Une véritable bouffée d’oxygène pour l’exécutif, tant cette journée avait valeur de test après un mois de mobilisation notamment marqué par la violence.
POLITIQUE – Les « Marianne » aux seins nus n’y auront rien changé: le mouvement des gilets jaunes marque le pas. L’acte V de la contestation, organisé ce samedi 15 décembre, aura montré un net recul de la mobilisation de ces Français en colère à Paris comme en régions. Le ministère de l’Intérieur comptabilisait 66.000 manifestants dans tout le pays en fin de journée, soit deux fois moins que les 126.000 recensés la semaine dernière à la même heure. À la mi-journée, ils étaient 2.200 à Paris contre 10.000 il y a une semaine.
Une véritable bouffée d’oxygène pour l’exécutif tant cette journée avait valeur de test après un mois de mobilisation marqué, aussi, par la paralysie d’une majorité incapable de réagir rapidement à la fronde. D’autant que le président de la République avait joué son va-tout en début de semaine.
Et, visiblement, les quelques mesures qu’il a sorties de sa manche ce lundi depuis le palais de l’Élysée ont porté leurs fruits. Du côté des gilets jaunes, certains voient la main du gouvernement derrière le reflux mais d’autres reconnaissent le flop de cette journée. La mobilisation « est un peu un échec, mais c’est à cause de l’État qui nous empêche de manifester correctement », « qui n’arrête pas de faire peur », estime dans le quartier parisien de l’Opéra Lucie, une aide ménagère de 35 ans venue de Melun.
Désalignement des planètes
Autre chiffre révélateur de cette accalmie: à 18 heures, il y avait eu à Paris 168 interpellations dont 112 gardes à vue, bien en-deçà des records de la semaine dernière. Un calme relatif qui devrait permettre à la majorité -le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner en tête- de mieux respirer après les accusations, venues notamment de la droite, d’insécurité et de panique au plus haut sommet de l’État.
Christophe Castaner qui a justement estimé samedi soir que « la journée se termine bien ». « Le dialogue doit maintenant rassembler l’ensemble de ceux qui veulent transformer la France », a-t-il déclaré. « Les ronds-points doivent être libérés et la sécurité de tous redevenir la règle », a-t-il aussi tweeté.
Mais le désamorçage de la crise a mis du temps à se profiler. La veille, Emmanuel Macron avait une nouvelle fois appelé les gilets jaunes à la raison, estimant qu’il avait apporté « une réponse » aux revendications du mouvement tout en rappelant que « le dialogue (…) ne se fait pas par l’occupation du domaine public et par des violences. » Le point final d’une semaine qui avait tout pour porter un sérieux coup d’arrêt à ce mouvement spontané pour plus de démocratie et de pouvoir d’achat.
Dès lundi, Emmanuel Macron s’était exprimé devant les Français au cours d’une allocution exceptionnelle dont les chiffres d’audience montrent à eux seuls à quel point elle était attendue. Ses annonces, dont la plus emblématique porte sur une hausse de 100 euros des revenus au niveau du Smic, visaient à répondre aux revendications immédiates avant un « grand débat local » de plusieurs mois. Des promesses qui n’ont pas immédiatement satisfait tous les contestataires, mais qui ont eu la vertu pour le président de la République de diviser les gilets jaunes. Les plus « radicaux » ont vu leur détermination redoubler -comme après chaque prise de parole du couple exécutif- quand d’autres, plus modérés, ont appelé à transformer le mouvement et à quitter les ronds-points.
Au-delà de ces annonces, la promesse d’un nouveau dispositif de sécurité impressionnant composé de 69.000 forces de l’ordre sur tout le territoire appuyées à Paris par 14 véhicules blindés à roues de la gendarmerie ou encore les très nombreux appels venus de la majorité et d’ailleurs à stopper la mobilisation après l’attentat de Strasbourg, ont pu finir de démotiver les gilets jaunes.
Une trêve de courte durée?
Mais le noyau dur du mouvement n’a pas dit son dernier mot. « Les annonces de Macron sont un premier recul, ça montre qu’on peut le faire reculer, il faut continuer tous les moyens de pression », estime à Lille Jacques Caudron, un enseignant à la retraite âgé de 66 ans. Même chose pour Laurent qui travaille dans l’informatique et souhaite « faire évoluer la politique et la représentativité du citoyen. » Lui n’a pas vécu « cette journée comme un échec parce [qu’on] est soutenus ». « Partout où on va il y a des klaxons », argumente-t-il.
Et les deux hommes ne sont pas les seuls à s’afficher toujours aussi déterminés. Sur les pages Facebook des gilets jaunes, l’heure n’est pas à l’abattement mais à la remobilisation. Ce sont les publications d’internautes jusqueboutistes qui trouvent le plus d’écho au sein de ces communautés. Certains appellent même, déjà, à un acte VI.
D’autant que l’exécutif est désormais face à un véritable casse-tête pour concrétiser les promesses d’Emmanuel Macron. Le gouvernement devrait présenter un projet de loi « gilet jaune » au Conseil des ministres mercredi, reprenant la quasi totalité des annonces faites par le président de la République. Mais il ne restera plus que quelques heures au Parlement avant la fin de la session extraordinaire pour voter ces nouvelles dispositions afin qu’elles entrent en vigueur au début de l’année, comme promis.
Mais les choses risquent d’être un peu plus compliqués pour l’augmentation de la prime d’activité. Promise à compter du 1er janvier, cette augmentation du revenu de certains travailleurs pourrait attendre encore quelques mois. Car si l’on s’active au sein de la majorité, de l’Assemblée et des ministères pour donner corps à l’engagement présidentiel, et en l’occurrence à un modèle de la prime d’activité qui correspondrait effectivement à cent euros en plus sur le compte des concernés, des écueils s’annoncent.
Le principal: les bénéficiaires devront faire une demande auprès de la Caf, la Caisse d’allocations familiales… qui aura besoin de six mois pour mettre en application la mesure et effectivement verser les sommes, raconte Le Parisien.
Une limite technique, dépourvue de volonté politique, mais qui pourrait faire perdre patience aux gilets jaunes confrontés à des difficultés économiques immédiates et qui n’accordent que très peu de crédit à la parole présidentielle et à ses promesses. De quoi relancer la mobilisation après la trêve des confiseurs?