Premier lauréat indien, l’architecte a créé des logements modifiables et respectant l’environnement.
LE MONDE | |Par Jean-Jacques Larrochelle
A 90 ans, l’architecte indien Balkrishna Vithaldas Doshi a obtenu le prix Pritzker 2018, a annoncé, mercredi 7 mars, depuis Chicago, Tom Pritzker, président de la Fondation Hyatt, qui a créé, en 1979, cette distinction considérée comme l’équivalent d’un « Nobel de l’architecture ». C’est la première fois en quarante ans qu’un maître d’œuvre issu du sous-continent indien remporte ce prix doté de 100 000 dollars (environ 80 000 euros). Le jury que présidait l’Australien Glenn Murcutt, lauréat en 2002, a voulu « rendre hommage au caractère exceptionnel de son architecture, dont rendent compte plus d’une centaine de bâtiments qu’il a réalisés, à son engagement et son dévouement envers son pays et les communautés qu’il a servies, ainsi qu’à son influence en tant qu’enseignant ».
Balkrishna Vithaldas Doshi, né à Pune (Maharashtra) en 1927 – ce qui en fait le doyen des lauréats du Pritzker –, a été architecte, mais aussi urbaniste et enseignant pendant plus de soixante ans. Formé à l’école d’architecture Sir JJ de Bombay, il a su, tout au long de sa carrière, concilier l’héritage des modernes avec les attendus de sa propre culture. « Mes œuvres sont une extension de ma vie, de ma philosophie et de mes rêves, qui tentent de créer un trésor de l’esprit architectural, a expliqué l’architecte. Je dois ce prix prestigieux à mon gourou, Le Corbusier. Ses enseignements m’ont amené à questionner l’identité et m’ont poussé à découvrir de nouvelles expressions contemporaines adoptées régionalement pour un habitat holistique durable. »
Entre 1951 et 1954, Balkrishna Vithaldas Doshi a travaillé à Paris dans l’agence de Le Corbusier. Il en sera le représentant jusqu’en 1959 à Chandigarh (Pendjab) et à Ahmedabad (Gujarat), où il a réalisé l’essentiel de son œuvre et où est implantée son agence. Peu après, dans la même ville, il travaillera au côté de l’Américain Louis Kahn, avec lequel il signera l’Institut indien de gestion. En 1962, l’architecte indien conçoit, encore à Ahmedabad, l’Institut d’indologie, son premier bâtiment d’importance. Le lieu doit permettre la conservation d’anciens manuscrits, mais aussi accueillir un centre de recherche et un musée. Si des composantes propres au contexte indien nourrissent le projet (Doshi dit avoir étudié les traits architectoniques d’un monastère hindouiste), l’influence de Le Corbusier est encore très forte.
Des formes d’une grande liberté
A l’inverse de ce bâtiment institutionnel, ses futurs projets d’habitations s’affranchissent des canons occidentaux modernes. Balkrishna Vithaldas Doshi fait le constat que le modèle du logement social à l’européenne brise les structures des villages sans apporter de réels progrès. En 1955, il se détourne de l’urbanisme fonctionnaliste et décide de créer sa propre fondation, Vastu Shilpa, portée avant l’heure sur les questions environnementales. Il y soutient des méthodes plus souples permettant de conserver les modes d’autoconstruction : l’habitat supposé informel en Inde est en réalité structuré, équilibré, tissé d’échanges et de solidarité. Le principal travail de sa vie a été, explique-t-il, « de fortifier les sans-grade, les gens qui n’ont rien ».
Cette préoccupation est au cœur du projet d’habitations à loyer modéré d’Aranya, à Indore (Madhya Pradesh), son grand œuvre humaniste et social. Le site de 85 hectares, qui accueille plus de 80 000 personnes, parvient à recomposer les usages d’une cité autonome grâce à un système de maisons reliées à de multiples cours connectées elles-mêmes à un tracé de voies labyrinthique. Le projet, achevé en 1989, a obtenu le prix Aga-Khan d’architecture (1993-1995).
L’autre programme singulier de logements est celui qu’il a élaboré en 1973 pour la Life Insurance Corporation, toujours à Ahmedabad. « Je savais que ces maisons seraient occupées par plusieurs générations d’une même famille, qu’elles s’y identifieraient, que leurs besoins changeraient et qu’elles en modifieraient certaines parties », expliquait l’architecte. Cette capacité de réadaptation de l’espace des logements par les habitants se retrouve dans certains programmes du Chilien Alejandro Aravena, lauréat du Prix Pritzker en 2016.
Si le béton, avec la brique, constitue la matière essentielle de ses projets, Balkrishna Vithaldas Doshi parvient à en apaiser le caractère austère, voire strictement linéaire, en le façonnant dans des formes d’une grande liberté. En 1994, en collaboration avec l’artiste Maqbool Fida Husain, Doshi réalise Amdavad Ni Gufa. Conçu au départ comme une galerie d’art souterraine dont l’entrée et les parties faîtières semblent émerger du sol telles des concrétions minérales, l’endroit s’est transformé en une sorte de lieu communautaire. Dans un esprit qui lui est cher, des éléments recyclés grâce à la contribution de petites mains locales ont été combinés à des structures en ferrociment, l’ensemble étant soumis à l’assistance complice d’un ordinateur.
Une importante activité pédagogique
En plus de son travail d’architecte, Balkrishna Vithaldas Doshi a eu une importante activité pédagogique. Il a notamment enseigné dans de nombreux établissements américains (MIT, université Rice, à Houston, et université de Pennsylvanie). Il est aussi cofondateur de l’école d’architecture d’Ahmedabad, dont il a été le premier directeur (1962-1972), et du Centre de planification et de technologie environnementales. Ce projet, qui ne devait accueillir que l’école d’architecture, s’est étendu à une école de planning (1970), un centre d’arts visuels (1978), une école des sciences de la construction et de technologie (1982), une école de design intérieur (1982), le centre Kanoria pour les arts(1984) et une galerie d’exposition (2012).
En 1976, le gouvernement indien lui a décerné le Padma Shri, la quatrième plus haute décoration civile indienne, pour l’ensemble de son travail. En 2007, Balkrishna Vithaldas Doshi, qui avait été membre du jury du prix Pritzker, a reçu un prix spécial à l’occasion de la première édition du Global Award for Sustainable Architecture. En 2011, il a reçu du consul de France à Bombay la médaille d’officier de l’ordre des arts et des lettres.