Par: Mody NIANG 19 mars, 2019
Le Vieux Mody Niang n’a pas cassé sa plume, il a juste changé de centre d’intérêt. Les questions politiques et liées à la gouvernance ne seront peut-être plus ses priorités, mais il sera toujours là. « Vous vous rappelez que dans mon avant-dernière contribution, j’annonçais que j’orientais désormais mon militantisme vers d’autres questions, notamment celles relatives à l’environnement et à l’éducation à la citoyenneté. Cette contribution s’inscrit dans ce cadre-là », annonce-t-il. C’est donc parti pour une nouvelle aventure.
Dès l’introduction de ce texte, ma pensée va vers l’Adjudant-Major, Commandant actuel de la Brigade de gendarmerie de Ouakam. Le 12 mars 2019, je m’y suis rendu pour régler un problème. L’Adjudant-Major, qui était visiblement très occupé, m’a quand même reçu avec une courtoisie exquise, et m’a réglé avec diligence le problème objet de mon déplacement. Cela n’arrive pas toujours dans notre pays.
J’avais garé mon véhicule à l’intérieur, à un endroit que m’avait indiqué un gendarme, au milieu de nombreux autres véhicules, qu’on appelle communément « clandos ». Je ne m’attarde pas sur les « Jakarta » qui y étaient aussi en grand nombre. Quand je suis sorti des bureaux de la gendarmerie, je n’ai pas pu m’empêcher, au moment où j’allais prendre mon véhicule, de jeter un coup d’œil de près sur les « clandos ».
Ils sont si délabrés qu’ils ne devaient même pas transporter des animaux. Je me suis informé auprès d’une source sûre qui m’a assuré que chaque fois que les hommes du Major-Commandant rencontrent de tels « véhicules » dans la circulation, ils les conduisent à la brigade où ils sont immobilisés. Beaucoup de commandants de brigade et de commissaires de police devraient faire comme ce commandant de brigade. Je ne dirai pas imprudemment que tous ne le font pas mais, si j’en juge par le nombre impressionnant de « clandos » qui circulent sans problème à Dakar comme dans la banlieue, je me pose légitiment des questions.
Comment de tels « véhicules » peuvent-ils assurer tranquillement le transport de personnes sous « le nez et la barbe » des gendarmes et des policiers qui savent parfaitement qu’ils ne détiennent aucune des pièces les autorisant à s’adonner à un tel transport ? Personne ne peut imaginer, en effet, que les conducteurs de ces guimbardes présentent une carte grise, une visite technique ou une assurance. S’ils les présentaient, ce serait gravissime et les services qui les leur auraient délivrées mériteraient les pires sanctions.
Donc, dans les deux scénarios, le crime – oui, c’en est un – est établi de part et d’autre, et impunément. Pourquoi ? Une fois, j’ai été arrêté par un jeune policier, juste au moment où je sortais d’une station où je venais d’acheter du carburant. Le policier me réclame mes pièces et je m’exécute immédiatement. Il me rend les autres, retient mon permis de conduire et se met à remplir un papier jaune. Je lui demande tout naturellement ce qui se passe. Il me répond sèchement : « Vous n’avez pas mis votre ceinture de sécurité. » Il avait raison : je la portais jusqu’à la station.
Comme elle me gênait pour accéder à ma poche, je l’ai décrochée et, après avoir payé le carburant, je démarre en oubliant de remettre la ceinture. C’est alors que j’ai la malchance de tomber sur le jeune policier. Je lui explique tout cela, mais il n’a rien voulu comprendre et me répond : « Monsieur, vous n’avez pas mis votre ceinture ! » Au même moment, j’aperçois un « clando » qui roule vers nous, suivi d’un autre d’ailleurs. Tous les deux étaient de véritables guimbardes, qui n’avaient sûrement aucune des pièces qu’il m’a demandées, à plus forte raison une ceinture de sécurité. J’ai le réflexe de lui dire : « M. le Policier, arrêtez ce « clando » ! »
Il continue d’écrire et je reviens à la charge : « M. le policier, en voilà un autre, arrêtez-le ! Comme le premier, il n’a même pas de ceinture de sécurité ! » Pour toute réponse, il me tend le papier jaune et me dit presque avec dédain : « Vous avez jusqu’à demain pour récupérer votre permis à la Police de…. » Ce jour-là, j’étais vraiment indigné et désespéré de mon pays. Les cimetières de véhicules sont désormais vides, tous les cadavres étant pratiquement remis en circulation. Un jour, je me suis mis au bord de la route qui va du Rond Point de la Case de Cambérène vers le Lycée des Parcelles Assainies.
Je comptais deux, trois, quatre « clandos » avant qu’un ou deux véhicules supposés en règle passent. De l’autre côté, il y avait un policier qui arrêtait certains « clandos » et laissait passer certains autres d’un signe de la main. Je n’ose pas exprimer ce que je pense ici. Xel aggale na ko. Parfois, je me demande si mes compatriotes remarquent la même chose que moi, relativement au nombre impressionnant de ces « clandos » qui transportent des personnes partout à Dakar, jusqu’au centre ville. Je me demande s’il n’y a pas au moins autant de « clandos » que de véhicules dits en règle.
Je me demande pourquoi ils bénéficient de tant de compréhension vis-à-vis des policiers et des gendarmes. S’ajoutent maintenant à ces « taxis clandos », des « minibus » également mal en point qui viennent de toutes les régions du Sénégal. On en rencontre partout à Dakar, bourrés de clients, jusque sur les marches-pieds, sans que cela ne dérange le moins du monde personne : ni les simples passants, ni les gendarmes, ni les policiers.
Pourquoi les deux derniers ferment-ils hermétiquement les yeux sur ces « clandos » qui ajoutent terriblement à la confusion de la circulation à Dakar comme dans la banlieue ? L’une des réponses serait que nombre de ces « clandos » appartiennent à des policiers ou à des gendarmes à la retraite, comme en activité. L’autre réponse possible, je ne l’évoque pas, laissant à chaque observateur averti, le soin de le faire à son niveau. Quelle que soient les raisons qui expliquent la présence massive de ces guimbardes dans tout Dakar et dans sa banlieue, comme dans nombre d’autres villes d’ailleurs, il faut s’arrêter sur leurs conséquences désastreuses sur la circulation et sur l’air que nous respirons
1 .Circuler à Dakar devient une véritable course du combattant. Il n’y a pratiquement plus de zones à Dakar comme dans sa banlieue qui ne connaissent des embouteillages monstres
2 . La circulation se serait sûrement aérée plus ou moins, si on débarrassait la ville de ces « clandos » sans aucun « kayitu suukër » et des autres véhicules de toutes catégories vieux de cinquante ans ou plus, et qui nous empoisonnent carrément l’existence
3 . Les embouteillages ne sont pas notre seul calvaire.
S’y ajoute un autre qui est pratiquement la conséquence directe du premier : selon un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), Dakar est la deuxième ville la plus polluée au monde après New Dehli, la capitale de l’Inde. Avec une pollution atmosphérique supérieure 50 microgrammes/m3 et « un taux de concentration moyen en particules fines PM10 de 164 microgrammes par m3 », elle devance même Pékin, Johannesburg et Jakarta. Les asthmatiques et même les autres qui vivent dans la « capitale de l’émergence » sont bien placés pour en attester.
Selon le journal parlé de 20 heures de France 2 du 13 mars 2019, la pollution tue deux fois plus qu’on le pensait. Le même journal révèle qu’une étude publiée le mardi 12 /03/2019 rend la mauvaise qualité de l’air responsable de 8,8 millions de morts par an dans le monde, dont 2,8 millions en Chine, 8000.000 en Europe et 67000 en France. Combien la pollution tue-t-elle annuellement chez nous, où c’est loin d’être la préoccupation de qui de droit (je me garde de les citer) ?
Elle n’est pas seulement polluée, la « capitale de l’émergence », elle est aussi sale, très sale, ce qui ne m’a jamais laissé indifférent. Même si ma voix ne porte pas loin, cette saleté insoutenable par endroit, m’a amené, le 6 septembre 2014, à publier une contribution pour m’en indigner. J’introduisais ainsi la contribution : « Le vendredi 30 mai 2014, Mr Lewis Lukens, ancien ambassadeur des USA à Dakar rencontrait la presse, au terme d’une mission de trois ans.
Profitant de cette toute dernière opportunité, il exhortait le Gouvernement sénégalais à « se focaliser » sur la question des ordures et des problèmes de l’Environnement en général, pour mieux tirer parti du potentiel
1 Les vieux camions comme les « cars rapides » et les « Ndiaga Ndiaye » qui sont des cinquantenaires pour nombre d’entre eux en rajoutent par les fumées épaisses que dégagent leurs échappements.
2 Les nombreuses charrettes circulant désormais partout à Dakar rendent aussi la circulation plus difficile encore.
3 On me rétorquera sûrement qu’ils travaillent, les chauffeurs de ces véhicules, da ñuy daan séen doole. Oui, ils travaillent, ils gagnent leur vie. Mais qu’ils le fassent en conformité avec les lois et règlements vigueur ! L’émergence dans le laisser-aller est une vue de l’esprit. touristique du pays. » Précisant qu’il avait été déjà frappé par cette situation dès son arrivée au Sénégal, il s’interrogea en ces termes : « Quand on voit les ordures, on se pose des questions. On se demande pourquoi c’est comme ça. »
Quand un ambassadeur sort à ce point de sa réserve, c’est parce que la question qu’il évoque le tient particulièrement à cœur. Oui, il avait parfaitement raison et la situation qu’il regrettait est pratiquement la même que celle que nous vivons aujourd’hui, si elle n’est pas pire d’ailleurs. Dans nombre de quartiers de Dakar comme de sa banlieue, on est incommodé par des ordures et des eaux usées nauséabondes. Il suffit, pour s’en convaincre, de se promener dans les quartiers comme Reubeuss, Niayes Thioker, Fass-Gueule Tapée, Colobane, etc.
Des ordures sont déversées presque partout, jusque dans les rues les plus fréquentées. J’en remarque souvent entre le Pont de la Patte d’Oie et les abords (du côté droit) du Pont dit de l’émergence. Dans sa conférence, Son Excellence l’Ambassadeur sortant des USA aurait dû d’ailleurs aller plus loin, en pointant du doigt les gravats et les branchages qui sont une autre plaie de la « capitale de l’émergence ». Une plaie qui, malheureusement, laisse totalement les autorités et les citoyens indifférents. Ils ne se soucient guère des conséquences que les gravats en particulier entraînent.
Non seulement ils enlaidissent les quartiers dits les plus huppés, mais ils sont pour beaucoup dans l’aggravation des inondations. Ils surélèvent le niveau des rues et s’opposent à l’infiltration des eaux de ruissellement. Pour ne donner qu’un exemple, dans un quartier que je connais bien pour y avoir habité pendant vingt-cinq ans, les eaux de ruissellement s’infiltraient quelques minutes après, même s’il avait plu des cordes. Aujourd’hui, nombre de maisons y sont inondées, du fait des gravats qui s’opposent à toute infiltration.
Il en est ainsi d’ailleurs dans de nombreux autres quartiers de Dakar et de sa banlieue. Dans l’indifférence générale des autorités et des populations. C’est également dans leur indifférence générale que les gravats envahissent tous les espaces vides qui ne sont pas éclairés la nuit. C’est notamment le cas de ce qu’on appelait les « Jardins de Cambérène », jadis un îlot abondamment fleuri et qui faisaient partie des rares « poumons verts » de Dakar ?
D’autres « poumons verts » subissent le même sort et étouffent aujourd’hui sous des tonnes de gravats, dans l’indifférence générale des autorités (dont on ne peut rien attendre) comme des citoyens. Nous devrions tout faire pour les sauver, afin qu’ils absorbent ne serait-ce qu’une partie infime des tonnes de CO2 qui se dégagent des échappements des « clandos » et d’autres véhicules quinquagénaires.
Dakar est devenue une ville en pierre. Les irresponsables qui ont distribué nos terres n’ont même pas pensé à laisser place à des jardins publics. Les bénéficiaires de ces terres, les mêmes, ne pensent même à planter des arbres : ils construisent tout, préoccupés seulement par les gains du moment. Le lecteur se rend compte que l’expression « indifférence générale » revient souvent dans le texte. Elle exprime mon indignation. C’est cette indignation citoyenne qui m’avait poussé à publier la contribution du 6 septembre 2014.
J’y interpellais une autorité en ces termes : « Ministère de l’Environnement, où êtes-vous ? Vous ne pouvez quand même pas laisser ce » poumon vert » de Dakar mourir petit à petit sous le poids des gravats que des délinquants irresponsables y déversent toutes les nuits, impunément ! Pour ce qui me concerne en tout cas, je suis prêt à accompagner des agents de ce ministère sur les lieux, pour qu’ils constatent eux-mêmes sur place les immenses dégâts. Je suis prêts à les y accompagner avec mon propre véhicule et à mes frais, s’il y a lieu.
Ils pourraient s’accompagner, s’ils acceptent ma proposition, d’un journaliste muni d’une caméra, pour fixer les images hideuses, qui devraient indigner tous les passants. Si, au contraire, ils trouvent ma proposition prétentieuse et saugrenue, je lance le même appel à toutes les télévisions de nos différents groupes de presse. » Et j’ajouterai, aujourd’hui : « A toutes les organisations de la société civile qui se préoccupent de la dégradation continue de notre environnement. »
Nous ne devrions pas rester les bras croisés face à la défiguration continue de la « capitale de l’émergence », du fait des ordures ménagères, des eaux usées nauséabondes et des gravats partout déversés. Ce n’est pas tout d’ailleurs : cette « capitale de l’émergence » traîne une autre plaie, celle-là aussi béante que les autres : l’indiscipline et l’incivisme notoires des populations, pratiquement encouragés par la frilosité des autorités publiques, et dont l’ampleur dépasse même nos frontières. Cette plaie béante fera d’ailleurs l’objet de notre prochaine contribution, si notre SEIGNEUR l’agrée.
Dakar, le 18 mars 2019