« Même la Mafia ne tue pas aussi facilement. L’important, c’est l’avertissement, le message » a déclaré le champion d’échecs au HuffPost allemand
RUSSIE – Selon Garry Kasparov, opposant au Kremlin, l’attaque par empoisonnement perpétrée en Grande-Bretagne sur l’ex-agent double Sergueï Skripal est « une tentative d’intimidation de la part des autorités russes ».
« Le fait que la fille de Skripal ait été également victime de l’attaque n’est en aucun cas une coïncidence, a expliqué au HuffPost allemand le célèbre champion du monde d’échecs, en marge du PutinCon, le grand colloque sur Vladimir Poutine qui s’est tenu le 16 mars à New York.
« Un signal très ciblé d’intimidation »
« C’est même un signal très ciblé d’intimidation. Le Kremlin a peur que le procureur américain Robert Mueller interroge des citoyens russes à propos de l’ingérence de Moscou dans les élections présidentielles américaines. » Cela doit être évité à tout prix, même au prix d’un meurtre.
« Ceux qui parlent termineront comme Skripal. »
Kasparov rappelle que la Russie du président Vladimir Poutine, fraîchement réélu, est un état mafieux: « Et même la Mafia ne tue pas aussi facilement. Il y a toujours une raison. Pour Moscou, Skripal lui-même n’avait aucune importance. L’important, c’est l’avertissement, le message: tous ceux qui parleront connaîtront le même sort. »
Kasparov rejette l’argument souvent entendu par les pro-Poutine, selon lequel cet empoisonnement serait préjudiciable au chef du Kremlin. « On nous sert ces foutaises depuis quinze ans, à chaque fois que quelqu’un est assassiné. »
Des dépositions à charge de témoins russes entendus par Robert Mueller seraient bien plus dangereuses pour Vladimir Poutine que la tentative d’assassinat, estime-t-il.
« L’État russe sous Poutine ne défend que celui des bandits qui détiennent le pouvoir »
Il réclame qu’on en tire les conséquences: l’Occident doit arrêter une bonne fois pour toutes de faire comme si la Russie était un État normal défendant ses intérêts normaux.
« L’État russe sous Poutine ne représente pas l’intérêt national; il ne défend que celui des bandits qui détiennent le pouvoir », rappelle l’opposant politique, exilé aux États-Unis après avoir été arrêté à plusieurs reprises en Russie.
Argent ou loyauté?
L’expulsion de 23 diplomates russes par le Royaume-Uni est une réaction très insuffisante à la tentative d’assassinat.
« Il faut commencer par les attaquer au portefeuille. Il n’y a que ça qui fera mal à Poutine et ses hommes », réclame Kasparov. Il faut bloquer les flux de capitaux: c’est le seul moyen. Et, par-dessus tout, il faut faire comprendre aux oligarques russes qu’ils paieront cher leur soutien à Poutine.
L’Occident doit placer les super-riches russes devant un choix: « De deux choses l’une: soit vous êtes du côté de Poutine, soit vous conservez toute la fortune que vous avez planquée chez nous. » Kasparov pense que les oligarques commenceront alors à se poser des questions sur Poutine.
Un premier pas important serait, selon lui, de promulguer dans toute l’Europe des lois analogues à la loi dite Magnitski, déjà en vigueur aux États-Unis et dans quelques autres pays.
Cette loi interdit aux fonctionnaires russes impliqués dans certaines affaires criminelles, dont celle du meurtre en prison de l’avocat russe Sergueï Magnitski en 2009, de se rendre dans ces pays, et bloque leurs avoirs à l’étranger.
La République tchèque, la Hongrie et la Grèce sont les têtes de pont de Poutine en Europe.
En 2008, Kasparov avait fondé le parti d’opposition extraparlementaire Solidarnost avec le politicien Boris Nemtsov, assassiné en 2015.
Pour Kasparov, 54 ans, les choses sont claires: ce ne sont pas les élections qui décideront du temps que Poutine passera encore au pouvoir, car elles n’en méritent même pas le nom. Seul l’Occident peut peser sur la question. Mais la raison principale pour laquelle Poutine n’a jamais eu à répondre de ses actes est liée à sa position de force en Europe.
En effet, explique Kasparov, le chef du Kremlin y a de solides points d’appui, comme Miloš Zeman en République tchèque, Viktor Orbán en Hongrie et Alexis Tsipras en Grèce, et beaucoup de personnes fort compréhensives envers lui, que ce soit en Allemagne ou dans d’autres pays de l’Union européenne.
L’ancien champion du monde d’échecs ne comprend pas le fort capital de sympathie dont Poutine dispose en Allemagne, laquelle a pourtant subi durant des décennies la partition du pays et le système injuste imposé par Moscou en RDA.
D’après la dernière enquête représentative publiée le 17 mars par le quotidienDie Welt, 58% des Allemands souhaitent un rapprochement avec la Russie, 14% veulent poursuivre dans la voie actuelle et 26% seulement sont favorables à une prise de distance avec Moscou.
Il n’y a, depuis le début, presque aucune résistance à la propagande de Poutine en République fédérale d’Allemagne, se plaint Kasparov, et ses lobbyistes ont le dernier mot à Berlin.
Moscou est en train d’orchestrer une campagne de déstabilisation à grande échelle dans toute l’Europe, prévient l’opposant au Kremlin. « Et que font les Allemands? Rien qui vaille la peine d’être signalé. Beaucoup d’entre eux ne veulent même plus voir le problème en face. »
Jusqu’au jour où il sera trop tard…