, elle, ne pourra être défaite. La seconde conférence pour la paix au Proche-Orient, que la France compte organiser le 15 janvier à Paris, après une première rencontre en juin, devrait se tenir dans une ambiance plus tendue que prévue.
En Israël, l’adoption de la résolution va dominer le débat public dès la fin du shabbat, samedi soir, alors que le pays s’apprête à fêter Hanoucca. Yaïr Lapid, le chef de file du parti de centre-droit Yesh Atid, aujourd’hui dans l’opposition, épouse totalement la ligne de M. Nétanyahou.
Au cours d’une conférence téléphonique, vendredi soir, avec des correspondants étrangers, M. Lapid a fait savoir qu’il s’était entretenu dans la journée avec un conseiller de Barack Obama pour exprimer sa vive inquiétude à l’idée d’une abstention américaine. L’ancien journaliste trouve « étrange » que le président démocrate laisse « ce genre d’héritage » sur le bureau de son successeur.
Mais il redoute surtout les conséquences pour Israël. « Cette résolution ne parle pas de sanctions, mais elle fournit l’infrastructure pour de futures sanctions, c’est ce qui est alarmant, dit-il. Cela peut donner corps à des plaintes devant des juridictions internationales contre Israël et ses responsables. Ce sera un chemin long et compliqué, et je vous assure que pendant cette période, il n’y aura pas de négociations. »