Depuis une décennie, les plans s’enchaînent au gré des poussées de haine.
POLITIQUE – Huit ministres réunis au Musée National de l’Histoire de l’Immigration à Paris pour marquer le coup. Ce lundi 19 mars en début de matinée, Édouard Philippe présente son nouveau « plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme« , qui devrait comporter un important volet sur l’action sur les réseaux sociaux.
Fin janvier, après l’agression d’un enfant portant une kippa à Sarcelles (Val d’Oise), ville de la banlieue populaire de Paris qui abrite une importante communauté juive, le premier ministre avait dénoncé « une nouvelle forme d’antisémitisme violente et brutale » et promis un plan « large » et « ambitieux » en la matière. Le chef du gouvernement avait notamment évoqué l’idée de permettre à un plaignant de qualifier lui-même le mobile raciste ou antisémite de son agression, comme c’est le cas au Royaume-Uni.
La présentation de ce plan n’a rien d’une première. C’est même devenu un exercice imposé pour les premiers ministres qui se succèdent à Matignon depuis une décennie, période durant laquelle la démocratisation d’Internet a coïncidé avec une libération de paroles haineuses. Manuel Valls avait dévoilé le sien en avril 2015, année marquée par une forte recrudescence des actes antimusulmans et antisémites. Son prédécesseur Jean-Marc Ayrault avait pris en 2013 l’initiative de renforcer le plan national d’action 2012-2014, lui-même validé par François Fillon. Seul Bernard Cazeneuve n’a pas présenté de dispositif spécifique lors de son bref passage à la tête du dernier gouvernement de François Hollande. Mais il avait tout de même contribué, en tant que ministre de l’Intérieur, à celui défendu par Manuel Valls.
Quand Matignon s’inquiétait de la régulation de « l’Internet »
Voilà plus de quinze ans que le chef du gouvernement est officiellement à la manoeuvre s’agissant de la lutte contre les discriminations. C’est sous l’autorité de Jacques Chirac qu’est créé en 2003 le Comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme (CILRA), composé des ministres concernés et présidé par le premier Ministre. Le rôle d’impulsion de l’hôte de Matignon sera consacré en 2012 via la création de la Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT (DILCRAH), placée directement sous son autorité à partir de 2014.
Avant cela, les initiatives ont mis du temps à se mettre en place. En 2009, François Fillon, alors premier ministre de Nicolas Sarkozy, avait profité d’un Conseil interministériel pour lancer une « double mission de réflexion et de proposition sur le thème du racisme et de l’antisémitisme dans les médias » et notamment sur Internet. A l’origine de ses inquiétudes: une « propagation de tensions racistes » en France et tout particulièrement sur Internet dans la foulée de la guerre de Gaza opposant l’armée israélienne au Hamas.
En 2010, un rapport rendu par la présidente du Forum des droits sur l’Internet relevait l’existence d’une « véritable propagande élaborée par des groupuscules » et le « racisme ordinaire » émanant d’internautes anonymes sans se prononcer sur la manière de les combattre. De son côté, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) préconisait aux chaînes de télévision de mettre en place un signal d’alerte sur leurs sites pour alerter contre des contenus haineux. Le CSA réclamait par ailleurs le droit de saisir la justice pour contraindre les fournisseurs d’accès à filtrer l’accès à certains sites étrangers.
De l’affaire Merah à l’Hyper Cacher
Il faudra attendre deux ans pour que soit lancé le Plan national d’action contre le racisme et l’antisémitisme 2012-2014. Annoncé en février 2012, en pleine campagne présidentielle, il passe relativement inaperçu. Mais moins d’un mois plus tard, Mohamed Merah est abattu par la police à l’issue d’une équipée meurtrière dans laquelle il a tué sept personnes dont trois enfants juifs et un rabbin dans une école confessionnelle.
En septembre, le nouveau premier ministre Jean-Marc Ayrault promet une nouvelle initiative à l’occasion d’un discours d’inauguration du Mémorial du camp des Milles, à Aix-en-Provence. En février, le chef du gouvernement socialiste décide le renforcement du plan 2012-2014 en mettant l’accent sur la lutte contre les préjugés, le développement d’initiatives mémorielles et culturelles comme la pédagogie de lutte contre la haine raciale ou encore l’amélioration de la prise en charge des victimes et à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet.
Après les attentats de janvier 2015 et l’attaque du magasin Hyper Cacher, son successeur Manuel Valls annonce en avril un nouveau plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Le plan prévoit de faire du racisme et de l’antisémitisme, une circonstance aggravante généralisée pour tous les crimes et délits. S’agissant d’Internet, Manuel Valls vantait alors la création d’une Unité nationale de lutte contre la haine sur internet, appelée à devenir une cellule spécialisée au sein de la plateforme de signalement Pharos.
CNCDH
Difficulté à évaluer l’efficacité des politiques
Entre promesses jamais appliquées et recrudescence conjoncturelle des délits, difficile d’évaluer l’efficacité de ces grands plans annoncés depuis Matignon. Sur les 40 mesures promises par Manuel Valls en 2015, seules un peu plus de la moitié ont été engagées et/ou réalisées, à en croire le rapport d’évaluation. Ainsi, le « e-rappel à la loi » promis pour décourager la récidive n’a jamais vu le jour, tout comme l’obligation faite aux hébergeurs de contenus destinés au public français de disposer d’une représentation juridique en France.
L’évolution des actes racistes, antisémites et antimusulmans obéit elle-même à des règles conjoncturelles. Après le pic de 2015, ceux-ci ont globalement diminué en 2016 puis 2017. Mais les statistiques recouvrent des réalités parfois contradictoires. Pour la première fois depuis 2008, les atteintes aux sépultures et aux lieux de culte chrétiens et musulmans sont en baisse. Mais les sites juifs -(28 visés contre 23 en 2016) ont enregistré une hausse.
Le bilan global de la place Beauvau fait état de 950 actes racistes, antisémites et antimusulmans en 2017 contre 1128 en 2016, soit un repli de 16%. Dans le détail, les actes antimusulmans connaissent la plus forte baisse (-34,5%, avec 121 faits) devant les actes racistes (-14.8%, avec 518 faits) et les actes antisémites (-7.2% avec 311 faits). Là encore, la diminution des délits masque une poussée des actes violents.
Le ministère de l’Intérieur s’est ainsi inquiété de la hausse « préoccupante » des actions violentes à caractère antisémite, passées de 77 en 2016 à 97 en 2017.
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