Les Accords d’assistance, de défense, de coopération et de partenariat militaires sont différents aux yeux des experts et différenciés par les spécialistes. Néanmoins, ils conservent quelques caractéristiques communes : celles de poser les piliers politico-juridiques et, surtout, d’établir les échelles (petite, moyenne ou grande) de l’engagement militaire de l’un des signataires aux côtés de l’autre. Dans la mise en œuvre, ils (ces protocoles sécuritaires) traduisent des variétés d’alliances stratégiques renfermant aussi bien des éléments potentiels de renforcement des capacités opérationnelles que des facteurs d’étouffement progressif de la souveraineté nationale ; voire de pesantes hypothèques sur l’indépendance du pays. Une réalité patente en Afrique où le déséquilibre militaire entre Etats du Nord et Etats du Sud (cosignataires) est frappant et inquiétant. D’où le jugement sans appel de Sékou Touré qui congédie cette « alliance entre le cavalier et sa monture ».
Dès les années 59-60 (au sein de la Fédération du Mali puis dans la République du Sénégal) Dakar a signé les premiers, permanents et globaux Accords de défense avec Paris. En effet, le paroxysme de la guerre froide condamnait le Sénégal à choisir entre le bloc occidental et le bloc soviétique. A l’opposé du chef du gouvernement, Mamadou Dia, (éloquent avocat du non-alignement) le Président Senghor s’aligna résolument sur l’Ouest contre l’Est. La zone d’Ouakam accueillit le 6e Régiment Interarmes d’Outremer (RIAOM) qui – quatre ans plus tard – sautera sur Libreville, pour remettre en selle le Président Léon Mba du Gabon renversé par de jeunes lieutenants estampillés procommunistes par Jacques Foccart et ses services. Nous étions dans le monde bipolaire de 1964. Une bipolarisation qui rendait impossible toute velléité d’autarcie dans le domaine stratégique.
C’était le printemps des pactes militaires, avec une constellation de bases militaires, notamment sur le continent noir (Dakar, Bangui, Bouar, Fort-Lamy, Abidjan, Djibouti etc.) où la France jouait concomitamment le rôle d’auxiliaire du gendarme américain et de Tarzan protecteur de son pré-carré bourré d’uranium, de manganèse, de fer et de pétrole. C’était, aussi, l’époque où la Pravda et l’agence de presse soviétique Tass avertissaient sans fard les dirigeants des Etats africains octroyant des infrastructures et autres facilités militaires en ces termes : « Vous rendez de mauvais services à vos peuples, car vous exposez vos pays devenus des têtes de pont, au feu nucléaire de la riposte en cas de confrontation ». L’argument était et reste d’autant plus assommant de pertinence que ce genre de pacte militaire (sans équilibre) entre un mammouth et une marmotte ou entre un requin et une carpe n’a qu’une apparence bilatérale. En réalité, le rapport de forces non paritaires exclut la réciprocité et impose unilatéralement l’hégémonie du grand partenaire sur le petit allié, à travers le double monopole de l’interprétation élastique des textes et de l’engagement (modulable à l’infini) sur le théâtre des opérations.
A cet égard, la Côte d’Ivoire fait figure de jurisprudence digne d’attention pour tout chef d’Etat africain qui considère les Accords de défense comme de solides garanties de sécurité et d’assurance-vie pour son régime. En avril 1961, le Président Houphouët-Boigny a signé un Accord de défense avec la France. En février 1962, Abidjan et Paris ont conclu une Convention secrète portant très clairement sur le maintien de l’ordre intérieur. En décembre 1999, une fraction de l’armée ivoirienne a renversé le Président Henri Konan Bédié, malgré la présence du 43e BIMA à Port-Bouêt. La France n’a pas bougé, nonobstant les deux Accords précités. Le 19 septembre 2002, des assaillants venus de l’extérieur et surgis de l’intérieur, ont pris le contrôle de la seconde ville du pays : Bouaké. Laurent Gbagbo a invoqué l’Accord officiel et la Convention secrète. Paris a satisfait la requête à moitié, en faisant – non pas de l’intervention – mais de l’interposition qui a stoppé la progression des rebelles le long de la rivière Sassandra. La Côte d’Ivoire est coupée en deux. La suite est connue. Les blindés et les hélicoptères de l’opération Licorne ont pulvérisé, en 2011, le bunker de Gbagbo et installé Alassane Ouattara à la tête du pays. Moralité : deux pays nouent une alliance militaire mais le plus puissant interprète le contenu du document puis intervient et enfin oriente l’ampleur de son assistance au gré de ses intérêts.
Au Sénégal, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de la coopération militaire. Des eaux calmes et claires sous Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, puis boueuses et agitées, tout au long du second mandat du Président Abdoulaye Wade. Durant le deuxième trimestre de 2012 – quelques semaines après sa victoire électorale – le Président Macky Sall a renoué et renforcé, à la sauvette et au pas de charge, les Accords de défense franco-sénégalais rudement malmenés par son prédécesseur. Sur quelles bases ? Mystère partiel. Car les projecteurs de l’Assemblée nationale n’ont pas balayé intégralement les textes, avec les clauses habituelles et les annexes d’usage. Toutefois, le regain de dynamisme noté dans la collaboration entre les forces armées des deux pays et ponctué par la publication du Rapport d’enquête de deux parlementaires français sur l’outil militaire du Sénégal, démontre à suffisance l’apogée d’un partenariat sans précédent. Au point que les observateurs murmurent que la doctrine de défense du Président de la république dépasse l’alliance et débouche sur l’arrimage militaire.
Un point de vue que conforte la récente signature d’un Traité militaire entre les Etats-Unis d’Amérique et le Sénégal. Puisque les députés du peuple ne sont pas curieux des faits et gestes du gouvernement, les analystes plus teigneux ont décelé dans le document le mot « flexibilité » qui enrobe toute la gamme des adaptations et des ajustements ultérieurs dans l’application du Traité. En clair, l’assistance américaine peut aller de la présence de quelques conseillers jusqu’au gonflement du volume des effectifs de l’US ARMY sur le sol sénégalais, en passant par l’acquisition continue d’installations ou de sites militaires. Bref, « la flexibilité » est un bel euphémisme diplomatique qui couvre, dans le vocabulaire militaire, une potentielle et illimitée montée en puissance. Une montée en puissance qui – dans le contexte saharo-sahélien – rime avec la montée des périls. Car les pays et les bases militaires à partir desquelles on dirige le feu sur les djihadistes, deviennent automatiquement les cibles sur lesquelles les terroristes, en guise de riposte, ajustent les attentats aveugles. Si le sang a abondamment coulé à Grand-Bassam, c’est parce que la Côte d’Ivoire fait géopolitiquement partie de l’écurie de la France en Afrique de l’Ouest. Au même titre que le Sénégal qui – sous le prétexte de sanctuariser son territoire par des protocoles douteusement sécurisants – multiplie les alliances qui fâchent et attirent le terrorisme. De la même façon que l’aimant attire le fer.
La coupe est presque pleine. Dakar avait abrité, au cours de l’année 2013, l’une des articulations du PC de l’opération SERVAL au Nord-Mali, avec le Général Grégoire de Saint-Quentin alias le « Rwandais » (cumulativement commandant en chef des Eléments Français au Sénégal et patron de SERVAL) qui avait fait la navette aérienne entre Ouakam, Bamako, Gao et Kidal. En cette année 2016, le gouvernement souhaite la bienvenue à l’armée américaine, avec plus de zèle que les Etats du G5 Sahel pourtant placés sur la ligne de front anti-terroriste. Comportement plus subtil de notre voisin mauritanien qui, lui, accueille les chasseurs-bombardiers « Mirage » de Barkhane sur l’aérodrome d’Atar mais noue des contacts secrets et sécurisants avec toute la galaxie djihadiste : Aqmi, Mujao et Ansar Dine. Bref un deal stratégique qui fait que la Mauritanie gagne sur tous les tableaux. Nouakchott prouve ainsi que l’alliance n’est pas l’alliage.
PS : L’Accord militaire (délibérément vague) signé, le 2 avril 2016, entre les gouvernements du Sénégal et des USA, est très laconique dans la présentation mais très lourd de non-dits et de choses prévues dans le futur immédiat. Certaines sources bien informées précisent que Washington voudrait dupliquer au Sénégal, le format de sa présence militaire à Djibouti où le Pentagone paie cher la location de sa base en bordure de la mer rouge. Une manne financière en perspective. D’autant que les mêmes sources indiquent que deux sites seraient lorgnés dans deux régions du Sénégal. Admirez le conditionnel !