Une exposition consacrée à l’art nouveau en Afrique se tient actuellement à la Galerie nationale à Prague. Organisée dans le cadre des célébrations de 220e anniversaire de cette institution culturelle, cet événement présente, pour la toute première fois en République tchèque, l’œuvre de l’artiste et activiste culturel sénégalais, El Hadji Sy. Dans un entretien accordé à Radio Prague lors de sa visite de la capitale tchèque, El Hadji Sy présente sa création, ainsi que le contexte politico-culturel du Sénégal :
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« Je m’appelle El Hadji Sy. Je suis peintre sénégalais. Je viens de Dakar où je travaille et vie depuis quarante ans. Je suis aussi un plasticien et j’aime la collaboration parce que je vois une correspondance entre tous les arts. C’est la première fois que je viens à Prague qui pour moi était toujours un pays de l’est. Mais je me suis désillusionné en arrivant, la République tchèque n’est pas l’est, c’est l’Europe centrale ! »
Présentez brièvement votre création. De quelle manière travaillez-vous ? De quoi parle votre œuvre ?
« Mon œuvre est assez complexe parce qu’elle ne touche pas une seule discipline, elle est interdisciplinaire. Je suis d’abord peintre mais je suis aussi historien d’art et commissaire d’expositions. Dans mon œuvre, il y a donc une interdisciplinarité constante. »
Vous êtes diplômé de l’Ecole Nationale des Arts du Sénégal. Mais vous avez fait une rupture avec la création traditionnelle. En quoi cette rupture consiste-elle ?
« La production d’art à Dakar avait des relations par rapport à l’Ecole de Paris en tant que mouvement artistique. Le premier président du Sénégal était un éminent poète Léopold Sédar Senghor, premier Africain à être membre à l’Académie française. Donc la francophonie est bien présente chez nous même en dehors de la langue et avec beaucoup de théories sur la négritude etc. Et au sortir de l’Ecole des beaux-arts, je voulais avoir une attitude différente. D’abord commencer à désapprendre tout ce que les Français m’avaient appris et ensuite pouvoir trouver mon modèle. J’ai compris que les problèmes de l’art étaient partout les mêmes. Il s’agit de problèmes de présentation des modèles, d’accès à une critique et d’une diffusion de ces modèles. Je me suis donc soucié peu de questions de rase, d’art ‘africain’ – je ne sais pas ce que cela veut dire, parce que les questions de rase dans l’art introduisent, comme ailleurs, la xénophobie. Tandis que l’art est un moyen universel. »
D’où vient alors votre inspiration ?
« De la vie. J’habite une cité très vivante où les gens ont encore la joie de vivre, l’allégresse. Ils ne courent pas, ils marchent lentement. Il fait chaud et il fait beau. Il y a du soleil constamment. La lumière est donc bien diffusé et éclatante par moments. Et l’inspiration, je ne la cherche pas. Elle me visite. Ce sont donc des faits de société sur lesquels je me positionne. De manière générale, j’ai des questionnements sur la vie, sur le sens de la vie ou sur l’amour. Comme le disaient mes amis prêtres, aucune nation n’a choisi pour l’idéologie l’amour. Moi, je vie une idéologie d’amour et de partage. Si une exposition des 220 ans de la Galerie nationale est intitulé ‘Générosité. L’art de donner.’, on doit dire que donner est important mais que le savoir est aussi important. Un mauvais donateur, c’est donc celui qui ne sert à savoir. »
Vous êtes un artiste mais aussi un activiste culturel. Vous vous opposes souvent à la politique culturelle au Sénégal. D’ailleurs déjà dans les années 1970, vous faisiez partie des mouvements le Laboratoire Agit-Art et le Village des Arts …
« Le Village des Arts a été créé en janvier 1977 et il s’agissait d’une communauté d’artistes. Nous voulions travailler ensemble, vivre ensemble et échanger des informations sur nos pratiques esthétiques. Le Laboratoire Agit-Art est devenu autre chose. Il a été, comme son nom indique, un laboratoire d’agitation artistique où on réagissait par rapport aux faits créatifs, on apportait la critique à la création, qu’elle soit littéraire, plastique, musicale ou théâtrale, et également, nous prenions position notamment par rapport au développement de notre pays et à l’éducation dans le pays. La politique, elle seule, ne suffit pas pour créer une nation. Nous avions donc eu des rôles de modérateurs et des prises de position très fermes quant à la caporalisation. L’Etat n’a pas à se mêler de l’art. L’art devrait être entre les mains de ce qui le font, des universités et des fondations. »
L’exposition à Prague est intitulée « Peinture, performance et politique ». Comment la politique se reflète-elle dans votre œuvre ?
« La politique, c’est l’engagement de l’auteur, de l’artiste et la manière dont il se positionne. Les positions que nous prenons c’est de faire en sorte que cet art porte les désirs, les angoisses et les joies de cette communauté. Cela nous situe dans une position autre que la contemplation. Cela incite à d’autres attitudes. Et je suis content d’être à Prague avec l’opportunité qui est donné et qui est de montrer qu’il existe un art nouveau en Afrique qui a pris la relève de l’art traditionnel le plus intéressant mais sous des formes modernes. Je n’aime pas le mot ‘contemporain’ parce que je ne sais pas ce que cela veut dire. Nous parlons plus souvent de ‘pratique esthétique actuelle’. »
Vous collaborez souvent avec le musée à Francfort-sur-le-Main. C’est néanmoins la première fois que vous vous présentez à Prague. Pourquoi avez-vous décidé d’organiser une exposition en République tchèque ?
« C’était mon désir, de venir à l’est. Le curateur de la galerie, Adam Budak est venu à Francfort-sur-le-Main pour voir l’exposition. Et comme il existe des relations entre les institutions culturelles européennes, différents échanges d’expositions et de programmes, j’avais l’occasion de présenter mon exposition à Prague. J’ai dit oui parce que c’est la première fois en 220 ans qu’un artiste africain expose ici. Et j’espère que cela ne va pas être la dernière fois. »
Cette exposition à Prague est organisée aussi sous le patronage du ministère tchèque des Affaires étrangères. Croyez-vous que cet événement peut contribuer à un approfondissement des relations entre la République tchèque et le Sénégal ?
« Je l’espère. Les artistes sont les médiateurs dans ce domaine et je pense que le propre de l’art est aussi de rapprocher les peuples. »