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« Etat de mort cérébrale », « crétin opportuniste », « stupide »… Pourquoi Emmanuel Macron subit-il autant d’attaques personnelles ?

Interview
Emmanuel MACRON – © Malick MBOW

PUNCHLINE Bolsonaro, Trump, Erdogan… Ces chefs d’Etats ont tous attaqué personnellement Emmanuel Macron. Pourquoi le président français est-il si fréquemment la cible d’insultes sur la scène internationale ?

Jean-Loup Delmas

Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan, le 26 juin 2019
Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan, le 26 juin 2019 — ELIOT BLONDET-POOL/SIPA
  • Vendredi, Recep Tayyip Erdogan s’en est vivement pris à Emmanuel Macron, disant qu’il était « en état de mort cérébrale ».
  • Ce n’est pas la première fois que le président français se fait insulter par des dirigeants internationaux. Donald Trump et Jair Bolsonaro avaient déjà eu leurs piques à destination du chef d’Etat.
  • Pourquoi Emmanuel Macron suscite-t-il autant de critiques ouvertes et personnelles à l’étranger ?

Vendredi, Recep Tayyip Erdogan, président de la Turquie, s’en est violemment pris à Emmanuel Macron, l’estimant en « état de mort cérébrale ». Une insulte personnelle à l’encontre du président français, qui commence à avoir sa petite collection. Rien qu’en 2019, Donald Trump avait évoqué sa « stupidité » quelques mois plus tôt à propos de l’évocation des taxes Gafam, quand  Jair Bolsonaro, président brésilien, se moquait du physique de la Première dame – un ministre brésilien se chargeant de qualifier le leader tricolore de « crétin opportuniste ».

Mais pourquoi Emmanuel Macron reçoit-il autant de quolibets de la part des autres leaders mondiaux ? Avant de chercher les raisons personnelles, il faut s’attarder sur l’époque et la nouvelle communication politique entre dirigeants, ce que pointe Bruno Cautrès, chercheur CNRS et politique au Cevipof : « Aujourd’hui, le leadership est incarné de manière personnelle, avec des chefs d’Etat utilisant un style très provocateur et se référant à eux plus qu’aux pays. »

Le camp des progressistes contre celui des conservateurs

Les attaques ad hominem sont devenues monnaie courante en communication politique, là où elles étaient totalement bannies il y a quelques années, ce qu’étaye Olivier Rouquan, politologue et enseignant-chercheur en sciences politiques : « Avant, le respect et la bienséance étaient les règles du jeu tacite dans les échanges internationaux. Il y a depuis une dégradation de la bonne tenue des discussions, voire plus de discussion du tout. »

Notamment chez les leaders d’en face, la triplette Erdogan/Bolsonaro/Trump. Mais pourquoi Emmanuel Macron prend-il plus que les autres ? C’est que le président français joue la confrontation, et même l’opposition avec eux. Bruno Cautrès étaye : « Dès le début de son mandat, Emmanuel Macron s’est vu comme le leader des progressistes, et a mis les Trump, Erdogan, Bolsonaro dans le camp d’en face, celui des conservateurs. Sa stature internationale se nourrit de cette binarité. »

Une posture à double tranchant

Au-delà de sa volonté d’être un leader, Emmanuel Macron est surtout le seul à faire entendre sa voix. Car qu’il soit imaginaire ou réel, le camp des progressistes manque de répondant, cristallisant d’autant plus les réponses sur le président français, appuie Olivier Rouquan : « C’est le seul à rentrer un peu dans le jeu de la provocation. A nuancer néanmoins, il ne vise jamais les individus – contrairement à ses adversaires. Quand Emmanuel Macron parle de mort cérébrale, il évoque l’Otan, et amène une vraie question sur la table, pas juste une pique. »

Mais pourquoi prendre une telle posture, s’il en résulte autant d’inconvénients et d’insultes ? « C’est une posture à double tranchant, mais cela a ses avantages. Cela lui donne une vraie carrure internationale, il fait le buzz et rejoint les figures incontournables de la politique mondiale », note le politologue. Qui rappelle qu’Emmanuel Macron ne fait que s’inscrire dans un courant classique de la France depuis de Gaulle : celle d’une trublionne internationale.

Un héroïsme centré sur lui-même

Ce rôle, il énerve. Car Emmanuel Macron est loin d’être une victime martyre endossant le rôle de punching-ball pour défendre le progressisme. Les coups, il les donne aussi. « Il n’hésite pas à exprimer son avis sur tout et à se mêler de la politique intérieure des autres nations, ce qui a forcément le don d’irriter », rappelle Bruno Cautrès. Notamment Jair Bolsonaro, qui reprochait à la France de faire de l’ingérence au Brésil en commentant trop vivement à son goût les incendies de la forêt amazonienne, et en parlant d’intervenir.

Cette stature que se donne Macron explique également en partie l’animosité qu’il reçoit, comme le précise le chercheur du CNRS : « Il est dans une posture volontariste, un peu péremptoire, avec un héroïsme centré sur lui-même. Il représente l’arrogance à la française que les autres pays aiment bien nous attribuer, ce côté donneur de leçons expliquant aux autres ce qu’ils devraient penser sur leurs propres problèmes. Il n’a de cesse de parler à ses sympathisants, et qu’à eux, ce qui irrite encore plus ceux n’étant pas d’accord avec ses idées. »

Boxeur dans la cour des grands

Coups donnés, coups subis, Emmanuel Macron enfile la tenue du boxeur sur la scène internationale, quitte à déplaire, même au sein de ses alliés. Olivier Rouquan prend l’exemple allemand : « Outre-Rhin, on peut juger inopportun l’égotisme et la mise en avant du président français, qui entraîne toute l’Europe avec lui. Il se rêve en leader chez les progressistes, mais est-ce que tous les progressistes veulent qu’il prenne la barre ? C’est loin d’être sûr… »

Au-delà des divisions internes et de l’égocentrisme dont le président risque d’être affublé, restera à déterminer si cette politique de coups porte ses fruits : « Il faut assurément de la dureté et la fermeté en diplomatie, note Olivier Rouquan. Mais elles n’ont pas forcément à être médiatisées. Personne ne pensera que les piques envoyées entre Macron et Erdogan faciliteront le dossier de l’intervention turque en Syrie. C’est même l’inverse… »

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