02/04/2017
De passage à Stockholm ce week-end, le chanteur américain de 75 ans en a profité pour venir récupérer son prix. La fin d’un (très) long suspense.
Après des mois d’incertitude et de controverse, Bob Dylan a finalement reçu ce samedi à Stockholm son prix Nobel de littérature lors d’une rencontre à huis clos avec les académiciens suédois qui l’ont distingué pour sa poésie. A 75 ans, il est le premier chanteur à rejoindre les hommes et les femmes de lettres canonisés par l’Académie suédoise depuis 1901, comme Thomas Mann, Albert Camus, Samuel Beckett, Gabriel Garcia Marquez ou Doris Lessing.
La médaille en or et le diplôme attribués à Bob Dylan en octobre lui ont été remis lors d’une « cérémonie privée à Stockholm », sans médias ni public à sa demande, à laquelle ont assisté 12 membres de l’Académie, a écrit samedi soir sur son blog la secrétaire perpétuelle de l’Académie suédoise, Sara Danius.
« L’humeur était bonne. Du champagne a été bu, a-t-elle confié. Un moment conséquent a été passé à regarder la médaille en or de près, en particulier son revers magnifiquement ouvragé, l’image d’un jeune homme assis sous un laurier qui écoute les muses ».
Une « leçon Nobel » avant le 10 juin ?
La remise du prix a eu lieu dans un lieu tenu secret avant le concert qu’a ensuite donné Bob Dylan dans la soirée à Stockholm, où il doit en donner un second dimanche. Le chanteur n’a pas fait de discours de réception – qui peut aussi être une chanson -, préalable indispensable à la remise du confortable chèque (huit millions de couronnes, 838.000 euros) accompagnant le prix Nobel.
Tout lauréat doit rendre sa « leçon Nobel » dans les six mois suivant la cérémonie de remise du prix le 10 décembre, soit avant le 10 juin. « L’Académie a de bonnes raisons de penser qu’une version enregistrée (du discours) sera envoyée à une date ultérieure », avait indiqué récemment Sara Danius.
Un prix décerné par des ‘hippies séniles’
Les deux concerts de Bob Dylan dans la capitale suédoise samedi et dimanche sont le coup d’envoi d’une tournée européenne à l’occasion de la sortie de son nouvel opus, un triple album de reprises de Frank Sinatra. Samedi soir, Ylva Berglof, 62 ans, a vu le chanteur sur scène pour la 18e fois. « Il mérite (le Nobel) même si je trouve qu’il n’a pas bien géré. Il aurait pu se montrer plus reconnaissant », a-t-elle estimé. Les spécialistes étaient nettement moins surpris. « Dès que vous voulez l’emmener dans une direction, il prend le contrepied », explique Martin Nyström, critique musical du quotidien Dagens Nyheter.
À la surprise générale, Bob Dylan, de son vrai nom Robert Allen Zimmerman, avait été récompensé en octobre « pour avoir créé dans le cadre de la grande tradition de la musique américaine de nouveaux modes d’expression poétique », selon les attendus de l’Académie. Son nom, comme celui du Canadien Leonard Cohen, décédé en novembre, revenait de temps en temps dans les spéculations, sans jamais être pris au sérieux.
Là où les puristes attendaient ses compatriotes Philip Roth ou Don DeLillo, la secrétaire perpétuelle Sara Danius a âprement défendu son choix et celui de ses pairs, inscrivant la poésie chantée de Dylan dans la tradition homérienne. Du côté des indignés, l’Ecossais Irvine Welsh, auteur de Trainspotting, s’était moqué d’un prix décerné par « des hippies séniles ».
« Arrogance »
Pris à son corps défendant dans ce tumulte de louanges et de critiques, Bob Dylan a accueilli l’annonce par un silence non moins tonitruant. Au point qu’un notable de l’Académie, Per Wästberg, s’était emporté contre son « arrogance ». Le soir du banquet, le 10 décembre, c’est l’ambassadrice américaine en Suède qui avait lu son discours de remerciements, dans lequel il confiait son étonnement de voir son nom aux côtés de Rudyard Kipling (1907) ou Ernest Hemingway (1954).
« Ces géants de la littérature dont les oeuvres sont enseignées dans les classes, figurent dans les rayonnages des bibliothèques du monde entier et dont on parle avec tant de déférence ont toujours fait sur moi la plus profonde impression », disait-il alors.
Avec son folk-rock lettré, ses lunettes noires et sa voix rugueuse, Bob Dylan est passé du troubadour folk à l’aube des années 1960 à la superstar décorée en 2012 par le président américain Barack Obama.