Selon le rapport Pisa sur le niveau des élèves de 79 pays du monde, la France fait partie des lieux où l’inégalité scolaire est la plus forte. Pourquoi ?
La France, championne des inégalités scolaires ? C’est l’une des conclusions du dernier rapport Pisa de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dévoilé ce 3 décembre. Tous les trois ans, ce Programme international pour le suivi des acquis des élèves évalue le niveau des adolescents de 15 ans de 79 pays dans trois domaines : la compréhension de l’écrit, les mathématiques et les sciences.
Et une fois de plus, cette année, le rapport montre que la France est marquée par une inégalité scolaire non négligeable. Par ailleurs, les élèves de l’Hexagone font partie de ceux qui estiment recevoir le moins de soutien de la part de leurs enseignants et qui pointent du doigt le plus de problèmes de discipline en classe.
“Il ne faut pas exagérer les inégalités, la situation n’est pas catastrophique : elle est médiocre et stable”, décrit Marie Duru-Bellat, professeure émérite à Sciences Po, spécialiste des inégalités scolaires.
Pourquoi, en France, le milieu social a-t-il un tel impact sur la scolarité ? “Une raison mécanique peut expliquer ce mauvais résultat”, entame la spécialiste, “la France est l’un des rares pays de l’OCDE où l’on fait redoubler les élèves”. Résultat, à 15 ans, les redoublants sont en troisième au lieu d’être en seconde. Ils n’ont donc, forcément, pas le même niveau. D’autant que “ce sont surtout des élèves défavorisés qui redoublent”, commente Marie Duru-Bellat.
Inégalités dans l’apprentissage
“Le schéma explicatif dominant, pour cette situation, est celui de Pierre Bourdieu”, nous explique Vincent Troger, maître de conférence honoraire en sciences de l’éducation. “Il existe une complicité involontaire des enseignants dans leur manière de présenter une leçon, avec des implicites qui favorisent les enfants ayant déjà acquis des savoirs par leur famille”, détaille-t-il.
En clair, dans l’enseignement français, “certaines choses ne sont jamais explicitées”, ce qui ne pose pas de problème dans les milieux sociaux et culturels élevés, mais qui entraîne des difficultés chez les élèves les plus défavorisés.
Le problème du collège unique
L’inégalité sociale prend aussi ses racines plus loin dans l’histoire : “on s’est toujours peu occupé de la question pédagogique”, estime Marie Duru-Bellat, “on met en avant les compétences académiques alors qu’on aurait besoin d’une réflexion sur la pédagogie”.
Il y a toujours eu des inégalités scolaires, mais elles sont passées de quantitatives à qualitatives. Avant les réformes de 1959 (rendant l’école obligatoire jusqu’à 16 ans) et de 1975 (instituant un collège unique), l’école était très inégalitaire puisque tout le monde n’y avait pas accès. Après ces réformes, c’est d’un point de vue qualitatif que les différences ont persisté. “Il aurait fallu adopter une pédagogie différenciée à ce moment-là”, commente la professeure émérite de Sciences Po. “Les inégalités ont changé de nature : tout le monde va à l’école, mais le niveau diffère”, poursuit-elle.
Vincent Troger abonde dans ce sens. “On n’a pas su gérer le collège unique”, estime-t-il. “Ce système mélange des niveaux très différents”, décrit le spécialiste. Certaines familles des classes sociales moyennes ou supérieures ont préféré retirer leurs enfants des établissements où une partie des élèves avait un niveau scolaire faible. “Ce qui a conduit à une ghettoïsation”, conclut-il.
À LIRE AUSSI >> Réforme Blanquer : la rentrée tourne au fiasco dans certains établissements
Un climat de concurrence
Enfin, la dernière cause des inégalités scolaires est structurelle : en France, les diplômes sont très importants pour pouvoir travailler, “ça crée un esprit de compétition, un climat où les plus défavorisés sont largués” nous décrit Marie Duru-Bellat. “Ils sont orientés vers les lycées professionnels, où le niveau est plus faible”, ce qui crée une concentration d’élèves issus de milieu défavorisés dans des établissements scolaires ou le niveau est moins élevé.
Le système français “garde l’idée selon laquelle l’enseignement secondaire est fait pour sélectionner les meilleurs”, ajoute de son côté Vincent Troger, “grossièrement, l’objectif est de savoir qui ira dans les grandes écoles, les meilleures facultés”. Et, en parallèle, “on valorise très peu les enseignements professionnels et beaucoup les savoirs abstraits et académiques”, précise-t-il.
Le maître de conférence honoraire en sciences de l’éducation ajoute un dernier facteur, il est cette fois purement politique : “chaque nouveau ministre veut faire une réforme et on ne prend pas le temps de voir si la précédente a donné des résultats”. Avec sa réforme du baccalauréat, Jean-Michel Blanquer n’a pas échappé à cette règle.