- Le 26 avril, 2018
Venue prendre part à la cérémonie d’ouverture d’un symposium international sur la «Codification des danses africaines» à l’Ucad II, la fondatrice du centre international de danses traditionnelles et contemporaines d’Afrique, l’Ecole des Sables qui se trouve à Toubab Dialaw, s’est confiée à Sud Quotidien. Dans cet entretien, Germaine Acogny est revenue sur l’évolution des danses et l’importance de leur codification quand on sait que la journée mondiale de la danse est prévue le 29 avril prochain. Elle déplore le «manque de considération» de la culture chez les africains non sans revenir sur la situation de son établissement de danse fondée en 1968.
Comment analysez-vous l’évolution de la danse au Sénégal ?
Je donne un exemple. Ndéye Khady Niang qui a été mon professeur, la façon dont elle dansait le sabar est différente de la façon dont les jeunes dansent le sabar aujourd’hui. Nos danses patrimoniales ne sont pas des danses figées. Elles évoluent. Ce n’est pas du folklore. Elles évoluent dans le temps et dans l’espace. Les danses sont liées à l’environnement. Quelqu’un qui danse, qui habite près de la mer, ne danse pas de la même façon que quelqu’un qui danse dans la forêt. Donc, nos danses patrimoniales évoluent aussi au contact des étrangers qui viennent, des maliens, des béninois, des sénégalais et les danses peuvent se mêler pour constituer une nouvelle danse. Maintenant, si on parle des danses urbaines, les jeunes ne vont plus dans la forêt. Ils inventent des danses urbaines suivant leur vécu, leur temps d’existence. Donc, les danses évoluent dans le temps et de l’espace. Et ce que je n’aimerai pas, c’est qu’elles soient vulgaires. J’aime toutes les formes de danse sauf la vulgarité que vous voyez quelque fois à la télé.
Dans ce cas, la dance n’a-t-elle pas commencé à perdre sa valeur ?
De toute façon, nos danses patrimoniales perdent leur sens puisqu’elles ne sont plus ce qu’elles étaient. Il y’a différentes sortes de danses. Il y’a les danses d’initiation, de guérison, de réjouissance. Ça dépend du contexte où on est en train de faire la pratique de ces danses-là. Quand on fait le «Ndeup», ça reste toujours cette origine qui est là, qui ne perd pas son essence. Mais quand c’est des danses de réjouissance, ça peut perdre leur valeur parce que c’est des danses pour s’éclater. Et puis aussi, il y’a de nouvelles danses qu’on fait avec les chanteurs. Mais ce sont des danses urbaines, de salon, de réjouissance.
D’où l’importance de codifier les danses africaines ?
A l’Ecole des Sables, on reçoit des danseurs de toute l’Afrique, lusophone, francophone et anglophone. Chaque danseur apprend aux autres une danse patrimoniale et leur explique le sens, l’origine et tout. C’est des genres de conservation qu’on essaie de garder dans toute l’Afrique. Mais justement, la question c’est de faire un recensement déjà du Sénégal et puis après des autres pays. Parce qu’il y’a plusieurs danses qui se ressemblent dans différents pays et qui portent d’autres noms. Il y’a le «Warba» au Burkina Faso qui se danse par les hommes et au Ghana, ça n’a pas la même signification mais c’est la même façon de bouger les fesses. C’est un grand travail de recherche qu’on doit faire et ensuite essayer de voir les similitudes mais ça c’est le travail des universitaires d’où l’importance de ce symposium. Je pense que c’est bien qu’on ait une trace de nos danses patrimoniales.
Quelle est la place de la danse dans la société africaine ?
La place de la danse dans la société africaine est très importante mais je pense que les gouvernants ne la mettent pas à la place qu’il faut pour aider à son développement. C’est déjà une bonne idée de faire à ce développement de la danse et en plus je crois même que les africains ne considèrent pas leurs cultures, leurs danses. Par exemple, moi, je trouve qu’ils ne font pas la danse traditionnelle, ils vont aller pratiquer le yoga ou d’autres choses qui ne sont pas du pays parce qu’ils considèrent que c’est mieux alors que si nous, on ne considère pas nos danses, ce n’est pas les autres qui vont les considérer. Et même je trouve que les européens prennent plus en considération nos danses que nous-mêmes et je trouve ça vraiment triste. Par exemple, pour l’épanouissement des jeunes, ou les entreprises, on leur offre des danses mais les africains ne viennent pas. C’est surtout des européens ou des étrangers qui viennent prendre justement la valeur de nos danses mais les africains, ils sont là, ils ne veulent pas danser. Ils se prennent pour qui ? Ils ne considèrent pas leurs cultures.
Parlez-nous de la situation de votre école quand on sait que vous aviez publié il y’a de cela quelques mois une lettre pour demander de l’aide ?
On n’est toujours pas encore sorti de la situation mais le ministre de la Culture est venu nous rendre visite à l’Ecole des Sables. Il s’est rendu compte que c’est un village de la danse que nous avons créé. Il a vu l’importance de cette école et tout ce qui s’y passe. Il a donné 10 millions pour venir à notre secours, pour un premier pas. Et moi ce que je demande au Président de la République, s’il veut que sa politique culturelle soit suivie, il faut qu’il laisse pendant un moment le ministre de la Culture longtemps pour qu’on puisse discuter avec lui, qu’il puisse accomplir l’œuvre. Mais, si on change tout le temps de ministre, ce n’est pas possible. Il faut que le ministre de la Culture reste au point et se rend compte de tout ce que nous faisons et qu’il nous suive dans notre évolution. Donc, c’est une demande que ce ministre qui est bien, reste à sa place et nous suive dans l’évolution et les grands travaux du Président de la République.
Auteur: Mariame Djigo – Sud Quotidien