ENTRETIEN. Pour le responsable Afrique d’Alibaba Cloud, le e-commerce a de l’avenir sur le continent, malgré les difficultés inhérentes à son implantation.
Propos recueillis par Marlène Panara
Le e-commerce peut-il conquérir l’Afrique ? Grand de plus de 1 milliard de consommateurs, le marché est considérable pour les entrepreneurs du secteur. Et pourtant, l’achat et la vente en ligne ont du mal à se faire une place dans la plupart des pays du continent. Préférence pour les espèces, infrastructures mal adaptées, connexion internet défaillante, les obstacles ne manquent pas. Mais n’effraient pas les entrepreneurs du e-commerce, Alibaba en tête.
Depuis quelques années, le géant chinois du secteur regarde vers l’Afrique. Pourquoi un tel attrait pour le continent ? Quels sont ses atouts ? Yeming Wang, responsable Europe, Moyen-Orient et Afrique (EMEA) pour Alibaba Cloud – une branche qui fournit les services informatiques du groupe, ses bases de données ou ses outils d’analyses dans le but d’accélérer l’innovation – a livré ses réponses au Point Afrique.
Le Point Afrique : Comment Alibaba Group voit-il l’Afrique ?
Yeming Wang : La société, à l’instar de son fondateur Jack Ma, voit l’Afrique comme un « nouveau continent », une terre d’opportunités comme l’a été l’Asie il y a quelques années. Le e-commerce peut, sur le continent, être un outil au service de la croissance et du changement. C’est un secteur économique qui peut d’ailleurs avoir des répercussions sur les écosystèmes locaux. Chez Alibaba, nous croyons vraiment que le e-commerce a du potentiel en Afrique.
En novembre, Alibaba a lancé sa première plateforme africaine du e-commerce au Rwanda. Pourquoi ce choix ?
Le programme que nous avons développé s’appelle EWTP (Electronic World Trade Plateform). Le but : faciliter le business entre les différents pays de la région, en aidant les entreprises locales. Ce programme a été mis en place pour la première fois en Malaisie, il y a environ deux ans. Avoir implanté cette structure au Rwanda est, selon moi, une très bonne initiative. Sa population, qui a beaucoup souffert dans son histoire récente, est aujourd’hui tout entière dédiée au développement économique, grâce notamment à la technologie. La « Tech for Good », soit la technologie au service de la population et du développement, y a beaucoup de succès. C’est pour ces raisons que Alibaba Group a choisi le Rwanda, on y sent un réel engagement, une vraie volonté chez ses habitants.
Après le Rwanda, où envisagez-vous de vous installer ?
Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Je peux juste vous dire que Alibaba Group est intéressé par d’autres pays d’Afrique et que le dialogue est en cours avec plusieurs États.
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Pensez-vous que le e-commerce puisse marcher en Afrique ? Entre coupures internet et manque d’infrastructures, les obstacles sont nombreux…
La vente en ligne peut tout à fait s’insérer dans des systèmes plus traditionnels de commerce. Voilà notre credo. Les difficultés qu’Alibaba Group rencontre sur le continent sont les mêmes que celles que Jack Ma a connues en Chine il y a 20 ans. Il ne faut pas comparer avec l’Europe. En Afrique, les entrepreneurs locaux développent leurs propres solutions Afrobytes : « L’Afrique va être au cœur des enjeux de la tech internationale ». Dans ce contexte, le e-commerce peut se faire une place dans un marché qui, de prime abord, n’est pas des plus accueillants.
Comment développer le e-commerce dans des pays où l’économie informelle domine encore ?
Il y a des solutions innovantes à ce problème sur le continent. Au Kenya, les gens paient avec leur mobile. Ce système s’est d’ailleurs largement imposé en très peu de temps. Les Kényans ont trouvé des solutions qui leur sont utiles au quotidien. Je pense que le e-commerce peut s’implanter dans des territoires régis par l’informel. C’est une situation courante dans beaucoup de pays développés de la région Asie-Pacifique, où le e-paiement est devenu très populaire. Ce genre de transactions est un challenge pour nous, ce n’est pas un problème. Nous en avons d’autres, comme celui des difficultés de livraison. À Djakarta, en Indonésie, c’était très difficile à cause des embouteillages monstres. Désormais, nos livreurs livrent les clients à moto.
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Est-ce que les autorités sont vos premiers interlocuteurs avant d’envisager une implantation en Afrique ? Pensez-vous que les gouvernements ont un rôle à jouer dans le développement du e-commerce sur le continent ?
Je ne participe pas personnellement aux dialogues avec les États, mais je pense sincèrement que ceux-ci se font en toute transparence. L’objectif d’Alibaba est double : rendre accessible un produit en Afrique et aider les pays africains à vendre ailleurs, à plus grande échelle. Pour un pays, difficile de dire non au développement de son commerce. Le cloud et Internet sont aujourd’hui à la portée de chacun. Les autorités doivent s’en rendre compte et intégrer ces outils à leur économie.
Alibaba Group a-t-il des projets avec des entrepreneurs du continent ? Seront-ils associés au développement du e-commerce défendu par votre société ?
Bien sûr. Depuis deux ans, le groupe multiplie les projets destinés aux entrepreneurs du continent. L’Alibaba Business School, basée à Hangzhou en Chine, intègre d’ailleurs de plus en plus d’entrepreneurs africains. Un concours, créé par la Fondation Jack Ma, leur est dédié : le Netpreneur Prize. Au total, près de 10 millions de dollars seront distribués à 100 entrepreneurs sur les dix prochaines années. Enfin, Alibaba Cloud, la branche « cloud computing » du groupe, a ouvert, via des partenariats, l’accès à son expertise technologique et à ses ressources. La première collaboration s’est faite avec « iamtheCODE », un programme panafricain spécialisé dans l’accompagnement de jeunes programmeuses issues de communautés défavorisées.