Par Amadou Ndiaye (contributeur Le Monde Afrique, envoyé spécial à Banjul)
LE MONDE Le 19.04.2016
Que va-t-il se passer maintenant que le président, Yahya Jammeh, est de retour au pays ? La question est sur toutes les lèvres et sème la peur dans la capitale. Banjul a connu un long week-end de manifestations contre les nouvelles réformes électorales, engendrant une répression qui a abouti à la mort de trois opposants et à l’emprisonnement de dizaines d’autres.
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« A coup sûr, il faut s’attendre à des représailles ces prochains jours, Yahya Jammeh n’est pas du genre à faire les choses à moitié », souffle un policier gambien, croisé près de la gare routière de la capitale. Il poursuit tout en jetant des regards autour de lui : « Les policiers qui étaient en poste à l’intérieur du pays ont été rapatriés sur la capitale, et des militaires ont été déployés le long de la frontière avec le Sénégal. Les axes stratégiques, comme le Danton Bridge – ce pont qui sépare Banjul de Serrekunda [la ville, située à 7 km de Banjul, où se sont déroulées les manifestations] –, sont quadrillés de force de l’ordre. Il en sera ainsi les prochains jours pour matertoute manifestation. » De fait, il est devenu très difficile de circuler en dehors de la capitale, où des camions militaires patrouillent dans un silence qui en dit long sur l’atmosphère de défiance qui règne dans la ville.
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Pourtant, les manifestants – et les jeunes en particulier – n’ont pas l’intention d’abandonner leur combat, croit savoir ce journaliste de la presse écrite gambienne qui souligne la difficulté de s’organiser alors que les organes d’information sont étroitement surveillés. « Le régime prive le peuple de l’accès à l’information, analyse le journaliste. La Gambia Radio and Television Service [GRTS], le service public de l’information, monopolise la communication en faveur du chef de l’Etat. Les autres radios gambiennes sont contraintes de diffuser de la musique et de sesynchroniser avec la radio nationale à l’heure des éditions d’information. Si on ajoute à ce décor le contrôle sur Internet, on comprend aisément qu’il est difficile pour l’opposition de coordonner une action d’envergure dans le pays. »
Agents de la police politique partout
Sur l’avenue de la Libération qui mène au marché Albert de Banjul, difficile de faire parler les habitants. Chacun s’occupe de son petit commerce et aucun ne veut s’exprimer sur la situation du pays. Vendeur d’habits pour enfant installé depuis dix ans en Gambie, un Sénégalais dit à voix basse :« Ici, tout le monde a peur. Les agents de la National Intelligence Agency[NIA, la police politique du régime] sont lâchés partout dans la ville et, à la moindre occasion, ils peuvent te dénoncer. » Ces mêmes agents foisonnent sur le ferry qui relie Banjul au Sénégal et ils n’hésitent pas à interpeller les passagers avec agressivité pour connaître les motivations de leur déplacement.
Le long de la frontière avec la Casamance, ce nouvel épisode de tension a conduit à l’arrestation, samedi 16 avril, dans la localité de Diakhanké de trois agents du ministère de l’environnement sénégalais et du maire de la commune sénégalaise de Nianing. En mission officielle dans la région sénégalaise de Kolda pour enquêter sur le trafic de bois autour de la frontière, ils ont été surpris, côté gambien, en train de prendre des photos et de filmer l’ampleur des dégâts. Arrêtés par les militaires gambiens et accusés d’espionnage, ils ont été transférés à la police de la ville gambienne de Bansang. Lundi soir, le directeur des Sénégalais de l’extérieur, Sory Kaba, a promis leur libération prochaine.
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En attendant le sort qui leur sera réservé ainsi que celui des opposants gambiens arrêtés lors des manifestations, Yahya Jammeh ne semble nullement ébranlé par l’intervention du secrétaire des Nations unies, Ban Ki-moon, dimanche, l’appelant au respect des règles de la démocratie et demandant l’ouverture d’une enquête indépendante sur le décès des trois opposants en prison. Appel auquel se sont jointes les organisations dedéfense des droits de l’homme.
Pour s’en convaincre, il n’était que d’assister l’après-midi même au bain de foule que s’est offert le dictateur. Afin de célébrer son retour au pays après un voyage officiel en Turquie, environ un millier de militants de son parti, l’Alliance pour la réorientation et la construction patriotique (APRC), avaient été conviés à l’aéroport de Banjul pour l’accueillir et l’accompagner jusqu’à la State House, le palais présidentiel situé au cœur de la capitale.
Lundi soir, le ministre de l’information a déclaré n’avoir « aucun indice » sur la mort d’opposants en détention et a assuré que « personne ne serait autorisé à mettre en péril la paix dans ce pays ».