Le gouvernement de Shinzo Abe doit faire face à une pénurie de main-d’œuvre et à l’explosion des coûts de la sécurité sociale. Les entreprises, qui rechignent déjà à payer leurs salariés jusqu’à 65 ans, pourraient faire montre de réticence.
L’ambition du gouvernement de Shinzo Abe se précise. Dans son vaste plan baptisé «Vers une ère où l’on vit 100 ans», le premier ministre japonais envisage de porter l’âge de perception de la retraite à 70 ans, afin de «stimuler la croissance, augmenter les recettes fiscales et générer davantage de recettes pour la sécurité sociale». «Je veux mettre en place un système où les gens auront le choix de commencer leur retraite même après 70 ans», précisait déjà en novembre dernier le chef du gouvernement.
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L’exécutif présentera son projet de réforme du système des retraites le 28 janvier, alors que les négociations avec les entreprises ne devraient être finalisées que l’été prochain.
Le vieillissement de la population pèse sur les finances publiques
En repoussant l’âge de la retraite à 70 ans, Shinzo Abe souhaite s’attaquer aux problèmes fiscaux du pays causés par le vieillissement rapide de sa population et une baisse conséquente de la natalité. Avec un taux de fécondité de 1,43 enfant par femme en moyenne, le renouvellement générationnel n’est pas assuré, et les Japonais âgés de moins de 64 ans ne représentent plus que 60% de la population totale.
Ce vieillissement généralisé pèse sur les dépenses publiques et fait exploser le budget de la sécurité sociale. L’année dernière, les coûts de cette dernière représentaient un tiers du budget de l’État, contre 17% il y a vingt ans. En perpétuant le système de retraite actuel, les seniors risquent de coûter très cher à l’État en paiement de pensions, alors que le pays est confronté à une dette publique dépassant les 250% du PIB. Avec cette nouvelle réforme des retraites, le gouvernement souhaite «réorganiser le système de sécurité sociale pour rassurer tout le monde: enfants, parents, actifs et personnes âgées», déclarait en septembre 2018 le premier ministre.
Les entreprises accueillent la réforme avec méfiance
Selon un sondage réalisé pour le gouvernement, la réforme serait accueillie avec enthousiasme, deux Japonais sur trois de plus de 60 ans souhaitant travailler après 65 ans. Mais il semble que la difficulté pour le gouvernement se trouve du côté des entreprises. Les négociations s’annoncent en effet périlleuses, puisque le système actuellement en vigueur permettait aux employeurs de conserver leurs salariés âgés tout en diminuant leurs salaires de manière conséquente.
Au Japon, et ce depuis 2006, alors que les travailleurs nippons ont jusqu’à 65 ans pour toucher pleinement leur pension, la majorité des entreprises fixe généralement l’âge de départ à 60 ans pour que les salaires des séniors ne pèsent pas sur leurs finances. De fait, si l’employeur demande à un salarié de quitter l’entreprise avant 65 ans, ce dernier peut exceptionnellement percevoir sa retraite mais subit une minoration de son montant. Les travailleurs du secteur privé qui partent à la retraite à 60 ans ne peuvent par exemple toucher que 70% de leur retraite mensuelle.
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Mais face à la pénurie de main-d’œuvre liée au déclin démographique, les entreprises japonaises sont conduites à réembaucher ces néo-retraités jusqu’à au moins 70 ans, en leur proposant des contrats précaires moins bien rémunérés. Avec cette nouvelle législation, le gouvernement souhaite inciter les entreprises à garder leurs salariés plus longtemps, avec à un statut moins précaire, pour renflouer les caisses de la sécurité sociale. Pour faire passer la réforme, l’augmentation de l’âge de la retraite sera appliquée progressivement et le gouvernement réfléchit également à la création d’un système de soutien financier aux entreprises.
12,5% de la population active a plus de 65 ans
Le Japon détient le record du nombre de travailleurs séniors des pays membres de l’OCDE et la plus longue espérance de vie, estimée à 84 ans. Selon les statistiques du Ministère du Travail, 8,1 millions de Japonais de plus de 65 ans exercent une activité professionnelle, et ces derniers représentent plus de 12,5% de l’ensemble de la population active. L’année dernière, plus de la moitié des hommes et plus d’un tiers des femmes âgés de 65 à 69 ans étaient toujours salariés. Ce taux d’emploi chez les 65-69 ans représente un ratio très supérieur à celui des autres pays développés. Avec cette nouvelle réforme, le gouvernement japonais souhaite donc entreprendre une révolution culturelle de son modèle économique, en faisant de sa population sénior une force de travail comme les autres aux yeux des entreprises.
Cette décision de repousser l’âge de la retraite pourrait inspirer d’autres pays qui se heurteront prochainement à des problèmes liés au vieillissement de leur population. En France, le taux d’emploi des 65-69 n’est que de 6%, et le gouvernement réfléchit également à repousser l’âge de la retraite, actuellement fixé à 62 ans. Ce mardi, Jean-Paul Delevoye, Haut commissaire à la réforme des retraites, a notamment proposé que les futurs retraités qui partiront après 62 ans bénéficient d’une surcote pour leur pension. Ce bonus serait alors de 3 à 5% par année de travail supplémentaire.