L’Afrique contre la pauvreté (4/6). Pour accélérer le développement et réduire les inégalités, l’Etat parie sur les marchés financiers plutôt que sur l’appui du FMI.
Nana Akufo-Addo a le sens de la formule. Le président ghanéen l’a une fois encore démontré lors de sa visite à Paris, en juillet, invitant dans un discours à cesser de croire à « l’histoire du Père Noël qui va venir pour développer le continent ». Au pouvoir depuis 2017, l’ancien avocat, star des réseaux sociaux en Afrique, a fait de cette doctrine le cœur de son programme : celui d’un Ghana affranchi de l’aide internationale (« Ghana beyond aid »). En clair, M. Akufo-Addo promet de construire un pays dont le développement ne dépende plus jamais de l’assistance des pays riches.
Cap audacieux mais réaliste ? Ou simple vœu pieux ? Souvent montré en exemple pour ses acquis démocratiques et sa robuste croissance, cet Etat anglophone d’Afrique de l’Ouest donne des raisons d’espérer. L’ancienne Gold Coast est le premier pays d’Afrique subsaharienne à avoir atteint l’objectif numéro 1 du millénaire pour le développement (OMD), visant à diviser par deux le taux d’extrême pauvreté. Celui-ci est passé de 52 % en 1992 à 28 % en 2006, puis à 24 % en 2013, selon les statistiques ghanéennes. Un résultat obtenu grâce à l’accélération de la croissance dans les années 2000, le Ghana tirant profit d’une économie riche en matières premières de toutes sortes (or, bauxite, manganèse, mais aussi cacao, café, noix de cajou, etc.) et de la découverte de gisements de pétrole.
Peu d’emplois créés
Cet essor a aussi permis une amélioration de l’indice de développement humain, mesuré à travers le revenu brut par habitant, l’espérance de vie à la naissance et l’accès à l’éducation. « Le Ghana est l’un des rares pays d’Afrique subsaharienne classés dans la catégorie des pays à développement humain moyen », souligne l’économiste Selin Ozyurt dans un rapport de l’Agence française de développement (AFD) publié en juin. Profitant de rentrées de devises lors des années de forte croissance, le gouvernement a mis sur pied plusieurs programmes d’aide sociale. Le plus emblématique, le revenu de subsistance contre la pauvreté, a été lancé en 2008 : selon les autorités, 330 000 foyers touchent aujourd’hui une allocation et s’acquittent, en échange, de certaines obligations, comme la scolarisation de leurs enfants.
Ce tableau flatteur ne doit pourtant pas faire illusion. Malgré une forte hausse du produit intérieur brut (PIB), peu d’emplois sont effectivement créés. « La croissance économique n’est pas très forte dans le secteur industriel, qui serait à même de créer des emplois. De nombreux Ghanéens sont autoentrepreneurs et vivent du commerce ou de l’agriculture, et le secteur pétrolier ne pourvoit pas beaucoup d’emplois », souligne Andy McKay, professeur en développement économique à l’université du Sussex et spécialiste du Ghana.
Autre point noir : les inégalités. « Les avantages de la croissance économique record enregistrée au cours de la dernière décennie ont profité essentiellement aux riches. L’inégalité est plus grande que jamais au Ghana », se désolait ainsi, dans un rapport publié au printemps 2018, Philip Alston, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté, à la suite d’une mission d’enquête dans le pays. Le diplomate australien regrettait le faible niveau des dépenses consacrées à la protection sociale : seulement 1,4 % de sa richesse nationale, soit moins que ses voisins. Et si le Ghana a « de nombreux programmes admirables », poursuivait-il, « il n’existe pas de vrai plan pour les financer de manière adéquate ».
Le détail fin des données révèle, de fait, une situation très contrastée. Tout va bien pour les plus riches : le contingent de millionnaires en dollars est passé de 1 900 en 2006 à 2 900 en 2016, et devrait encore croître de 80 % d’ici à 2026. En revanche, le nombre de pauvres n’a quasiment pas régressé au cours de la dernière décennie. En moyenne, un quart de la population du Ghana vit toujours en dessous du seuil de pauvreté. Et dans certaines zones – en particulier le Nord, rural et enclavé –, le dénuement peut toucher 70 % des habitants.
La plus grande ville septentrionale du pays, Tamale, située à une centaine de kilomètres de la frontière avec le Burkina Faso, est surnommée « la capitale des ONG ». De nombreuses organisations humanitaires y sont présentes pour pallier l’incurie de l’Etat. Les habitants de cette région sont, la plupart du temps, agriculteurs et éleveurs et ne disposent pas d’infrastructures publiques de base, notamment dans le domaine de la santé et de l’éducation. « Certaines régions du pays ne peuvent pas se passer de l’aide internationale, c’est notamment le cas du nord du pays », avance Andy McKay, qui estime que des investissements sont primordiaux dans les écoles et l’agriculture.
La proximité géographique du Burkina Faso, pays déstabilisé depuis plusieurs années par des attaques terroristes, freine le développement de la région. Le Nord fait également face à un exode rural vers les grandes villes du pays, Kumasi et Accra.
Un choix politique
Si le président a fait du « Ghana beyond aid » un axe central de sa politique, le Fonds monétaire international (FMI) met en avant, lui, les progrès réalisés par le pays grâce à son assistance. Lors d’une visite dans le pays en décembre 2018, l’ex-présidente de l’institution internationale, Christine Lagarde, vantait les programmes d’aide, « points d’ancrage pour un ajustement économique ordonné et un signal positif pour les marchés ». « Le programme du FMI de quatre ans, dont le Ghana est sorti en avril 2019, a contribué à stabiliser sa situation macroéconomique. Outre la reprise de la croissance, la réduction de l’inflation à moins de 10 % a permis plusieurs relâchements du taux directeur de la Banque centrale ghanéenne, aujourd’hui à 16 % », indique, de son côté, le Trésor public français.
Selon la Banque centrale du Ghana, le pays a une dette qui représente 67 % de son PIB (dont la moitié est libellée en dollar) et un déficit de 4,7 % en 2018. La même année, les intérêts financiers ont mobilisé 43 % des revenus de l’Etat. Une situation qui pourrait s’aggraver à l’approche de l’élection présidentielle, prévue en décembre 2020. Pour s’attirer les faveurs des électeurs, les présidents sortants ont tendance à augmenter les dépenses publiques à l’approche des scrutins. Selon Gregory Smith, économiste chez Renaissance Capital, les déficits sont en moyenne supérieurs d’un point en année préélectorale par rapport à une année sans élection. Et si le Ghana se détourne de la tutelle du FMI pour se financer, le pays lorgne désormais les marchés financiers, qui pourraient demander une baisse de la dépense publique et entraver les objectifs de réduction des inégalités.
Le défi pour ce pays de 29,5 millions d’habitants est de mieux répartir les fruits de sa croissance. Même solide – elle devrait dépasser 8 % en 2019 –, celle-ci ne s’est pour l’heure guère traduite en emplois. Nana Akufo-Addo fait valoir que là est la clé d’un développement inclusif et qu’il faut pour cela transformer la structure de l’économie : la rendre moins dépendante de la production et de l’exportation des matières premières et plus tournée vers l’industrie, en incitant les investisseurs à venir y ouvrir des usines. Libéral, le chef de l’Etat dit croire davantage aux mérites de l’esprit d’entreprise et à l’attractivité du cadre fiscal qu’aux bienfaits de l’Etat-providence.
Dans son adresse, le rapporteur de l’ONU Philip Alston rappelait toutefois que « le défi pour le gouvernement est de choisir ses vraies priorités, s’assurer que la protection sociale en fait partie et être plus transparent sur (…) les sources de financement ». De nombreux programmes dépendent aujourd’hui largement de l’argent des donateurs. Se passer de l’aide internationale ne sera pas simple.