06 Oct 2017
La ville de Dakar n’est peut-être pas au même chapitre d’authenticité que Toumbouctou ou Guizèh, mais il reste qu’elle présentait, à une certaine époque, un important charme architectural. Un charme particulier par son métissage culturel qui concilie, principalement, inspiration artistique sahélo-soudanaise et influence coloniale. Mais, un charme toutefois défraîchi au fil du temps avec des facteurs non anticipés et pas maîtrisés. C’est du moins l’avis de l’architecte Xavier Ricou, dans cet entretien.
D’aucuns présentent aujourd’hui Dakar comme une ville débridée avec un fort aspect rural. Ce constat est-il crédible ?
Dakar est une ville qui a été construite à l’époque coloniale pour quelques dizaines de milliers d’habitants. Ensuite, avec une explosion démographique, nous en sommes aujourd’hui à presque trois millions d’habitants. Une telle mutation ne peut pas s’opérer sans douleur. Elle génère des problèmes nouveaux qui sont très difficiles à anticiper et encore plus difficiles à corriger. Quand par exemple, à cause de cette saturation de l’espace, on doit créer une route pour permettre aux véhicules d’entrer facilement dans Dakar et d’y sortir, cette route va couper des quartiers en deux en posant des problèmes sociaux, environnementaux, techniques, etc. Et tout est lié. C’est fractal. La ville génère des problèmes, chacun de ces problèmes en génère d’autres qui eux, en génèrent aussi. Les techniciens peuvent régler une catégorie de problèmes, mais il restera toujours le fond. On se retrouve ainsi avec des situations insolubles et des réticences toujours liées à des non-dits. Une somme de choses qui font que Dakar ne fonctionne pas aujourd’hui.
Le problème ne se situerait-il pas alors dans ces quartiers créés après l’indépendance, pourtant censés « désengorger » la capitale ?
J’en suis convaincu ! L’urbanisme, à partir des années 1970, était plutôt un « urbanisme de sauvetage ». Il y avait un besoin d’accueillir beaucoup de nouvelles populations relativement pauvres, qui fuyaient des problèmes naturels de la campagne comme la sécheresse. On a essayé de les recevoir dans de nouveaux quartiers comme Pikine, Guédiawaye, les Parcelles assainies, etc. Mais à cette époque, il y avait encore de la place dans la Presqu’île du Cap-Vert. Il ne se posait pas trop la question de la saturation et les problèmes étaient encore maîtrisables. Mais la ville étant une sorte de trou noir qui absorbe les énergies et les populations périphériques, les populations venaient de plus en plus s’agglomérer. Elles se sont malheureusement aussi installées dans des endroits où elles n’auraient pas dû. Il y a eu par la suite une certaine perte de maîtrise des autorités par rapport à la planification, aux autorisations de construire et de lotir, peut-être aussi des malversations, etc. Progressivement en tout cas, on a perdu le contrôle. Et il se trouve que les mesures correctrices coûtent toujours plus cher que celles de planification initiale. Et malheureusement, dans nos pays, tout ce qui se fait ne se planifie pas et tout ce qui se planifie ne se fait pas.
Des bâtiments que l’on voit maintenant à Dakar manquent beaucoup d’authenticité. Est-ce par manque d’imagination ou plutôt des négligences techniques ?
C’est une bonne question à laquelle moi-même je n’ai pas la réponse, mais ça peut s’expliquer (rires). A l’époque, par exemple, il existait des budgets pour faire de la décoration. On faisait aussi attention à l’orientation des bâtiments pour des soucis climatiques. On ne fait plus attention à ces subtilités et, en plus, on n’a perdu entre-temps le savoir-faire. On a failli dans la fabrication du fer forgé, on ne sait plus comment faire de la menuiserie en bois bien traité, on n’utilise pas la tuile comme il faut, plutôt que de la chaux, on utilise le ciment qui rend étanche, etc. Tout cela fait que nos bâtiments sont mal orientés, mal conçus. Tout est fait pour rentabiliser l’espace. On n’est pas bien à l’intérieur, on a chaud et on dépense toujours plus dans le rafistolage. A côté, les architectes sont très peu sollicités car leur service est coûteux. Les gens aussi veulent toujours construire à moindre coût et font faire dessiner leurs plans à la mauvaise personne. Cependant, il y a que ce sont les architectes mêmes qui portent les atteintes les plus graves au patrimoine. Certains suivent plus les caprices du client qu’ils n’appliquent leur idée. L’argent qu’on peut gagner pousse à ne pas réfléchir trop longtemps. Et puis, tous les architectes ne sont pas tous formés à la protection du patrimoine. On construit plus sous la notion de rentabilité que sous celle de confort.
Auriez-vous des pistes à proposer pour sortir de la situation et vivre mieux à Dakar ?
Je réfléchis à des perspectives. Des perspectives pour mieux stationner à Dakar, éviter les problèmes d’érosion côtière, des connexions pour relier Gorée plus facilement, etc. Beaucoup de suggestions pour être mieux dans la ville. Il faut des correctifs. La ville ne fonctionne plus. Aujourd’hui, le plan d’urbanisme de Dakar, qui n’est même pas encore approuvé, est dépassé par ce qui est en train de se faire. Même en matière d’alimentation en eau, on est dépassé. On va chercher l’eau au nord du Sénégal, du Lac de Guiers, pour alimenter Dakar parce que sa nappe est totalement polluée. On est quand même obligé de pomper cette nappe parce que ça déborde et risque d’inonder les quartiers. Et avec ce système de pompage, on est parti pour pomper les 50 prochaines années. Là, il faut soit raser la ville et créer une autre capitale, ce qui serait trop difficile, soit on est obligé de tout le temps trouver de petites corrections.
Êtes-vous optimiste par rapport à la préservation de ce qui reste du patrimoine architectural de Dakar ?
Non, je ne pas du tout optimiste. C’est une bataille perdue d’avance. Aussitôt qu’on a un terrain qui coûte bien plus cher que le bâtiment construit dessus, l’édifice garde de maigres chances de survie. Que ce soit dans cinq, dix ou vingt ans, il disparaîtra. On aura peut-être à sauver des bâtiments emblématiques encore visibles, mais pour ce qui est des villas et autres, je ne suis pas du tout optimiste.
Vous administrez sur Facebook une page, « Sénégalmétis », qui présente dans ces publications multimédia les belles caractéristiques du Dakar de l’époque. Certains y voient tout de même la sublimation du colon et la nostalgie de son administration. Comment appréhendez-vous cela ?
J’ai créé la page il y a sept ans, en me disant que j’allais partager deux ou trois trucs intéressants sur Dakar. Mais il se trouve qu’on a tous les jours quelque chose à dire sur l’architecture, l’iconographie, le patrimoine, l’histoire, sur certaines personnes, certains bâtiments. Et c’est là que l’on se rend compte que notre histoire est riche et passionnante et vaut la peine d’être connue et protégée. Maintenant, pour la question sensible du rejet du colonialisme, moi je comprends bien la revendication politique et l’idée de vouloir repartir sur nos propres bases. Sauf qu’il faut nuancer tout cela. L’histoire coloniale n’est pas monolithique, elle a duré plusieurs siècles. Elle est complexe et comporte pleins d’épisodes qui montrent que ce n’est pas « les Blancs contre les Noirs ». Il y a eu un réel métissage culturel. Ensuite, je considère que c’est important de savoir d’où l’on vient. Nous sommes constitués de petits morceaux d’histoire et si on le comprend, on peut facilement savoir comment agir et aller de l’avant. Prenons l’exemple de la statue de Faidherbe. Une telle statue qui tombe, que ce soit là-bas ou au musée, elle doit bien être remise quelque part. Elle fait partie de notre histoire. Faidherbe était un gouverneur important qui a fait basculer le Sénégal d’un comptoir économique à une colonie, a créé Dakar et a mis en place énormément de réformes. A côté, il a massacré énormément de gens et commis de graves exactions. Tous ces paramètres doivent être pris en compte ensemble pour mieux étudier notre histoire et se l’approprier. Ce qui est regrettable maintenant, c’est que la plupart de ceux qui soulèvent ces combats réagissent de manière brutale et épidermique sans avoir le background historique nécessaire.