« Face à l’orage, sous les grondements de tonnerre et à la lueur des éclairs qui précèdent la foudre, je reste debout » disait fièrement Jean Jaurès, en réponse à la houle de critiques ayant accueilli la naissance de la SFIO. Macky Sall – à l’opposé de Jean Jaurès, en 1905, et à la différence du Général Moussa Traoré, en 1991 – n’a pas eu la posture statique du héros, face à la petite tornade du 19 avril. « Le lion qui dort » a subitement perdu le sommeil et précipitamment franchi le détroit de Gibraltar. De toutes les péripéties ayant escorté l’élaboration, la discussion, la contestation et le vote aux forceps du fameux projet de loi instituant le parrainage, l’Histoire et les manuels scolaires destinés aux élèves de l’année 2045 (les futures générations) ne garderont intacte que l’image du chef de l’Etat qui s’éclipse au moment où le destin du Sénégal oscille.
Conformément aux rôles et vocations qui leur sont dévolus, les conseillers du Palais devaient décommander ou retarder le voyage par et avec des arguments de bonne facture. Dans un régime présidentiel voire présidentialiste comme celui du Sénégal, la clé de voûte de tout l’édifice institutionnel et le garant du bon et régulier fonctionnement des institutions – en l’occurrence Macky Sall – est inévitablement catapulté en première ligne, en temps de crise intérieure (rupture imminente de l’ordre public) ou de secousses dans le voisinage immédiat (Gambie, Mali, Mauritanie et les deux Guinée) dont les répercussions charrieraient forcément de gros risques. Recevoir des enseignants inoffensifs en pleine nuit, et s’effacer, dès les signes précurseurs d’une tempête finalement muée en averse, n’est pas une conception courageuse et sacerdotale de la haute fonction présidentielle qui est aux antipodes de la sinécure. On ne s’éloigne pas de sa Police et de sa Gendarmerie, au paroxysme d’une tension nationale. Sous aucun prétexte. Il est vrai qu’il était plus aisé, pour Macky Sall, en septembre 2013, d’aller en tenue de combat au devant du tuyau perforé de Keur Momar Sarr, que de rester collé au chaudron dakarois du 19 avril dernier.
La politique exige deux types de courage : moral et physique. Durant l’attentat du Petit Clamart, le Général De Gaulle a refusé de baisser la tête (sous la mitraille), malgré l’insistance de son aide de camp ; le Président Moussa Traoré, un Bambara fier, a accompagné son ministre de l’Intérieur, Sékou Ly, et le Général de gendarmerie Bakary Coulibaly, chef du Poste de Commandement Opérationnel de Bamako, devant le Tribunal où ils ont, tous les trois, été jugés et condamnés. Rappelons que Moussa Traoré a décliné deux offres d’exfiltration par un Boeing algérien et un Grumman ivoirien, deux avions dépêchés sur l’aéroport de Bamako-Sénou, par ses homologues d’Algérie et de Côte d’Ivoire. Tous les vendredis, l’ex-Président Moussa Traoré est, à sa sortie de mosquée, chaleureusement salué par une foule de Maliens admiratifs de son patriotisme sans failles et de son cran à toute épreuve.
Sous tous cieux, le chef de l’Etat n’est jamais innocent. En effet, La responsabilité est consubstantielle à ses charges exceptionnelles. Une mission à large spectre et hors du commun. La magie du suffrage universel est passée par là. Le vote populaire veut et peut qu’un charpentier n’ayant jamais vu un revoler ou un ex-caporal entré en politique, commande les armées, chapeaute la magistrature et coiffe toutes les administrations. Du coup, le Haut-Commandement de la Gendarmerie et la Direction Nationale de la Police sont – en termes de responsabilité ultime – hors du coup. Ces deux corps ne présentent jamais des projets de loi à l’Assemblée nationale. C’est le Conseil des ministres qui est l’usine à fabriquer des projets de loi. Par conséquent, c’est l’Exécutif qui assume et non les exécutants. En clair, un chef d’Etat délègue des parcelles de pouvoir et parfois les pleins pouvoirs ; mais un Président de la république ne délègue pas une once de responsabilité. D’où la nécessité et le devoir d’être debout sur le pont du bateau quand la mer est démontée. A tort ou à raison, le sentiment est établi que Macky Sall qui se replie à Paris à un moment crucial et crépusculaire de son premier mandat, s’installera au Paraguay, lorsqu’il perdra ou quittera démocratiquement le pouvoir. Du reste, les images télévisées de Paris ont montré un homme politique qui supporte mieux la liesse de ses militants que l’ire de ses concitoyens.
On a dit, ici et là, que le rendez-vous très urgent de Paris était antérieurement fixé. Quels que soient la grande acuité du menu des entretiens programmés Macron-Macky, le choc brutal des calendriers et le télescopage involontaire des agendas, le Président du Sénégal indépendant ne peut pas être convoqué comme un huissier de l’Elysée. Reçu le vendredi, 20 avril, à 18 heures (16 heures à Dakar), le délai d’attente sur le sol français est tel que le Président Sall avait la latitude de s’envoler dans la soirée du 19 avril, quelques minutes avant ou après le vote des députés. Ironie du sort, le contraste des postures est saisissant voire gênant entre celle du Président sénégalais qui évite la colère d’une partie de ses concitoyens, en se repliant à Paris, et celle d’Emmanuel Macron qui, le jeudi 19 avril, est allé au contact direct (poitrine contre poitrine) des cheminots et d’autres grévistes, pour défendre éloquemment et courageusement sa politique fiscale. Images vues à Dakar sur France 24. Bref, le sens élevé de la fonction présidentielle et le souci non moins haut de la dignité nationale placent toujours le curseur des obligations ardentes sur le pourtour de l’avenue Roume, à Dakar-Plateau, et non dans la cour de l’Elysée.
Par ailleurs, l’astuce qui consiste à organiser sa propre inaccessibilité n’est pas un signe évident de solidité psychologique. Un Président aux nerfs d’acier et aux convictions fortes ne met pas la Méditerranée entre les guides religieux de son pays et lui. Il campe dans son Palais, campe sur ses postions et explique les avantages de son projet de loi à ces marabouts-médiateurs qui, après tout, sont « des citoyens ordinaires », pour reprendre la retentissante et célèbre formule. Expression apparemment regrettée. Contrairement à une interprétation facile et puérile, le Président Macky Sall n’a pas snobé son opposition. Il a déserté un pays en proie aux spasmes d’une démocratie atteinte d’une d’une incurable colique juridique qui montre bien que dans le Sénégal de 2012-2018 (de Wade à Macky), prévalent deux obsédantes préoccupations : comment accéder au pouvoir et comment s’y maintenir ? Le reste relève de l’habillage juridique qui est l’apanage des juristes-tailleurs dont les ateliers tournent à plein régime.
Que reste-t-il de la petite tornade du 19 avril ? La Bastille n’a pas été prise. Toutefois l’aube d’une instabilité rampante, latente et larvée se lève sur le Sénégal. Pire, la fracture béante et saignante au sein de la classe politique fait le lit de tous les éléments constitutifs d’un chancre mou, d’un ventre mou et d’un abcès morbide qui fragiliseront incessamment un Sénégal aux voisins peu commodes, nonobstant l’existence d’une armée de plus en plus armée. Les vrais remparts d’un pays, ce ne sont pas les fortifications militaires aux frontières, encore moins l’efficacité avérée de ses services de renseignement. Tous les férus d’Histoire militaire se souviennent que toutes les lignes de défense ont été bousculées. La ligne Bar-Lev (Israël-Egypte), la ligne Morice en Algérie, la ligne McNamara au Vietnam, la ligne Maginot en France et les murs de défense de Hassan II et du Général Dlimi, au Sahara Occidental, ont été troués, brisés ou franchis.
Le bon rempart dans une Afrique de l’Ouest taraudée par des poussées de fièvre terroristes, reste la cohésion nationale qui est supérieure au parrainage et au nombre de mandats. Donc, la panacée et le salut ont pour noms : le dialogue et le consensus. A l’ère du pétrole et du gaz – deux ressources géopolitiquement très inflammables – le Sénégal doit stopper la gymnastique institutionnelle et les contorsions constitutionnelles qui le rendent vulnérable.