L’armée a pris le pouvoir à Harare dans la nuit de mardi à mercredi, tout en niant avoir fomenté un « coup d’Etat ».
Par Le Monde Afrique
LE MONDE Le 15.11.2017 à 11h31 • Mis à jour le 15.11.2017 à 19h18
La confusion règne au Zimbabwe, mercredi 15 novembre, après une nuit agitée lors de laquelle des coups de feu ont été entendus dans la nuit près de la résidence privée de Robert Mugabe, 93 ans, qui dirige le Zimbabwed’une main de fer depuis son indépendance en 1980.
L’armée a placé le président Robert Mugabe en résidence surveillée et a pris le contrôle de la capitale, Harare, dans une opération qu’elle explique être dirigée contre l’entourage du plus vieux dirigeant en exercice de la planète.
Mercredi, en fin de journée, le flou persistait sur l’identité de ceux qui ont pris le contrôle du pays. L’entrée en scène de l’armée, une première dans ce pays pauvre d’Afrique australe, survient au moment de batailles pour la succession du président Mugabe.
L’ancien vice-président Emmerson Mnangagwa, limogé une semaine plus tôt et surnommé le « Crocodile » en raison de son caractère impitoyable, a annoncé sur Twitter son retour dans le pays mercredi matin.
- Que dit l’armée ?
En pleine nuit, un haut responsable militaire, le général Sibusiso Moyo, a expliqué lors d’une allocution diffusée par la télévision nationale que l’armée était intervenue pour éliminer les « criminels » de l’entourage du président, mais qu’elle ne voulait pas « renverser le gouvernement ». « Il ne s’agit pas d’un coup d’Etat militaire contre le gouvernement », a martelé le porte-parole de l’armée.
« Nous ne faisons que viser les criminels qui entourent [le chef de l’Etat]. Dès que notre mission sera accomplie, nous nous attendons à ce que la situation revienne à la normale. »
D’après le communiqué qui a tourné en boucle à la télévision dans la nuit de mardi à mercredi, le président Robert Mugabe et sa femme, Grace, sont « en sécurité ». « Peu après 2 heures du matin, nous avons entendu environ 30 à 40 coups de feu tirés pendant trois ou quatre minutes en provenance de la maison » de M. Mugabe, a déclaré de soncôté un résident du quartier à l’AFP.
La situation sur place serait calme. Des véhicules blindés et des soldats ont bloqué les routes menant aux principaux bâtiments gouvernementaux et ont encerclé le Parlement.
- Qui a été arrêté ?
Mercredi matin, plusieurs sources faisaient état de l’arrestation de personnalités. Parmi elles figureraient le ministre des finances, Ignatius Chombo ; le ministre et commissaire politique Saviour Kasukuwere ; le neveu de Robert Mugabe, également chargé du programme d’indigénisation, Patrick Zhuwayo ; le directeur adjoint des services de renseignement, Albert Ngulube ; ou encore le président de La ligue des jeunes de la ZANU-PF, Kudzai Chipanga.
- Comment réagit la communauté africaine ?
Par la voix de son président, le Guinéen Alpha Condé, l’Union africaine (UA) a dénoncé « ce qui apparaît comme un coup d’Etat ». Elle a également exigé « immédiatement le rétablissement de l’ordre constitutionnel ».
Le président sud-africain, Jacob Zuma, qui s’est entretenu avec M. Mugabe, s’est dit « très préoccupé » par la situation, bien que ce dernier lui ait assuré qu’il « allait bien ». Fidèle soutien de M. Mugabe, M. Zuma a dépêché, au nom de la Communauté de développement d’Afrique australe (CDAA), qu’il préside, deux de ses ministres à Harare pour y rencontrer le président et l’armée.
- Quels événements ont-ils mené à cette situation ?
Grace Mugabe veut s’imposer à la vice-présidence. Tout a commencé samedi 4 novembre, lorsque Robert Mugabe a annoncé qu’il avait l’intention de nommer une femme à la vice-présidence. Et qu’il faudrait changer la Constitution pour l’imposer à la tête du presidium, la structure au sommet de l’Etat. Il n’a pas dit « ma femme », mais cette dernière, Grace Mugabe, a aussitôt saisi la perche. Dès le dimanche 5 novembre, elle déclare lors d’un rassemblement dans un stade de Harare : « Je dis à M. Mugabe : vousdevriez me laisser prendre votre place. (…) N’ayez pas peur. Si vous voulez me donner votre poste, donnez-le moi librement. » Cela ressemblait à une tentative pour forcer la main du président, qui a répété qu’il comptait être candidat à sa propre succession lors des élections de 2018.
Le « Crocodile » renvoyé. Le vice-président Emmerson Mnangagwa est limogé sèchement le lendemain, lundi 6 novembre, alors qu’il avait longtemps été pressenti comme le dauphin de Robert Mugabe. Ancien patron des services de renseignement, il a perdu en octobre son portefeuille de ministre de la justice. Dans l’une de ses dernières apparitions, à Masvingo, son fief, Emmerson Mnangagwa avait affirmé avoir été victime d’une tentative d’empoisonnement dans un meeting de la ZANU-PF, le parti au pouvoir, qu’il avait animé aux côtés de Robert Mugabe et de son épouse.
L’armée menace. Lundi 13 novembre, le chef des armées, le général Constantino Chiwenga, dénonce vivement le limogeage « humiliant » du vice-président Emmerson Mnangagwa et met en garde M. Mugabe contre une possible intervention, élevant la tension d’un cran. Ce geste de défiance de l’armée envers Robert Mugabe est une première depuis l’indépendance, en 1980. Le chef d’état-major de l’armée zimbabwéenne avait effectué, le 3 novembre, une visite à Pékin et rencontré le ministre de la défensechinois, Chang Wanquan. Une visite qui, dans le contexte, prend un relief particulier.
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