Le dessin d’enfant, tout un monde au bout du crayon

 

French-author © Malick MBOW
French-author © Malick MBOW

Xavier Renard (à Tours), le 14/02/2017

Se pencher sur les dessins d’un enfant est un moyen à nul autre pareil d’entrer en dialogue avec lui et de suivre son évolution psychomotrice.

 

Les dessins témoignent des étapes de la construction psychomotrice des enfants. / Amélie Benoist/BSIP

C’était il y a huit ans. Olivier a imprimé dans sa mémoire un dessin de Timothée, le fils de Barbara, qui partage sa vie depuis dix ans. Dans un mélange d’excitation et d’anxiété, le petit garçon, alors âgé de 7 ans, s’était appliqué à représenter sur sa feuille blanche l’arrivée dans le foyer d’Hippolyte, son demi-frère, alors que le ventre de sa maman s’arrondissait. Ce père de famille de 43 ans se souvient aussi des premiers dessins d’Hippolyte, qui reproduisait à n’en plus finir les initiales de son prénom et de son nom, et plus tard des histoires de dinosaures dévorant d’autres animaux qu’il imaginait le crayon à la main.

« Quand il était plus petit, nous partagions des moments par le dessin. Je me rappelle de peintures que nous avions réalisées ensemble pour l’anniversaire de sa maman », raconte cet ancien graphiste parisien venu s’installer dans le sud de l’Indre-et-Loire, où il est récemment devenu professeur d’arts plastiques en collège.

« Le moyen d’approche privilégié vers la connaissance de sa personnalité »

Dès les premiers gribouillis, les dessins d’un enfant apparaissent comme « le moyen d’approche privilégié vers la connaissance de sa personnalité, d’un monde de formes et de couleurs dont lui seul a la clé »,estime Roseline Davido, ancienne inspectrice de l’éducation nationale et psychologue scolaire, auteur de nombreux ouvrages comme La Découverte de votre enfant par le dessin (1).

Durant les années où Hippolyte dessinait avec une plus grande ardeur, Olivier s’est justement aperçu que cette pratique « était sa façon de se placer dans le monde, de se montrer tel qu’il se voyait ». C’est ce qui fait dire au docteur Philippe Greig, psychiatre à Bordeaux et auteur d’un récent ouvrage sur le sujet (2), que le dessin d’enfant n’est autre que le reflet « de ce que ce dernier vit à la maison ».

Les enfants grandissant, les dessins demeurent des témoignages précieux – à forte teneur affective – du passé, comme peut l’être un album de photos. Ils permettent aussi de reconstituer les étapes de leur construction psychomotrice.

Préserver le plus possible de dessins

Pierrette Rivaud, 66 ans, a conservé de nombreuses productions réalisées par ses trois fils, aujourd’hui âgés de 27 à 39 ans : « Quand les enfants revenaient de l’école avec leur travail, les dessins occupaient une place centrale. C’était toujours un moment essentiel, surtout en maternelle, où ils nous expliquaient pourquoi ils avaient dessiné telle ou telle chose », raconte-t-elle.

Faute de place, depuis qu’elle a déménagé dans un plus petit appartement, elle a remisé dans sa cave les premières esquisses figuratives représentant ce que les chercheurs appellent « le bonhomme têtard », les grandes fresques abstraites en peinture, marquant le début de la scolarité, jusqu’aux dessins plus élaborés du collège, en attendant que ses fils les lui réclament.

Olivier a également veillé à sauvegarder une partie des dessins, éprouvant le même désir de « conserver une trace » comme il l’avait fait pour ses propres dessins quand il était enfant : « Je me projette. Bien sûr, nous n’avons pas tout gardé mais cela leur permettra, une fois adultes, d’avoir des jalons ».

« C’est un investissement de la famille »

Cette sélection donne parfois du fil à retordre aux parents, qui n’ont pas toujours bonne conscience à jeter les œuvres de leurs bambins. Parents de deux petites filles scolarisées en maternelle, Madeline et Pierre ont mis beaucoup de temps à se résoudre à jeter une partie du tas de feuilles qui s’empilait dans un coin de leur salon. « Au départ, nous avons eu beaucoup de scrupules, disent-ils. Mais, un jour, nous leur avons demandé de faire du tri et d’en jeter quelques-uns. Elles ont surtout choisi de se débarrasser des coloriages comme si leurs propres dessins avaient un caractère sacré ».

Le docteur Philippe Greig encourage les parents à en préserver le plus possible : « C’est un investissement de la famille. La part de créativité de l’enfant va se charger des deux images parentales, ce qui est très porteur, comme de prêter attention à sa façon de jouer. Tout ceci fait avancer, progresser l’enfant. » À plus forte raison qu’il s’agit, aux yeux de Roseline Davido, « d’un cadeau de prix que l’enfant offre à ceux qu’il aime ».

« La qualité des dessins est représentative de l’équilibre affectif de l’enfant »

Chez Olivier, Hippolyte et Timothée ne dessinent presque plus. Bien que professeur d’arts plastiques, ce père ne s’en alarme pas : « Je ne suis pas spécialement dans l’attente. De toute façon, s’ils doivent redessiner, cela viendra d’eux ». Il continue néanmoins à nourrir leur culture artistique, en les emmenant voir des expositions ou en leur faisant découvrir des artistes qu’il aime. Il reste également attentif aux illustrations qu’ils doivent réaliser pour l’école ou le collège, où le dessin se révèle des plus utiles pour détecter les éventuelles difficultés.

Roseline Davido a, d’ailleurs, mis au point un test de dépistage, le Davido-Chad (lire ci-dessous), utilisé dans le monde entier pour détecter les souffrances, les carences affectives, parfois les abus sexuels ou psychologiques, à l’origine, dans bien des cas, des retards cognitifs : « La qualité des dessins, abstraction faite du caractère esthétique, n’est pas seulement représentative du niveau intellectuel, mais aussi de l’équilibre affectif de l’enfant, dont dépendent souvent ses facultés d’adaptation, tant familiales que scolaires », expose-t-elle.

Le docteur Philippe Greig, lui, établit une corrélation entre le niveau de l’expression orale d’un enfant et sa créativité graphique : « On n’imagine pas à quel point l’écart se creuse entre les enfants, dès la maternelle, observe-t-il. Si l’un d’eux n’est pas capable, à 4 ans et demi, de représenter la tête et le corps, comment voulez-vous qu’il trouve son chemin dans l’alphabet? »

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Un test psychologique basé sur le dessin

Mis au point à la fin des années 1990 par la psychologue Roseline Davido, le Davido-Chad est un test s’adressant à toute personne âgée de 3 ans et plus et visant à dépister les carences, les maltraitances et les souffrances qui sont souvent le point de départ de l’échec scolaire et de la désocialisation. « Cette méthode aide l’enfant à s’exprimer… même sans parler », dit-elle.

Aux adultes, elle propose trois dessins : le dessin d’enfance (Childhood) – celui que le sujet répétait quand il était petit –, le dessin des mains (Hand) et le dessin de la main qui gêne (Disturb).

Chez l’enfant, ce test clinique est complété par un dessin libre (Free-Drawing), qui permet d’entamer un dialogue et d’envisager, le cas échéant, un début de thérapie.

Xavier Renard (à Tours)

(1) Ed. de l’Archipel, 2012.

(2) Le Dessin de l’enfant : jeu, langage et thérapie, Ed. Érès, 2016.

 

Pef : « Qu’ils apprennent cette magie de l’envolée de la main ! »

Recueilli par Xavier Renard (à Tours), le 14/02/2017 à 15h01
Mis à jour le 17/02/2017 à 15h23

Se définissant comme un « vieux combattant de l’enfance », le dessinateur Pef (1), créateur du Prince de Motordu, déplore que l’école ne valorise pas davantage la créativité.

 

French author of children’s books Pierre Elie Ferrier, also know as Pef, poses during a photo session in Montreuil, outside Paris on December 4, 2016. / AFP PHOTO / JOEL SAGET / JOEL SAGET/AFP

La Croix : Est-il possible de préserver la spontanéité des dessins d’enfants, alors que les exigences de l’éducation artistique se font de plus en plus précises, au collège notamment ?

Pef : J’écume les écoles et les collèges depuis plus de quarante ans. J’observe que rien n’a réellement changé pour l’éducation artistique. L’école sert en premier lieu à apprendre à lire, à écrire et à compter, mais je suis désolé devant l’absence de moyens mis à disposition des enseignants pour l’apprentissage du dessin. Prenez les feuilles de papier, les enfants disposent au mieux de formats A3. Ils ont très peu l’occasion de s’exprimer en grand, d’exercer cette gymnastique ample de la main pour laisser libre cours à leur imaginaire.

Je rêve de voir les enfants apprendre à faire de grandes fresques. Je suis aussi attristé de voir que dans la plupart des écoles, les dessins des élèves ne sont pas affichés sur les murs des classes. Cette instruction, qui émane de l’éducation nationale, soucieuse de limiter les risques d’incendie, est très dommageable.

La créativité de l’enfant n’est donc pas une priorité ?

Pef : Nous vivons dans une société très cartésienne. Au collège, les élèves apprennent les perspectives et les lignes droites mais ne savent rien de la poétique du dessin. Pour moi, le dessin est une écriture sauvage non policée. Quand je vais dans les écoles, les enfants me font toujours cadeau de leurs dessins, très petits en général, comme s’ils voulaient cacher leur inexpérience.

Personne n’est là pour leur donner confiance, les aider techniquement à faire éclore leur monde. Je leur dis de se lâcher devant leur feuille blanche mais dès que je suis parti, il n’y a plus grand monde pour prendre le relais. Pourtant, leur production laisse apparaître leur âme, la façon dont ils voient le monde et s’y projettent. C’est toujours émouvant. Ma mère, qui était institutrice, avait l’habitude de dire à ses élèves : « Maintenant que nous avons fini de travailler, dessinons ! »

Que recommanderiez-vous aux parents ?

Pef : Je les encourage à équiper leurs enfants et à leur faire – dans la mesure du possible – de la place pour qu’ils dessinent librement. Quand je reçois mes petits-enfants, ils se ruent sur les crayons. Ils font une razzia sur les feuilles. Qu’on accorde à tous des moyens pour qu’ils apprennent cette magie de l’envolée de la main ! Qu’on leur laisse la liberté de créer et surtout qu’on leur dise de ne jamais s’arrêter !

J’ai appris le dessin tout seul et je n’ai jamais cessé d’apprendre. Pour cela, l’enfant doit aussi accepter de travailler en silence. Quand j’écris mes livres, j’ai besoin d’être porté par une atmosphère calme, propice au voyage. Une page blanche est une digue contre l’océan des mots et des traits. Mais il faut aussi consentir à abandonner les écrans, cela veut dire lutter contre les vents dominants. Et puis, il faut tout conserver dans un carton à dessin, dater chaque production pour reconstruire une évolution graphique.

Recueilli par Xavier Renard (à Tours)

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