Entre 2007 et 2016, l’ancien président du Conseil constitutionnel a retranscrit son quotidien dans un journal. Il en sort un livre, Ce que je ne pouvais pas dire.
, ancien président du Conseil constitutionnel, pose dans les locaux du Conseil, le 9 février 2016, au Palais Royal (Paris). (PATRICK KOVARIK / AFP)
Mis à jour le 19/04/2016 | 18:21, publié le 19/04/2016 | 17:07
Neuf ans d’anecdotes politiques consignées dans un journal. De ses« frustrations » couchées sur le papier entre 2007 et 2016, Jean-Louis Debré, ancien président du Conseil constitutionnel, en a fait un livre, Ce que je ne pouvais pas dire. L’ouvrage sort jeudi 21 avril, mais de larges extraits ont déjà été publiés dans Le Point (accès abonnés). Soumis au devoir de réserve pendant toute la durée de son mandat, l’ancien ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac y partage bon nombre de commentaires sur la vie politique française, égratignant au passage de nombreuses personnalités.
Nicolas Sarkozy, « un chef de clan »
Entre Jean-Louis Debré et Nicolas Sarkozy, la relation est loin d’être au beau fixe. L’inimitié remonte à 1995 et à la guerre Balladur-Chirac. L’accession au pouvoir de Nicolas Sarkozy en 2007 n’arrange rien. Dans son journal, l’ex-président du Conseil constitutionnel étrille ainsi le président : « Rien ne m’étonne plus de (lui). Il n’a aucun sens de l’Etat. C’est un chef de clan auquel il est interdit de résister, surtout au nom du droit », écrit-il en février 2008.
Jean-Louis Debré évoque des pressions exercées par le président de la République d’alors. « Peu avant la décision du Conseil concernant la loi sur la rétention de sûreté, Nicolas Sarkozy m’appelle pour me redire qu’il faut à tout prix que le Conseil la valide. ‘C’est moi qui l’ai voulue, s’exclame-t-il, je m’y suis engagé. Tu ne dois pas y toucher.’ (…) Il me fait comprendre sans ambiguïté qu’il me le fera ‘payer’ si nous nous risquons à annuler cette loi », raconte ainsi Jean-Louis Debré.
En interview, il précise les exigences de Nicolas Sarkozy :
Quand nous avons annulé des décisions de son gouvernement, comme la taxe carbone ou la rétention de sûreté, il a demandé au premier président de la Cour de cassation d’essayer de voir comment contourner la jurisprudence constitutionnelle…
Jean-Louis Debré
au « Point »
Mais le moment le plus difficile pour Jean-Louis Debré remonte à 2008, lorsque Nicolas Sarkozy lance sa réforme de la Constitution « qui reprend tous les défauts de la IVe République, raconte Le Point. J’avais envie de dire : ‘Non mais vous êtes malades, les enfants !’ mais je ne pouvais pas. Sarkozy était prêt à tout casser, par caprice, parce qu’il avait envie de s’exprimer devant le Congrès. La vérité est que la Ve République a été brisée par cette réforme ! », peste Debré dans les colonnes de l’hebdomadaire (accès abonnés). Et de conclure à l’égard de Sarkozy : il « nous joue l’éternel revenant qui s’accroche. Il devrait prendre acte que pour lui, aujourd’hui, c’est fini ».
François Hollande, le « contact facile »
Le fils de Michel Debré, père de la Ve République, semble moins dur envers François Hollande, arrivé au pouvoir en 2012. Le prédécesseur de Laurent Fabius explique apprécier le fait que l’actuel président respecte la fonction.« Au moins quand vous lui annoncez que vous lui refusez la taxe à 75%, vous n’avez pas quelqu’un qui vous insulte… », lâche-t-il ainsi au Point.
Au micro d’Europe1, il souligne la différence de relation entre Sarkozy et Hollande. « Je n’ai jamais eu cette agressivité avec François Hollande », déclare-t-il, alors qu’il a « annulé autant de décisions de droite que de gauche ». Bref, « les contacts que j’ai eus avec lui ont toujours été faciles ».
Rachida Dati, cette « petite fille gâtée »
Autre personnalité étrillée par Jean-Louis Debré dans son livre de confidences : Rachida Dati, à l’époque où elle était garde des Sceaux. Il raconte ainsi un mauvais souvenir d’un voyage diplomatique à Doha (Qatar), pour un colloque international organisé en avril 2008. La visite est marquée par les « caprices » de la ministre. Il n’est d’ailleurs pas le seul à éprouver ce sentiment : « Je trouve notre ambassadeur aussi énervé qu’épuisé », note-t-il.
Il raconte :
Elle se conduit comme une petite fille gâtée, exige un coiffeur à 11h du soir, traite l’ambassadeur comme son valet, est en retard au déjeuner officiel… Je suis obligé de demander à nos hôtes de commencer sans elle tant j’ai honte de son comportement.
Jean-Louis Debré
dans « Ce que je ne pouvais pas dire »
Une grande frustration vis-à-vis de la politique française
Jean-Louis Debré ne pratique pas seulement des attaques ad hominem. Dans les colonnes du Point, il apparaît scandalisé par certaines pratiques peu déontologiques, au plus haut sommet de l’Etat. « Certains se croient tout permis, regrette-t-il. J’ai vu des choses inouïes au Conseil constitutionnel. Par exemple, un ancien membre a pu racheter sa voiture officielle pour un euro symbolique en quittant son poste. Et il a continué à nous envoyer ses contraventions après son départ… »
Il explique aussi que le Conseil constitutionnel a visiblement payé pendant plusieurs décennies l’électricité de tout le quartier. « Un jour, nous avons fait des travaux. Les commerçants se plaignaient d’être dans le noir. C’est ainsi que j’ai découvert que tous les restaurants du quartier s’étaient branchés sur le réseau électrique du Conseil. Tous étaient alimentés gratuitement par le Conseil depuis trente ans ! », s’exclame-t-il.
C’est tout l’appareil politique qui en prend donc pour son grade. Les extraits du livre de Jean-Louis Debré, visant à dire « la vérité », révèlent un homme marqué par un profond dégoût du système politique. « Après la guerre, les politiques étaient issus de la Résistance. Puis leurs enfants ont repris le flambeau et ils avaient encore une culture de ce qu’était la France. Aujourd’hui, le personnel politique n’a plus aucune culture historique ni littéraire. Ce ne sont que de petits clans qui chassent plus ou moins en meute », grince-t-il dans son interview au Point.