Par Christian Makarian, publié le , mis à jour à
Au Canada, il a humilié ses alliés; à Singapour, il rencontre son ennemi coréen. Faute de stratégie, Trump veut faire des « coups ».
Donald Trump ne nous décevra jamais. A La Malbaie, au Québec, où se tenait laborieusement le G7, il est arrivé le dernier et est reparti le premier, ce qui ne l’a pas empêché de se présenter en retard lors du petit-déjeuner de travail dévolu à l’égalité entre les sexes ni de sécher carrément la session consacrée au climat. A peine s’était-il envolé vers Singapour qu’il annulait unilatéralement, d’un simple tweet, le communiqué commun et qu’il réitérait sa fermeté sur les nouvelles taxes douanières imposées par les Etats-Unis : après l’acier et l’aluminium, il menace de relever le taux appliqué aux importations d’automobiles…
« Un siège réservé en enfer »
Cet hallucinant rebondissement efface un compromis en 28 points, acquis de haute lutte, et pose désormais la question de l’utilité du G7, format fortement critiqué depuis plusieurs années. Que peut-on encore attendre du G7, instance qui a montré son inefficacité depuis plusieurs années (44 sommets selon ce schéma depuis 1974, G8 avec l’intégration de la Russie, en 1996, puis exclusion de ce pays en 2014 et retour au G7) ? A maints égards, le G20 paraît aujourd’hui plus approprié à la dimension mondialisée de l’économie et des échanges. Par exemple, si la Chine avait été présente à La Malbaie, Trump aurait eu sans doute plus de mal à tenir tête aussi effrontément à ses partenaires. Mais le G7 conserve (ou plutôt conservait…) un rôle appréciable : il rassemble tous les pays fortement industrialisés qui se rattachent de manière imprescriptible aux règles démocratiques. En montrant qu’il n’en a cure, le 45e président des Etats-Unis porte atteinte aux fondamentaux libéraux face aux systèmes illibéraux ; on imagine aisément combien la Russie peut se réjouir de l’échec de La Malbaie.
Avec un déchaînement verbal irraisonné, l’entourage de Donald Trump s’est livré à un éreintement du plus proche allié de l’Amérique, son voisin direct, le pays qui n’envisage rien qui puisse contrarier les Etats-Unis, à savoir le Canada. Sous prétexte que Justin Trudeau a estimé que les nouvelles taxes douanières américaines sur l’acier et l’aluminium frappant le Canada étaient « insultantes », au regard de l’histoire entre les deux pays, ce dernier s’est vu accuser de « trahison » ; c’est sur cette innocente déclaration que Trump s’est jeté pour annuler le soutien des Etats-Unis au communiqué final du G7. Sans mâcher ses mots, Peter Navarro, conseiller présidentiel pour le commerce, a asséné avec une virulence inaccoutumée : « Il y a un siège réservé en enfer à tout dirigeant étranger qui s’engage dans une diplomatie de la mauvaise foi avec Donald Trump et tente de le poignarder dans le dos quand il s’en va ».
Ne pas « montrer de faiblesse »
Un tel concentré de mauvaise foi répond forcément à une intention délibérée. La désolidarisation de Donald Trump vis-à-vis de ses alliés occidentaux prouve à quel point la Maison Blanche cherche sans ménagement à hiérarchiser ses objectifs : il avait été d’emblée décidé de subordonner les discussions du G7 à la rencontre avec Kim Jong-Un. Le G7 de La Malbaie a servi de cadre international à une démonstration de force, elle-même destinée à envoyer un message de détermination totale à la Corée du Nord : celui qui maltraite ses amis doit être, a priori, redouté par ses ennemis. Larry Kudlow, le conseiller économique favori du président américain, a pratiquement avoué la manoeuvre en laissant entendre que l’attitude de Donald Trump à l’endroit de Justin Trudeau et des pays européens visait aussi à ne pas « montrer de faiblesse » avant la rencontre avec Kim Jong-Un. Pour la Maison Blanche, l’Amérique ne doit pas laisser entendre au régime de Pyongyang que la discussion sera facile.
Après les tentatives de discussion avortées de Bill Clinton et de George W. Bush, Trump veut être le premier président depuis l’armistice en Corée, en 1953, à se retrouver en tête à tête avec le pire ennemi de l’Amérique. Un deal, peut-être, mais sûrement pas une ligne diplomatique. Au moyen du dossier ultra-sensible qu’est le cas nord-coréen, le président businessman cherche un succès d’image qui, selon lui, fera date et portera son empreinte. Il n’y a pas pour autant de vision dans cette démarche, qui se soldera au mieux par un long processus de négociations.
Pour la Maison Blanche, d’une manière ou d’une autre, l’essentiel est que le mot « dénucléarisation » figure quelque part dans un engagement souscrit par Pyongyang. Or, du point de vue de Kim Jong-Un, la « dénucléarisation » renvoie à une définition assez vague, qui peut désigner un processus à très long terme. Pour Pyongyang, comme l’explique l’expert Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, si un jour tous les pays qui disposent de la bombe en venaient à se dénucléariser, alors la Corée du Nord en ferait de même. La nuance est de taille….
Trump ou Kim, qui est le plus imprévisible?
Trump a été mis en garde à ce sujet par ses meilleurs conseillers ; mais il a un besoin impératif de prouver ses talents de négociateur sur la base de la seule méthode qu’il connaisse et reconnaisse : la pression maximale. Alors que Kim Jong-Un, lui, a en partie remporté son pari intérieur en obtenant de discuter d’égal à égal avec le président américain. Entre ces deux hommes, qui n’ont en commun que le goût d’une coiffure farfelue, cauchemar capillaire dont dépend le sort de la planète, peut-on réellement s’attendre à l’amorce d’un processus de dialogue ? La question vaut au monde entier ce paradoxe : depuis des décennies, c’étaient les dirigeants coréens qui demeuraient indécryptables, désormais, c’est Donald Trump qui s’avère imprévisible.