L’annonce d’un sommet entre les deux dirigeants, qui pourrait intervenir dès le mois de mai, est intervenue à la surprise générale. Jusqu’ici, jamais un chef d’Etat nord-coréen n’a rencontré un président des Etats-Unis.
Le président américain Donald Trump et le leader nord-coréen Kim Jong-un sur les images d’une chaîne de télévision sud-coréenne, dans un métro de Séoul, le 9 mars 2018. (JUNG YEON-JE / AFP)
Louis BoyFrance Télévisions
Mis à jour le 09/03/2018 | 16:12
publié le 09/03/2018 | 16:12
L’un promettait à l’autre « le feu et la fureur », mais ils vont finalement se serrer la main. Donald Trump a accepté l’invitation du leader nord-coréen Kim Jong-un, qui avait « fait part de son désir » de rencontrer le président américain « le plus vite possible », et une entrevue aura lieu « d’ici fin mai », a expliqué vendredi 9 mars le conseiller national sud-coréen à la Sécurité, Chung Eui-yong, qui a servi de messager.
L’annonce intervient après un réchauffement des relations entre les deux Corées, autour des JO de Pyeongchang, mais ne représente pas moins une surprise. Et un événement historique. Il n’y a jamais eu, en effet, de rencontre entre un chef d’Etat nord-coréen et un président américain en exercice. Les menaces de Donald Trump et l’escalade des sanctions contre Pyongyang ont-elles payé ? Ou est-ce l’héritier de la dynastie Kim qui réussit un coup de maître et le président américain qui a tort d’espérer obtenir des concessions ? Franceinfo vous explique les raisons de cette rencontre inédite avec deux experts de la Corée du Nord.
Parce que la Corée du Nord est sous pression
L’été dernier, Washington et Pyongyang semblaient au bord d’un conflit explosif. La Corée du Nord multipliait les essais nucléaires et balistiques, menaçait l’île américaine de Guam et affirmait maîtriser la bombe H. Fin novembre, elle annonçait même être capable de frapper « la totalité du continent américain ». Mais les tensions étaient aussi attisées par la rhétorique belliqueuse de Donald Trump. Face aux menaces, le président américain promettait « le feu et la fureur telle que le monde n’en a jamais vu » et de « détruire la Corée du Nord » si jamais les Etats-Unis avaient à se défendre. Des avertissements bien plus directs que ceux de ses prédécesseurs.
L’annonce de sa rencontre prochaine avec Kim Jong-un valide cette stratégie menaçante des Américains, explique à franceinfo Valérie Niquet, responsable du pôle Asie de la Fondation pour la recherche stratégique. Elle prouve que « quand on montre une vraie détermination, et pas seulement une attitude ambiguë, ça marche ». Pour cette chercheuse, la Corée du Nord mène sa diplomatie en calculant « le coût et les bénéfices » : attaquer les Etats-Unis serait s’exposer à une riposte « qui signerait la fin du régime ».
Une explication qui ne convainc pas Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, joint par franceinfo. Pour lui, « il n’y a pour l’instant aucun succès » de l’approche de Donald Trump, dans la mesure où la Corée du Nord n’a pas fait de promesses fermes en échange de cette rencontre avec le président américain, à l’exception d’un gel des essais qui était déjà en place depuis fin novembre. Cette rencontre à l’initiative de la Corée du Nord illustre surtout « l’effet des sanctions » de la communauté internationale sur le régime de Kim Jong-un. Face au président américain, le dictateur cherchera sans doute à alléger la pression économique sur son pays, qui complique sa capacité à « satisfaire les élites qui le soutiennent », acquiesce Valérie Niquet.
Parce que Kim Jong-un a tout à gagner
Pour Antoine Bondaz, pas de doute, c’est la Corée du Nord qui « mène la danse » dans cette séquence diplomatique. Qu’a-t-elle à y gagner ? Un sommet peut « lui donner une légitimité politique » : Kim Jong-un deviendrait le premier dirigeant nord-coréen à réussir à rencontrer un président américain, un objectif de longue date de la dynastie Kim. S’asseoir autour d’une table « lui donne un statut d’égal à égal » avec Donald Trump. Comme l’a fait remarquer un chercheur américain sur Twitter, une visite à Pyongyang du président des Etats-Unis est même présenté comme le happy end dans un film de propagande nord-coréen des années 1980.
This is literally how the North Korean film « The Country I Saw » ends. An American President visits Pyongyang, compelled by North Korea’s nuclear and missile programs to treat a Kim as an equal. (3/3)https://www.38north.org/2012/08/jlewis083012/ …
« The Country I Saw, » or « How We Learned to Stop Worrying and Love North Korea’s Bomb (Almost) »
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« Kim Jong-un peut transformer cette rencontre en quelque chose de prestigieux » aux yeux de son peuple, confirme Valérie Niquet, et « se présenter comme un dirigeant raisonnable, qui choisit la paix ». Pour la Corée du Nord, organiser un sommet avec les Etats-Unis équivaut même à un rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays, quand bien même elles ne le seraient pas officiellement (les deux pays n’ont aucun contact et ne s’envoient pas d’ambassadeurs). « Cela ouvre la voie à une reconnaissance officielle », un autre objectif historique du régime, estime Antoine Bondaz. En somme, cette rencontre est déjà une victoire pour le leader nord-coréen, que la discussion avec Donald Trump débouche ou non sur un accord.
Parce que Donald Trump fait un pari politique
« La stratégie de la Corée du Nord n’est pas surprenante, explique Antoine Bondaz. Ce à quoi personne ne s’attendait, c’est que Donald Trump accepte, et que ça se fasse aussi rapidement. » En effet, c’est loin d’être la première fois qu’un président américain décroche une invitation de la part de Pyongyang : Bill Clinton, George W. Bush et Barack Obama ont tous été conviés. « Mais ils refusaient de faire un sommet sans qu’il y ait un accord », explique Antoine Bondaz, et n’avaient jamais réussi à obtenir des garanties suffisantes.
C’est en cela que l’annonce de cette rencontre est étonnante. « Normalement, on négocie pendant des mois entre diplomates, jusqu’à avoir obtenu un accord viable, souligne le chercheur. Et ensuite, on organise un sommet pour couronner cet accord. » En décidant d’une rencontre dans seulement deux mois, et avant même le début de quelconques négociations, Donald Trump « met la charrue avant les bœufs ». Pour Valérie Niquet, ce changement d’approche s’explique par « la pression très forte » exercée sur la Corée du Nord, qui placerait Washington dans une position favorable pour obtenir des concessions. Pour Antoine Bondaz, en revanche, elle montre surtout que « Donald Trump n’est pas un diplomate », même si le milliardaire vante ses prouesses de négociateur.
Kim Jong Un talked about denuclearization with the South Korean Representatives, not just a freeze. Also, no missile testing by North Korea during this period of time. Great progress being made but sanctions will remain until an agreement is reached. Meeting being planned!
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Donald Trump semble croire qu’il peut obtenir de la Corée du Nord des avancées vers une dénucléarisation du régime, et pas seulement un gel de son programme nucléaire. Il l’a souligné dans un tweet vendredi. Mais si Kim Jong-un a bien évoqué avec les Sud-Coréens la possibilité de discuter de ce sujet, il n’a pris aucun engagement en ce sens. Ce qui place Donald Trump dans une situation d’asymétrie : la Corée du Nord tire déjà le bénéfice, en terme d’image, de l’organisation de cette rencontre, alors que le président américain devra les convaincre de faire des sacrifices. S’il échoue, « il risque de perdre du crédit politique ».
Tout dépendra sans doute du travail de l’ombre des négociateurs, mais obtenir un accord important en seulement deux mois « est très peu crédible », estime Antoine Bondaz. D’autant que les Etats-Unis sont dépourvus de négociateurs rodés aux discussions avec la Corée du Nord, alors que « côté nord-coréen, il y a des gens qui négocient depuis des décennies avec les Américains et les connaissent bien ». En tentant un coup politique historique, Donald Trump prend donc le risque d’un retour de bâton.