S.O., le 23/05/2018 à 14:23
COLERE. Face à l’inquiétude et aux critiques des architectes à propos de la loi Elan, le ministère de la Cohésion des territoires avait livré son point de vue sur la situation à Batiactu. Des éléments de réponse sur lesquels l’Unsfa tient à apporter des « réponses concrètes ».
Les architectes ne décolèrent pas. Face à la fronde des architectes le 17 mai dernier contre le projet de loi Elan, le ministère de la Cohésion des territoires avait réagi et apporté ses arguments notamment à propos du concours d’architecture. Une réponse qui n’a pas convaincue l’Unsfa. Pire. Qui les a « profondément choqués« , écrit l’Union des architectes dans un courrier adressé à Batiactu pour apporter « des réponses concrètes à l’article publié le 17 mai (ndlr : « Fronde des architectes : le Gouvernement répond« )
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Selon elle, « les propos tenus dans cet article sont indignes d’un représentant de l’Etat et inadmissibles » et « démontrent d’une totale méconnaissance du travail et du rôle des architectes« . L’Unsfa ajoute que « contrairement à ce qu’il est dit, il s’agit bien d’une attaque en règle contre les acteurs de la maîtrise d’œuvre indépendante, dont les architectes, et contre les petites et moyennes entreprises dont la charge de travail pourrait bien se réduire de moitié si la loi est votée et si les bailleurs sociaux l’appliquent à la lettre ». Elle s’interroge : « Quel secteur pourrait rester muet devant la suppression de dizaines de milliers d’emplois ! Emplois qui seront supprimés et non déplacés, puisqu’en l’absence d’une conception aboutie, ce sera aux grosses entreprises qu’on confiera désormais les projets. Quel devenir pour les étudiants en architecture dont l’avenir vient subitement de se fermer ? Où réside l’intérêt public ? Dans un secteur marchand ou dans une commande publique vertueuse ?« .
Premier sujet, le concours d’architecture
L’Unsfa répond donc à chaque argument donné par lle ministère de la Cohésion des territoires à commencer par le concours d’architecture.
Lorsque que le ministère dit que : « le concours d’architecture est une procédure longue qui vise à sélectionner après plusieurs jurys successifs l’architecte d’un projet« . Procédure qui, selon lui, peut durer « 6 à 8 mois » et qui « implique que le maître d’ouvrage doit même parfois rémunérer les architectes non retenus. » Et que « le concours peut être utile mais n’a pas à être systématisé et générer des surcoûts« . L’Unsfa répond que « c’est faire preuve d’une profonde méconnaissance de la procédure de concours pour affirmer de telles choses« .
L’Union des architectes développe ses arguments :
Sur la durée tout d’abord. L »Unsfa écrit : « La procédure de choix d’un candidat pour un concours est de même durée que celle d’un maître d’œuvre pour une procédure en MAPA. Seule différence, il faut un jury formalisé au lieu d’une Commission d’Appel d’Offres. Ensuite, le délai de projet laissé aux candidats par les bailleurs est de 3 à 4 semaines pour une réponse sur Esquisse et de 5 à 6 semaines pour une réponse sur APS. En procédure de MAPA, le délai est sensiblement le même pour réaliser ces phases. Pour un concours, c’est un jury qui juge et retient le lauréat en 1 journée. En MAPA le maître d’ouvrage prend de 2 à 4 semaines pour valider les phases … seule différence, un jury à réunir
Mais en final, on constate que la procédure de concours est moins longue …. De plus si le bailleur a pris le soin d’inviter les élus locaux dans le jury et éventuellement un représentant de l’association de quartier locale, il gagne même du temps pour l’obtention du permis de construire. Ce n’est qu’une forme anticipée de la concertation. »
Sur le coût ensuite. L’Unsfa écrit : « Le ministère s’indigne que les architectes non lauréats soient indemnisés. Mais trouverait-t-il admissible que les fonctionnaires de son service ne soient pas payés pendant 3 à 6 semaines ? Chaque travail mérite salaire, et celui des architectes et de ses collaborateurs, aussi pour rappel, cette indemnité ne couvre que 80 % de la rémunération de la phase engagée, c’est-à-dire que les architectes ne sont déjà pas payés à la hauteur du temps et des frais qu’ils engagent. Le montant des indemnités aux lauréats non retenus ne correspond qu’à 0,3 ou 0,4 % du montant honoraires + coût de construction. Si l’on rajoute le foncier et la maintenance, c’est moins de 0,1 % ! Comment oser parler du coût des concours au regard de ces sommes dérisoires et de la qualité engendrée par cette procédure ? »
Autre sujet délicat : la loi MOP
Quand le ministère de la Cohésion des territoires explique : « Aujourd’hui, elle (la loi MOP) impose que le maître d’ouvrage doit passer commande à une équipe de maîtrise d’œuvre sous l’égide d’un architecte « , l’Union des architectes répond : « Le principe majeur de la loi MOP est qu’il faut confier effectivement la maîtrise d’œuvre à une équipe unique qui sera responsable de la cohérence d’un projet, et, in fine, de la réussite de l’opération, du début à la fin de celle-ci. Tout projet nécessite une certaine maturation facilitée par la loi MOP et une équipe de maitrise d’œuvre engageant sa responsabilité de l ‘esquisse jusqu’à l’année de parfait achèvement. »
Lorsque le ministère avance que : « La loi Mop impose tout en séquencement d’actions : relation du maître d’ouvrage avec le maître d’œuvre, puis les entreprises, puis les industriels, alors que les nouveaux outils de construction permettent de fusionner les étapes et intégrer le plus en amont les différents acteurs« , alors l’Unsfa répond : « Le législateur de l’époque avait bien compris l’intérêt d’une maîtrise d’œuvre indépendante des entreprises, défendant et protégeant les maîtres d’ouvrage publics, faisant respecter l’exécution et la qualité des prestations demandées, et les délais bien souvent imposés« .
Et quand le ministère de Jacques Mézard et Julien Denormandie explique que : « La loi Mop impose au maître d’ouvrage de faire appel à une équipe de maîtrise d’œuvre (architecte et bureaux études) en un seul bloc alors que des économies sont possibles en allotissant comme la même loi MOP le permet pour les commandes portants sur des infrastructures« , les architectes répondent : « Quelles économies seraient possibles en allotissant cette loi MOP compte tenu du niveau d’honoraires atteint aujourd’hui ? A l’heure du BIM, c’est totalement méconnaitre la nécessité d’un travail collaboratif travail (architectes et bureaux d’études) dès le premier coup de crayon.
Le ministère imagine confier le permis de construire aux architectes puis de consulter des bureaux d’études. Et comment seront dimensionnés les éléments techniques, la structure, …, qui conditionnent la conception d’un projet. Qui effectuera les calculs thermiques nécessaires pour l’attestation à remettre lors de la demande de Permis de construire ? Comment les architectes pourront-ils conserver ou acquérir pour les plus jeunes leurs savoir-faire s’ils ne réalisent pas leur projet et n’en suivent pas la construction ? »
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Alors que le ministère estime que « le débat soulevé par les architectes est un débat de procédure et non de qualité des logements« , ils répondent : « S’il ne s’agissait que d’un débat de procédure, le projet de loi ELAN ne serait pas combattu par autant de monde issu de tous horizons, maitres d’ouvrages, élus, usagers et professionnels du bâtiment« .
Quand le ministère explique que : « Les OLS sont aujourd’hui en concurrence avec la promotion privée avec la Vefa qui est passée de 1% de la production en 2007 à près de 45% en 2017. Il en découle une perte de compétence des bailleurs sociaux dans leur fonction de constructeur et donc un délaissement de la construction de qualité notamment dans les territoires détendu où la promotion privée ne se positionne pas. Il convient donc de permettre aux bailleurs sociaux de construire dans un cadre agile, souple et adapté aux projets. »
Réponse des architectes : « C’est bien parce que les bailleurs ont perdu leur compétence de constructeur que la VEFA s’est développée ainsi. Le ministère souligne « un délaissement de la construction de qualité » de ces logements en VEFA mais veut transformer les bailleurs en promoteurs privés qui feront la même chose ! alors que nous attendions de la loi ELAN un renforcement de la maîtrise d’ouvrage publique et une extension de la Loi MOP pour offrir la qualité à tous les citoyens. L’architecture est un droit pour tous. »
Pas de discussions avec les architectes
« Bien que le ministère indique que « le sujet a été discuté au sein du conseil supérieur de la construction au sein duquel les architectes sont doublement représentés par le conseil de l’ordre et le syndicat des architectes« , les architectes jugent cela « totalement faux« . L’Unsfa rappelle enfin que le président de l’Ordre des architectes (CNOA) Denis Dessus et Marie-Françoise Manière (Unsfa), qui siègent dans cette instance, « se sont violemment opposés au projet de loi et ont dénoncé les risques entrainés par certains articles« . Elle insiste aussi sur le fait qu’ils « ont rendu un avis défavorable sur le projet de loi » et que « l’avis favorable n’a compté qu’un vote de différence« . Les architectes estiment donc que l’on « ne peut pas parler d’une grande adhésion du CSCEE à ce projet de loi« .