Irina Bokova, la directrice générale de l’Unesco, regrette le retrait des États-Unis Par  Le

 

  • Publié le 12/10/2017
  • Aussitôt après la décision américaine de se retirer de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, institution que Washington juge «anti-israélienne», la première femme à diriger cet organisme critique ouvertement ce départ. Le Figaro publie son communiqué dans son intégralité.

«En qualité de Directrice générale de l’Unesco, je regrette profondément la décision des États-Unis d’Amérique de se retirer de l’Unesco, dont j’ai reçu la notification officielle par lettre du Secrétaire d’État Américain M. Rex Tillerson. L’universalité est essentielle à la mission de l’Unesco pour construire la paix et la sécurité internationales face à la haine et à la violence, par la défense des droits de l’Homme et de la dignité humaine.

En 2011, à l’annonce de la suspension de la contribution financière américaine, lors de la 36e session de la Conférence générale de l’Unesco, j’ai déjà exprimé ma conviction que jamais l’Unesco n’a été aussi importante pour les États-Unis, de même que les États-Unis pour l’Unesco.

Cette vérité est encore plus manifeste aujourd’hui, au moment où la montée de l’extrémisme violent et du terrorisme appelle à forger de nouvelles réponses à long terme pour la paix et la sécurité dans le monde, en luttant contre le racisme et l’antisémitisme, en combattant l’ignorance et la discrimination.

Je suis convaincue que le travail de l’Unesco pour promouvoir l’alphabétisation et l’éducation de qualité répond aux préoccupations du peuple américain. Je suis convaincue que l’action de l’Unesco visant à mobiliser les nouvelles technologies pour améliorer les apprentissages répond aux préoccupations du peuple américain.

Je suis convaincue que l’action de l’Unesco pour renforcer la coopération scientifique, pour la durabilité de l’océan, répond aux préoccupations du peuple américain.

Je suis convaincue que l’action de l’Unesco pour promouvoir la liberté d’expression, défendre la sécurité des journalistes, répond aux préoccupations du peuple américain.

Je suis convaincue que l’action de l’Unesco pour l’autonomisation des filles et des femmes comme actrices du changement et créatrices de paix, répond aux préoccupations du peuple américain.

Je suis convaincue que l’action de l’Unesco pour soutenir les sociétés en situation d’urgence, face aux catastrophes et aux conflits, répond aux préoccupations du peuple américain.

Malgré la suspension de leur contribution financière depuis 2011, nous avons approfondi le partenariat entre les États-Unis et l’Unesco, et celui-ci n’a jamais été aussi fort. Ensemble, nous avons œuvré pour protéger le patrimoine culturel de l’humanité face aux attaques terroristes et prévenir l’extrémisme violent par l’éducation et les médias. Ensemble, nous avons travaillé avec le regretté Samuel Pisar, Ambassadeur honoraire et envoyé spécial pour l’enseignement de l’Holocauste, afin de partager l’histoire de l’Holocauste pour lutter contre l’antisémitisme et prévenir des génocides, avec la Chaire Unesco pour l’éducation au génocide au sein de l’Université de Californie du Sud et avec celle consacrée à l’alphabétisation au sein de l’Université de Pennsylvanie. Ensemble, nous travaillons avec l’OSCE pour produire de nouveaux outils pour les éducateurs contre toutes les formes d’antisémitisme, comme nous l’avons fait pour combattre le racisme anti-musulman dans les écoles. Ensemble, nous avons lancé le Partenariat mondial pour l’éducation des filles et des femmes en 2011. Ensemble, avec la communauté universitaire américaine et les 17 chaires universitaires de l’Unesco présentes aux États-Unis, nous avons travaillé à faire progresser l’alphabétisation, promouvoir les sciences pour la durabilité, enseigner le respect de tous dans les écoles,

Notre partenariat s’incarne dans notre collaboration avec le United States Geological Survey, le US Army Corps of Engineers et les sociétés professionnelles américaines, pour la recherche en gestion durable des ressources en eau, pour l’agriculture. Il s’incarne dans la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse à Washington DC en 2011, avec le National Endowment for Democracy,

Il s’incarne dans notre coopération avec de grandes entreprises privées, comme Microsoft, Cisco, Procter & Gamble, Intel, pour maintenir plus longtemps les filles à l’école, pour développer des technologies d’apprentissage de qualité,

Il s’incarne dans la promotion de la Journée internationale du Jazz, notamment à la Maison Blanche en 2016, pour célébrer les droits de l’Homme et la diversité culturelle sur la base de la tolérance et du respect.

Il s’incarne dans chacun des 23 sites du patrimoine mondial qui reflètent la valeur universelle du patrimoine des États-Unis, dans les 30 réserves de biosphère qui représentent la vaste et riche biodiversité du pays, dans les 6 villes créatives de l’Unesco aux États-Unis, qui sont aussi des viviers d’emplois,

Le partenariat entre l’Unesco et les États-Unis a été profond, car il s’est appuyé sur le fondement de valeurs partagées.

Le poète américain, diplomate et bibliothécaire du Congrès, Archibald MacLeish a écrit les lignes qui ouvrent la Constitution de l’Unesco en 1945:

«Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent s’élever les défenses de la paix.» Cette vision n’a jamais été plus pertinente. Les États-Unis ont inspiré la Convention de 1972 sur le patrimoine mondial de l’Unesco.

En 2002, un an après les attentats terroristes du 11 septembre, Russell Train, ancien responsable de l’Agence américaine pour la protection de l’environnement et fondateur du Fonds mondial pour la nature, et qui a tant fait pour l’adoption de la Convention du patrimoine mondial, déclarait: «A ce tournant de l’histoire, au moment où les liens de notre humanité commune semblent de plus en plus attaqués par des forces qui nient l’existence même d’un patrimoine partagé, par des forces qui frappent au cœur de notre sens de la communauté, je suis convaincu que le patrimoine mondial présente une vision contraire et positive de la société humaine et de notre avenir.»

Le travail de l’Unesco est essentiel pour renforcer les liens de notre humanité commune face aux forces de la haine et de la division. La Statue de la Liberté est un site du patrimoine mondial de l’Unesco comme symbole constitutif des États-Unis, et aussi en ce qu’elle incarne des aspirations des peuples du monde,

L’Independence Hall, où furent signées la Déclaration d’Indépendance et la Constitution des États-Unis, est un site du patrimoine mondial de l’Unesco, parce que son message s’adresse aux décideurs politiques et aux activistes du monde entier. Yosemite, Yellowstone et le Grand Canyon sont des sites du patrimoine mondial de l’Unesco, parce que leur beauté est une source d’émerveillement pour tous les pays du monde. Il s’agit de bien davantage que d’un patrimoine mondial.

L’Unesco incarne cette «vision positive de la société humaine».

Au moment où la lutte contre l’extrémisme violent appelle à un renouveau des efforts pour l’éducation et le dialogue des cultures, il est regrettable que les États-Unis se retirent de l’agence des Nations Unies chargée de mener ce combat,

Au moment où les conflits continuent de déchirer les sociétés à travers le monde, il est regrettable que les États-Unis se retirent de l’Organisation des Nations Unies chargée de promouvoir l’éducation pour la paix et la protection de la culture.

C’est pourquoi je regrette la décision des États-Unis de se retirer. C’est une perte pour l’Unesco. C’est une perte pour la famille des Nations Unies. C’est une perte pour le multilatéralisme.

La tâche de l’Unesco n’est pas terminée et nous continuerons d’avancer pour construire un 21e siècle plus juste, plus pacifique et plus équitable, et pour cela l’Unesco a besoin de l’engagement de tous les États.

L’Unesco continuera de travailler pour l’universalité de cette Organisation, pour les valeurs que nous partageons, pour les objectifs que nous avons en commun, pour renforcer un ordre multilatéral plus efficace et un monde plus pacifique et plus juste.»

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