Publié le 12 avril 2019
Quand la Fondation pour le patrimoine culturel prussien demanda à Mme Merkel de récupérer temporairement l’un des tableaux pour l’inclure dans l’exposition sur l’oeuvre de Nolde pendant le national-socialisme, la chancelière a tranché: les deux toiles ne seront plus jamais accrochées aux murs de la chancellerie.
Si aucune explication officielle n’a été donnée, pour les médias allemands il n’y a guère de doute: la chancelière agit ainsi du fait des opinions de l’artiste favorables aux nazis.
Les deux peintures n’ont en soi rien de politique, l’une s’intitule Brecher, date de 1936 et montre de grandes vagues sous des nuages rouges. L’autre remonte à 1916 et présente des fleurs dans un jardin.
Dans la foulée, la chancelière a aussi refusé d’accrocher deux tableaux de Karl Schmidt-Rottluff, là aussi des historiens ayant relevé que le peintre s’était illustré par des commentaires antisémites.
Peut-être pour éviter tout nouveau problème, un porte-parole de la chancelière a annoncé que Mme Merkel «n’empruntera plus d’autres oeuvres à la Fondation du patrimoine culturel prussien pour son bureau».
Pour certains, la réaction de Mme Merkel est exagérée, même si en effet la contrition envers le nazisme et l’Holocauste figure au coeur de l’identité nationale en Allemagne.
Tholde Rotermund, trésorier de la Fédération allemande des galeries et des marchands d’art, y voit une forme d’hypocrisie, relevant auprès de l’agence Dpa que Mme Merkel continue de «s’asseoir au premier rang» lors du festival annuel de Bayreuth consacré à Richard Wagner, pourtant un antisémite notoire.
Le débat est donc lancé: quelle doit être la place des valeurs morales et politiques d’un artiste dans l’appréciation de son oeuvre?
Un débat «très excitant»
Dans le cas de Nolde, ce dernier faisait figure de victime du régime hitlérien car son art était considéré comme «dégénéré». Pourtant, il était antisémite et un fervent soutien du Troisième Reich.
L’exposition Nolde, qui s’est ouverte jeudi dans le musée du Hamburger Bahnhof de Berlin, vise donc à briser l’image d’artiste persécuté en juxtaposant les opinions politiques de l’intéressé et ses tableaux.
«Il y a des moyens de revenir sur le passé complexe, difficile et négatif de l’Allemagne pour dire « ça a toujours du sens aujourd’hui, on ne détourne pas le regard »», explique à l’AFP Bernhard Fulda, un des conservateurs de l’exposition.
Mais il admet avoir été «légèrement surpris» par la décision de la chancelière, même s’il comprend que Mme Merkel a des situations de crise autrement plus importantes à gérer, comme les négociations sur le Brexit.
L’écrivain Florian Illies est plus dur et juge dans les colonnes de l’hebdomadaire Die Zeit qu’il est important «de donner de l’espace à la vérité: des gens méchants peuvent aussi faire du grand art».
«C’est inconfortable, mais (le dire) est plus courageux que de commencer à décrocher les tableaux des murs», poursuit-il.
Pour Christian Ring, directeur de la Fondation Ada et Emil Nolde à Seebüll, ce débat qui entoure l’artiste «est très, très excitant».
«Je trouve ça plus important que de discuter de qui a retiré quoi d’un mur. C’est ce que nous essayons de faire avec cette exposition. Nous voulons une discussion sur comment orienter notre boussole morale dans ces situations», a-t-il expliqué à l’AFP.
Le cabinet de Mme Merkel va devoir engager une réflexion et arrêter «sa propre opinion sur quelles oeuvres peuvent être affichées à la chancellerie», insiste-t-il.
Pour M. Fulda, la décision de Merkel est une «anecdote qui illustre qu’après tant d’années […] Hitler suscite encore tellement d’intérêt qu’il est difficile de l’ignorer».
«Et c’est pourquoi on en arrive à cette réaction de panique», conclut-il.