S’il est encore tôt pour le bilan, voici ce que l’on sait sur les dégâts et pertes inestimables causés par l’incendie de la cathédrale.
NOTRE-DAME – La perte est inestimable. Lors de l’incendie qui a ravagé la cathédrale de Notre-Dame de Paris, la charpente en bois et la flèche ont été détruites. Le bilan des dégâts n’est pas entamé que la reconstruction est déjà sur toutes les lèvres. “D’ici cinq années”, annonce même Emmanuel Macron ce mardi soir. Mais peu importe la forme qu’elle prendra, une partie de l’édifice et des œuvres qui s’y trouvaient est bien perdue à tout jamais.
“C’est toute l’Histoire, jusqu’aux techniques les plus récentes du XIXe siècle, qui est partie en fumée, se désole Philippe Plagnieux, professeur d’histoire de l’art du Moyen Âge à Paris I, spécialiste de l’architecture gothique. Chaque claveau a la marque d’un tailleur de pierre, d’un outil. C’est cette marque de l’humain, qui est la substance d’une oeuvre, que l’on a perdue.”
Toiture, charpente et flèche ont disparu
Le diagnostic complet de l’état de la cathédrale prendra du temps. “Il faut attendre que cela sèche, car des trombes d’eau ont été déversées pour éteindre le feu, détaille au HuffPost Dany Sandron, historien au Centre André Chastel. C’est l’affaire de plusieurs mois”, estime-t-il.
Pour l’instant, de ce qui est visible de l’extérieur et ce que l’on sait, la toiture de plomb, la charpente de bois nommé “la Forêt” et la flèche de Viollet-le-Duc sont les principaux éléments qui ont disparu pour toujours.
“La toiture en dalle de plomb va être reconstituée. Il faut faire appel à des couvreurs qui savent utiliser ce matériau. Ce savoir-faire existe, assure Dany Sandron. Une partie de la toiture, des dalles de plomb et la crête en forme de fleur de lys, avaient d’ailleurs été restaurées il y a une quinzaine d’années.”
La charpente, de 100 mètres de longueur et 13 mètres de largeur, avait été entièrement construite en poutres de chênes – d’où son surnom de “forêt” – et mise en place entre 1220 et 1240. Des bois avaient été changés au XIVe siècle, puis au XIXe siècle. Complètement partie en fumée, la question se posera de la reconstruire à l’identique, ou non.
“Une charpente du XXIe siècle”
Car toutes les techniques médiévales se sont transmises et permettraient d’en recréer une réplique parfaite. “Les savoir-faire médiévaux continuent d’être pratiqués par des compagnons du devoir, rassure Dany Sandron. Des entreprises régulièrement sollicitées pour des chantiers de restauration de cathédrales maintiennent ces techniques.”
“Le choix se fera en fonction du coût, du temps de pose, qui sera plus long pour une charpente en bois plutôt que métallique ou en ciment, explique Dany Sandron. Une charpente en béton précontraint avec des fers métalliques par exemple, cela peut se faire en quelques mois et c’est beaucoup plus économique.” Mais la question financière n’est pas le seul critère.
Un drame de ce type peut aussi être l’occasion de reconstruire autrement. “Du chêne, on en trouvera, si on le souhaite. Mais est-ce que ça vaut le coup de détruire une forêt entière, vivante? Pourquoi pas, tout est légitime, s’interroge Philippe Plagnieux. Quoi que l’on fasse, on aura une charpente du XXIe siècle.”
Lors de l’incendie de la cathédrale de Chartres, en 1836, il fut choisi de fabriquer une charpente métallique. Pour la cathédrale de Reims, victime du feu en 1914 puis des bombardements allemands pendant la Première Guerre mondiale, la charpente a été reconstruite en béton armé.
Mais rebâtir à l’identique peut aussi avoir un sens. “On peut imaginer se servir de Notre-Dame comme un chantier modèle pour former des apprentis, des compagnons, comme un conservatoire de technique, suggère Philippe Plagnieux. C’est un débat public, de patrimoine.”
À condition que l’on ne dépouille pas d’autres chantiers en cours de leur main-d’oeuvre qualifiée, au seul bénéfice de Notre-Dame, comme le souligne Dany Sandron: “Il faudra peut-être développer davantage de formations pour justement permettre de tenir le rythme du chantier à venir.”
Une flèche à l’identique
La flèche, restaurée au XIXe siècle, sera probablement reconstruite comme au Moyen-Âge, en charpente couverte de plomb. “On est en possession de la maquette, réalisée par le constructeur lui-même, soutient Jean-Michel Leniaud, historien président de la Société des amis de Notre-Dame de Paris. Si on veut la reconstruire à l’identique, c’est parfaitement possible.”
Les travaux engagés en juillet 2018 avaient d’ailleurs pour premier objectif de la restaurer. “On peut imaginer que l’État fera appel à l’entreprise chargée de sa restauration pour en bâtir une nouvelle”, glisse Dany Sandron. Des travaux qui, s’ils sont à l’origine du drame, ont paradoxalement permis de sauver les 16 statues qui ornaient la flèche, envoyées en restauration quelques jours avant l’incendie. Elles sont donc en lieu sûr.
Une sculpture en bronze en forme de coq, située à la pointe de la flèche de Notre-Dame, semblait avoir péri au moment où “la plus belle flèche construite au XIXe siècle en Europe”, selon Jean-Michel Leniaud, est tombée.
Mais le lendemain de l’incendie, le coq a été miraculeusement retrouvé dans les décombres. Il renfermait trois reliques: une parcelle de la Sainte Couronne d’épines, une relique de Saint-Denis et une autre de sainte Geneviève.
Vitraux, orgues, tableaux
À l’intérieur de la cathédrale, l’étendue des dégâts n’est pas encore connue. Les reliques de la partie Sud, la couronne d’épines et la tunique de Saint-Louis, ont pu être sauvées. “Au moins deux portions de voûte se sont effondrées, à la croisée du transept et aussi dans la nef, détaille Dany Sandron. Tout ce qui était suspendu à ces voûtes a disparu aussi.”
Au lendemain de l’incendie, André Finot, le porte-parole de la cathédrale Notre-Dame de Paris a affirmé que “les vitraux n’avaient pas été touchés”, parlant de “miracle”. Notamment les trois rosaces de Notre-Dame, qui datent des XII et XIIIe siècles. Si elles tiennent encore, elles ont certainement été “abîmées par la chaleur et le ruissellement des eaux”, souligne Dany Sandron.
Les orgues ont probablement également souffert de la chaleur et de l’eau. Le ministre de la Culture, Franck Riester, a affirmé au micro de France Inter que le grand orgue de la cathédrale avait “l’air d’avoir été assez atteint”, même s’il a refusé de livrer un diagnostic précis. Il faudra les restaurer.
Impossible de connaître l’état des grands tableaux, les “Mays” de Notre-Dame situés dans la nef, a priori moins atteinte. “Ce qui s’est effondré, c’est la voûte. Sous la voûte du chevet, vous avez les stalles du XVIIIe, qui sont l’un des grands chefs-d’oeuvre de menuiserie du XVIIIe siècle, décrit Philippe Plagnieux. On ne sait pas ce qu’il en est. Idem pour la clôture de choeur, ce grand ensemble commandé par Louis XIII.”
Le fond du sanctuaire semble avoir été épargné. “Les voûtes au-dessus de l’autel du XVIIIe ont tenu bon, avec la vierge Pitié et ce que l’on appelle le “Voeu de Louis XIII”, donc les deux statues de Louis XIII et Louis XIV en marbre” détaille Dany Sandron.
Mettre l’édifice à l’abri
Pour l’instant, il faut mettre l’édifice à l’abri des intempéries. “Rapidement on va construire une sorte de parapluie au-dessus, explique l’historien. Et puis il va falloir s’assurer que les voûtes vont tenir le coup.” Avec le poids de la charpente en fusion, des dalles de plomb fondues et les mètres cubes d’eau qu’elles ont reçus, elles sont fortement fragilisées.
Après un long diagnostic et avant tout travail de restauration, il va aussi falloir attendre que le bâtiment sèche. “Les murs sont gorgés d’eau et l’édifice va continuer à se dégrader malgré l’arrêt de l’incendie. Les sculptures les plus fragiles, tous les mortiers, toutes les pierres… énumère Philippe Plagnieux. Pendant un moment cela va continuer à s’abîmer.”
À terme, la cathédrale devrait retrouver son allure et sa silhouette. “Pour le moment, c’est une carcasse épouvantable, se désole Jean-Michel Leniaud. Cette ruine calcinée ne pourra pas rester très longtemps ainsi.” Place à la reconstruction, peu importe la méthode adoptée: “C’est un choc collectif, à propos d’un patrimoine collectif, et il faut que la réflexion soit collective.”