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Le 13 janvier, 2017 Il était trouvable dans les vide-greniers, encore plus facilement sur le Web, mais depuis 1945, Mein Kampf faisait l’objet en Allemagne d’une interdiction de toute nouvelle édition. Tombé dans le domaine public en janvier 2016, l’ouvrage signé Adolf Hitler a aussitôt retrouvé les rayons des librairies, enrichi de milliers de notes historiques.
Un an après, le bilan de cette réédition est une surprise. Hitler, Mein Kampf. Eine kritische Edition s’est révélé être un succès de librairie, avec pas moins de 85 000 exemplaires vendus. Son éditeur, l’Institut d’histoire contemporaine de Munich, en avait à l’origine sorti 4 000 exemplaires. Le livre en est déjà à sa sixième édition.
«Il y a forcément un effet de rattrapage puisque le livre était interdit de publication depuis soixante-dix ans», analyse Florent Brayard. Ce chercheur du CNRS codirige pour Fayard la version française de Mein Kampf, qui sera comme en Allemagne accompagnée d’un important appareil critique. Selon lui, même si les éditions historiques du pamphlet étaient accessibles, «beaucoup de lecteurs ne voulaient pas lire une version des années 30 ou 40. L’édition critique a changé la donne, sans pour autant dissiper entièrement la charge historique de l’ouvrage. Si les ventes sont aussi importantes dans les prochaines années, là ça posera question.»
Deux tomes, six kilos
La réédition allemande se présente en deux tomes austères de 2 000 pages en tout, pesant «pas loin de six kilos», précise Florent Brayard. Le texte original est accompagné par 3 500 notes explicatives. Elle est vendue 59 euros, un prix modique pour l’énorme volume de travail critique.
[(FILES) This file photo taken on January 08, 2016 shows a copy of an annotated version of Adolf Hitler&squot;s book « Mein Kampf » prior to a press conference for its presentation in Munich, southern Germany, on January 8, 2016. The first reprint of Adolf Hitler&squot;s « Mein Kampf » in Germany since World War II has proved a surprise bestseller, heading for its sixth print run, its publisher said on January 3, 2017. / AFP PHOTO / Christof STACHE]
Un exemplaire de Mein Kampf, une édition critique, présentée à Munich, le 8 janvier 2016.
Qui l’achète ? L’Institut d’histoire contemporaine de Munich a demandé aux libraires de tout le pays de leur donner des éléments sur la sociologie des acquéreurs de Mein Kampf. Il s’agit de «passionnés d’histoire, d’enseignants, plutôt jeunes, avec un haut niveau d’étude», détaille Florent Brayard, pour qui «cette édition n’a suscité aucune attente chez les gens d’extrême droite. A partir du moment où le texte est disponible gratuitement sur Internet, pourquoi s’embarrasseraient-ils d’une édition critique ?»
Jérôme Vaillant, lui, n’a pas attendu la version de 2016. Ce professeur de civilisation allemande à Lille, rédacteur en chef de la revue Allemagne(s) d’aujourd’hui, a acheté des éditions historiques du livre de Hitler dans les brocantes allemandes. «En tant qu’enseignant, je ne pouvais pas imaginer parler de Mein Kampf sans disposer du texte, et faire lire des extraits à mes étudiants, directement à la source», commente-t-il. D’un point de vue scientifique, donner à lire les mots mêmes du dictateur dans cette réédition serait donc une bonne chose. Sur l’importance du texte, le chercheur rappelle néanmoins que la place de l’ouvrage est «à relativiser dans le succès de Hitler en Allemagne», et même dans l’histoire du nazisme.
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Le projet (et la vertu) de cette nouvelle édition n’est bien sûr pas «de réhabiliter le IIIe Reich, rappelle Jérôme Vaillant. Mais bien de faire la part des choses, de montrer où Hitler exagère les faits, où il est pris en faute». Cet aspect critique est absent des versions pirates qui circulent sur Internet, et notamment de certaines éditions américaines qui ont au contraire pour but de défendre le nazisme. «C’est de cela dont on peut être inquiet», explique-t-il.
Un livre rébarbatif
Ses acheteurs se plongent-ils réellement dans Mein Kampf ? Rien n’est moins sûr, tant sa lecture est réputée pour être peu attrayante. «Certes, on ne lit pas ça comme un roman policier», ironise Jérôme Vaillant. «A lire, c’est une expérience extraordinairement pénible, juge pour sa part Florent Brayard. Le style de Hitler est maladroit, compliqué.» Il reste que ce texte est chargé d’une symbolique aussi forte que s’il portait la responsabilité des drames du XXe siècle à lui tout seul.
Un poids dont le codirecteur du futur Hitler, Mein Kampf, une édition critique des éditions Fayard est particulièrement conscient. «S’engager dans une aventure comme celle-là, c’est l’assurance de prendre des coups. Et pourtant il faut le faire, pose Florent Brayard. Nous travaillons sur le dispositif institutionnel et scientifique, qui doit être irréprochable. Nous le présenterons publiquement une fois qu’il sera finalisé.» En attendant, l’homme refuse de «trop en parler. Nous devons travailler dans le calme», comprendre : loin du débat public et des polémiques, comme celle née en 2015 lors de l’annonce d’une réédition française. Selon Fayard, le livre pourrait sortir fin 2018 ou début 2019.
Auteur: Libération