Bernard Arnault va faire rénover le Musée des arts et traditions populaires par Frank O. Gehry

Architecture

Frank O. GEHRY© Malick MBOW
Frank O. GEHRY© Malick MBOW
MUSEE-ATP © Malick MBOW
MUSEE-ATP © Malick MBOW

Le bâtiment, situé non loin de la Fondation Louis Vuitton, dans le bois de Boulogne, était fermé depuis douze ans.

LE MONDE | 08.03.2017 à 10h23 • Mis à jour le 08.03.2017 à 17h29 |Par Jean-Jacques Larrochelle et Nicole Vulser

 

 

L’annonce a été officielle mercredi 8 mars en début d’après-midi. L’ancien Musée des arts et traditions populaires (ATP), situé en lisière du bois de Boulogne à Paris, fermé au public depuis douze ans, va être transformé par Bernard Arnault, PDG de LVMH, en un centre culturel autour des métiers d’artisanat d’art. Baptisé « Maison LVMH – Arts -Talents Patrimoine », celui-ci devrait ouvrir en 2020.

Pour célébrer le renouveau de ce musée, François Hollande était accompagné de la maire de Paris, Anne Hidalgo, du PDG du principal groupe de luxe mondial, de la ministre de la culture et de la communication Audrey Azoulay, de la ministre de l’environnement Ségolène Royal mais aussi de l’architecte Frank Gehry, chargé de la rénovation de ce bâtiment. Thomas Dubuisson, petit-fils de l’architecte Jean Dubuisson (1914-2011), qui avait initialement dessiné ce musée – en collaboration avec Michel Jausserand et Olivier Vaudou –, faisait également partie des invités d’honneur.

Le Musée des ATP, conçu par l’un des inventeurs du concept de musée ethnographique, Georges-Henri Rivière, se situe à quelques centaines de mètres de la Fondation Louis Vuitton. Une manière pour Bernard Arnault d’étendre géographiquement son empire.

Aujourd’hui, le plus important des deux bâtiments de ce musée construit en 1972, un monolithe aux lignes épurées et radicales de huit étages – l’antithèse même de l’architecture de Gehry pour la Fondation Louis Vuitton –, est en partie caché par des palissades. Pour mieux le contraindre à l’oubli, sans doute, depuis que toutes ses collections (plus de 250 000 objets) ont été envoyées au MuCEM de Marseille. Les 200 000 visiteurs que comptaient les ATP dans les années 1970 avaient progressivement fondu, pour atteindre 20 000 la dernière année d’ouverture au public – d’où sa fermeture, au printemps 2005.

Site classé

Les collections de ce musée d’ethnologie, qui donnaient à voir la société française rurale et artisanale du XIXe siècle jusqu’en 1960, n’attiraient plus les foules. La forge du Queyras, la ferme de Basse-Bretagne et tous les ensembles d’objets présentés dans des vitrines, comme des « unités écologiques » captées dans leur contexte, semblèrent rapidement datés. Faute de crédits ou de volonté, les ATP n’ont pas su se renouveler. La Cour des comptes a eu beau jeu de critiquer le ministère de la culture, qui a conservé une centaine d’employés « dont les activités étaient des plus réduites » après la fermeture, et ce jusqu’en 2011.

Sans lui donner de perspectives, l’Etat a tout simplement abandonné ce musée. Le Centre national du cinéma n’a pas souhaité y aller. Le bâtiment, l’un des plus représentatifs des « trente glorieuses », tombe aujourd’hui en ruine. La Ville de Paris en avait concédé l’usage à l’Etat par une convention signée pour trente ans en 1954, renouvelée une fois jusqu’en 2014. Pendant des années, le montant des travaux nécessaires pour que le ministère restitue les lieux à la Ville « en bon état d’entretien » a suscité de violentes frictions.

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La Ville estimait la facture à 15 millions d’euros, le ministère se contentait de 3,8 millions. La poire a finalement été coupée en deux, et la Rue de Valois a accepté de débourser 10 millions d’euros pour les travaux de première urgence, dont un nécessaire désamiantage, avant de rendre le musée à la Ville de Paris.

Un institut des métiers d’excellence

Puisqu’il s’agit d’un site classé, ce bâtiment ne pouvait être vendu. Et la nature des activités, culturelles et récréatives, qu’il abritait ne pouvait pas non plus être modifiée. C’est en raison de ces contraintes que le recours à un concessionnaire privé s’est imposé. Les discussions ont pu démarrer avec Bernard Arnault, qui souhaitait, de longue date, s’adjoindre ce bâtiment. D’autant plus qu’il est déjà concessionnaire de la Fondation Louis Vuitton et du Jardin d’acclimatation, tout proches.

C’est donc chose faite, au moment précis où la Fondation Louis Vuitton a franchi le cap historique du 1,2 million de visiteurs pour l’exposition consacrée à la collection Chtchoukine. Les ATP se métamorphoseront en un lieu qui vise à contribuer au rayonnement culturel de Paris, en mêlant différentes disciplines artistiques mais en faisant la part belle aux métiers d’artisanat d’art et aux savoir-faire. Les 13 600 m2 seront ainsi réorganisés entre une très grande salle, capable d’accueillir entre 2 000 et 4 000 personnes (2 600 m2) et destinée aux événements ou aux concerts, et une salle plus petite (700 m2). « Il est un peu trop tôt pour parler de la programmation des concerts. J’aimerais d’abord être sûr de la date à laquelle nous ouvrirons », a expliqué Bernard Arnault. Ses deux chantiers parisiens – la Fondation Vuitton et La Samaritaine – ont en effet pris dix ans de retard par rapport au calendrier initial. Le président de la République, enchanté par le projet, lui a rétorqué : « Il faut faire les choses en moins de cinq ans. Si on attend dix ans, le pari est perdu… »

A ces grandes salles s’ajouteront des ateliers d’artisans d’art, conçus en collaboration avec LVMH, une académie des métiers d’art et des savoir-faire, qui sera constituée à partir d’une documentation issue de fonds privés (dont LVMH), et, enfin, un institut des métiers d’excellence, dont l’objet sera de susciter des vocations. Un des axes du projet consiste en effet à s’adresser à un large public, jeune, pour lui faire découvrir ces professions. Par ailleurs, un restaurant est prévu au huitième et dernier étage.

Frank Gehry a réfléchi à une manière de réinterpréter le bâtiment, sans toutefois en altérer la physionomie. Cette transformation a été imaginée en collaboration avec Thomas Dubuisson, qui a travaillé pour lui dans son agence de Los Angeles. L’aspect extérieur du bâtiment sera peu modifié ; le bâtiment, mis aux normes et bénéficiant du label HQE (haute qualité énergétique), sera enveloppé d’un habillage de verre d’apparence légère.

Les espaces intérieurs feront en revanche l’objet de modifications beaucoup plus sensibles. Un escalier monumental, non visible depuis l’avenue du Mahatma-Gandhi, qui longe la Fondation Louis Vuitton et le musée des ATP, sera adossé au bâtiment, côté Jardin d’acclimatation, de manière à créer une nouvelle connexion avec les espaces verts.

158 millions d’euros de travaux

Le montant des travaux est estimé à 158 millions d’euros – dont une bonne partie sera défiscalisable au titre du mécénat. La totalité de l’opération est financée par le groupe de luxe et ne coûtera pas un centime à la Ville. LVMH devra s’acquitter d’une redevance annuelle de 150 000 euros, à laquelle s’ajoutera une part variable (de 2 % à 10 %) selon les activités : billetterie, concerts, restaurant, produits dérivés… Finalisée vendredi 3 mars, la convention qui lie la maison mère de Louis Vuitton à la capitale durera cinquante ans (hors travaux), alors que LVMH espérait une durée de soixante-dix ans. Après quoi la Ville reprendra possession de son bien.

Dans l’incessante rivalité à laquelle se livrent les deux principaux patrons des groupes de luxe français, Bernard Arnault n’oublie pas que François Pinault, principal actionnaire de Kering, doit inaugurer, fin 2018, à Paris, la Bourse du commerce, rénovée par l’architecte Tadao Ando pour y présenter ses collections d’art. Une concurrence qui fait la joie de la Ville de Paris : « C’est, dit-on à l’Hôtel de ville, à qui investira le plus »

 

Nicole Vulser
Journaliste au MondeSuivre Aller sur la page de ce journaliste

 

Jean-Jacques Larrochelle
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