Selon une expertise du musée du Louvre, un déplacement de la Joconde dans un musée de province se chiffrerait très – trop – cher. Décryptage.
Après le rêve, la facture. Si astronomique que le réveil est brutal. Selon une « simulation d’étude » réalisée par la direction du Louvre et adressée au ministère de la Culture que nous nous sommes procurée, un prêt de la Joconde pour une durée de trois mois, dans un musée de province, à la rencontre des Français, coûterait « entre 30 et 35 millions d’euros ».
La Ministre a tiqué. Même avec du mécénat privé, réunir une telle somme pour un simple prêt, fut-ce de la peinture la plus célèbre au monde, tient de l’impossible. Françoise Nyssen rêvait pourtant de présenter la Joconde au Louvre Lens. Elle a en tout cas encore rencontré la semaine dernière le maire de la ville nordiste et une association de supporters du club de football sang-et-or, qui avait clamé leur désir d’accueillir Mona Lisa, sur une banderole géante. « Il faut entendre ce que signifie leur désir, celui de voir près de chez eux des œuvres emblématiques de leur patrimoine », a rappelé Françoise Nyssen en présentant jeudi dernier son plan «Joconde etc., Culture près de chez vous ».
2 millions d’euros minimum pour l’assurance
Seulement voilà, le Louvre a lâché ses chiffres. D’abord, l’estimation des coûts directs. Au minimum 2 millions d’euros pour l’assurance du chef-d’œuvre. Puis 2 à 3 millions pour une vitrine spéciale, la conception d’un « mur-cimaise », avec un double dispositif garantissant une stabilité de température pour cette peinture de la Renaissance réalisée par Leonard de Vinci sur du bois de peuplier, affaiblie par une fente.
La Joconde est un chef-d’œuvre en péril, alors sur les routes de France… L’emballage est chiffré à 3 millions d’euros : il faudrait concevoir et réaliser un système de support qui n’existe pas sur le marché, un prototype absorbant totalement les vibrations, dans une caisse spéciale. A quoi s’ajoute 1 à 2 millions pour le transport, l’escorte, les dispositifs de sécurité, la surveillance humaine et électronique.
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13 millions d’euros de recettes de billetterie en moins pour le Louvre
Mais ce n’est pas tout. Le plus grand musée du monde a aussi estimé son manque à gagner vis-à-vis de tour-opérateurs japonais, chinois, américains ou brésiliens qui pourraient remettre en cause leurs réservations si Mona Lisa quittait le Louvre pour trois mois. Celle-ci, de fait, est prise d’assaut de 9 heures à 18 heures, tous les jours d’ouverture.
Même si ces coûts indirects prêtent à discussion pour un musée qui compte bien d’autres icônes, de la Victoire de Samothrace au Radeau de la Méduse, le Louvre estime à 13 millions sa perte de recettes de billetterie sans le sourire de la madone. « 90 % des visiteurs du Louvre viennent voir la Joconde », selon le document.
7,5 millions de pertes de recettes liées au « panier de dépenses » des visiteurs
Sous la Pyramide, on a aussi calculé qu’un visiteur dépense en moyenne 21 € dans ses librairies boutiques et 9€ dans ses restaurants, et chiffre à 7,5 millions sa perte de recettes liées au « panier de dépenses » des visiteurs. Total : 30 à 35 millions d’euros. Ça fait cher du Paris-Lens, 200km en camion, même ultra-sécurisé. Et si on la laissait tranquille, semble dire le Louvre en sortant froidement sa calculette. Mona Lisa a voyagé aux USA en 1963 et au Japon en 1974. L’année de la crise pétrolière et de la fin des Trente Glorieuses. Les folies, c’est fini.