Vladimir POUTINE © Malick MBOW

«Trump subit le poids de sa fonction et la pression de ses conseillers»

 

 

Vladimir POUTINE © Malick MBOW
Donald TRUMP © Malick MBOW

Par Aude Massiot — 13 avril 2017 à 16:46

 

 

Depuis plusieurs jours, le chef de l’Etat américain multiplie les volte-face sur sa politique étrangère, sociale et économique. La chercheuse Laurence Nardon, spécialiste des Etats-Unis, y voit un assagissement du président toujours imprévisible.

«Trump subit le poids de sa fonction et la pression de ses conseillers»

Mercredi, Donald Trump rencontrait le secrétaire général de l’Otan (Alliance atlantique), Jens Stoltenberg, à Washington. Dans un retournement public, le président américain a déclaré que l’organisation n’«était plus obsolète». Il avait affirmé le contraire mi-janvier. Laurence Nardon est directrice du programme Amérique du Nord à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Elle décrit à Libération comment la normalisation, tant annoncée, de Donald Trump pourrait bien être en train de se produire, après bientôt trois mois à la Maison Blanche.

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Comment interprétez-vous les récents revirements de Donald Trump que ce soit sur la politique étrangère, l’Obamacare ou la pertinence de l’Otan ?

Trump avait déjà commencé à rentrer dans le rang depuis son investiture, d’abord à cause du fonctionnement des contre-pouvoirs : son décret sur l’immigration, le «Muslim Ban», a été débouté deux fois par le pouvoir judiciaire. Sa réforme de l’Obamacare a été refusée par le pouvoir législatif. Mais ces deux dernières semaines ont été une séquence stupéfiante de retournements en matière de politique étrangère. C’est sans doute parce qu’il a nommé des gens assez raisonnables dans des positions de secrétaires [l’équivalent de ministres en France, ndlr], au-delà du premier cercle des idéologues comme Steve Bannon, conseiller spécial du président, ancré à l’extrême droite. Ses secrétaires à la Défense, James Mattis, aux Affaires étrangères, Rex Tillerson, et son nouveau conseiller à la Sécurité nationale, H. R. McMaster, sont des partisans d’une diplomatie très traditionnelle des Etats-unis.

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Sur la politique internationale, est-il devenu interventionniste ?

Sur le choix de Trump de lancer des frappes aériennes en Syrie contre le régime de Bachar al-Assad, alors qu’il maintenait ne plus vouloir intervenir au Moyen-Orient, on voit aussi se manifester son impulsivité bien connue. Le déclencheur de son action, manifestement, a été sa vision des vidéos et des photos des attaques à l’arme chimique à Khan Cheikhoun, la semaine dernière. Il l’a mentionné à plusieurs reprises. Lorsqu’il y avait eu des attaques chimiques similaires pendant l’été 2013 en Syrie, Trump avait dit à Obama de ne pas intervenir. Sa position à l’époque était : il ne faut pas se mêler de ce guêpier. Maintenant qu’il est dans le Bureau ovale et qu’on lui montre les photos des victimes, il sent peser sur lui la responsabilité morale de la présidence et décide d’agir. C’est stupéfiant. Trump applique donc une politique étrangère absolument à l’inverse de la politique réaliste, distante des questions de morale, qu’il a prônée pendant toute sa campagne. Contrairement à Obama qui était un cérébral, qui réfléchissait beaucoup avant de prendre des décisions, Trump a réagi en deux jours pour lancer des frappes en Syrie.

Ces changements ne le discréditent pas auprès de ses électeurs ?

Bien sûr que si, c’est d’ailleurs un gros problème. L’électorat américain est déjà extrêmement polarisé entre ceux qui détestent Trump quoiqu’il fasse, et ceux qui le soutiennent quoi qu’il fasse, ces derniers étant, selon les derniers sondages, autour de 35%. Les uns et les autres ne vont pas changer d’avis. Mais dans les think tanks à Washington, on se pose plus de questions. Les républicains isolationnistes sont critiques de cette évolution de Trump sur la politique étrangère. Les démocrates qui sont favorables à ces frappes prennent leurs distances en demandant à ce qu’elles s’inscrivent maintenant dans un stratégie de long terme. Par ailleurs, la position de départ de Trump était contradictoire: il prônait une politique isolationniste et, demandait à ce que les Etats-Unis retrouvent leur position de «winners» [vainqueurs, ndlr] à l’international. On ne peut pas faire les deux en même temps.

Peut-on dire que Trump est rentré dans une ligne républicaine traditionaliste ?

Oui, mais Trump reste un président très imprévisible. Il ne faut jurer de rien avec lui, il ne faut sans doute pas s’attendre à avoir désormais un Ronald Reagan à la Maison Blanche. Cependant, il semble bel et bien abandonner cette parole populiste et contestataire ciblant à la fois les étrangers et les élites, qu’il a adoptée pendant toute la campagne. Un signe qui ne trompe pas est la disgrâce dans laquelle se trouve aujourd’hui son conseiller Steve Bannon. Du coup, Trump reste pour l’instant un président tenu par un personnel politique très conservateur, typique du Parti républicain traditionnel.

La date-test des 100 premiers jours approche. Cela expliquerait-il cette normalisation ?

Les historiens auront beaucoup de choses à découvrir quand les archives sur ce qui se passe en ce moment à la Maison Blanche s’ouvriront. Est-ce que ce changement est délibéré de la part de Trump et de son équipe ? Je pense qu’elle a été pensée et préparée par cette dernière. Le Président a quand même nommé des personnes qui, idéologiquement, ne sont pas du tout comme lui. Ce sont eux qui le tirent vers leurs propres positions, loin de Steve Bannon. Mais ce n’est pas probablement délibéré de la part de Trump. Il n’a pas décidé, un jour, de faire campagne sur des discours populistes, puis de devenir un conservateur traditionnel, une fois élu. Il subit plutôt le poids de sa fonction et la pression de ses conseillers.

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A quoi joue Donald Trump vis-à-vis de la Corée du Nord ?

C’est sûrement la situation la plus dangereuse actuellement. Il y a de la gesticulation des deux côtés, avec les menaces du régime de Pyongyang, et en face, le déploiement des missiles américains THAAD en Corée du Sud et l’approche de leur porte-avions vers la péninsule. Cette manœuvre d’intimidation à l’encontre de la Corée du Nord est très risquée, car le régime de Kim Jong-un a maintenant l’arme nucléaire. Il déploie une stratégie de dissuasion du faible au fort, avec un homme encore plus imprévisible à Pyongyang que Donald Trump. L’action américaine est risquée. Elle est là aussi représentative de la ligne républicaine traditionnelle.

Aude Massiot

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