- Le 09 février, 2016
- Il y a trente ans, jour pour jour, le 7 février 1986, disparaissait Cheikh Anta Diop, l’un des grands intellectuels africains du XXe siècle. Cet historien et homme politique sénégalais a laissé une œuvre prolifique dont les thèses se sont déroulées à partir des années 1950, notamment l’Indépendance et la nécessité d’un État fédéral africain. Cheikh Anta Diop a été précurseur sur la place de l’Afrique dans l’Histoire. Il a aussi développé une idée qui fait toujours polémique chez les égyptologues, celle selon laquelle l’Égypte antique, qui a été l’une des grandes civilisations mondiales, était en fait noire. À l’occasion des trente ans de sa disparition, RFI a rencontré quelques habitants du village natal du scientifique sénégalais.
Khassaides, les chants religieux des mourides, et discours de Cheikh Anta Diop ont résonné en même temps à Thieytou, le village natal de l’historien. Ce fut le cas notamment devant son mausolée, un petit bâtiment blanc, où Moussa et Malick sont allés se recueillir.
« On est trop contents. Quand on est là, vraiment, ce que l’on éprouve est une grande fierté pour nous et pour toute la jeunesse africaine », dit Moussa.
« C’est quelque chose de fort parce que moi, qui suis un adepte de Cheikh Anta Diop, je ressens un sentiment grandiose et de fierté à travers cet homme », dit à son tour Malick.
Au bout de la place du village se trouve la maison familiale de la famille Diop. C’est là qu’il a grandi.
« C’est une maison toute simple qui n’a rien de moderne. Il était très simple », nous dit-on.
Sous les grands arbres de la place, les enfants écoutent les doyens, comme Monsieur Touré, raconter des anecdotes sur Cheikh Anta Diop.
« C’était une personne humble. Il pouvait voyager avec des sommités, au niveau des idées, mais en utilisant des termes du peuple. C’était un génie », explique-t-on.
Cheikh Anta Diop serait en tout cas fier d’une chose, lui qui aimait tant transmettre, lui qui a appelé les jeunes à s’instruire « jusqu’aux dents ». À l’occasion des 30 ans de sa mort, les rues de son village étaient remplies de collégiens et de lycéens, cahiers en main, venus découvrir l’histoire et des savoirs laissés par Cheikh Anta Diop.
Cheikh Anta Diop n’est pas enseigné au Sénégal
Si tous les Sénégalais reconnaissent que c’est un grand homme, une personnalité du pays, si la faculté et des rues portent son nom, ce chercheur panafricaniste n’est pourtant pas enseigné au Sénégal. Et la population aimerait que ça change.
Au sein de la faculté qui porte son nom, cette absence de Cheikh Anta Diop dans les cursus froisse, énerve.
« C’est triste parce que dans le secondaire, on parle de la France, de Lenine, mais franchement, j’aurais bien aimé que l’on parle d’Anta Diop », dit une femme.
Alassane, lui, voit dans cet oubli la main de l’Histoire politique.
« Nos enfants, nos petits frères ne savent même pas qui est Cheikh Anta Diop, alors que nous devrions tous être en train de chanter ses louanges. C’est la politique qui a tué Cheikh Anta Diop. On l’a tué politiquement », insiste-t-il.
Avis partagé par un ancien de la faculté, aujourd’hui à la retraite, monsieur Ly.
« Le président de la République qui était là (je parle de Senghor) ne partageait pas ses convictions, ne partageait pas son intelligence. On n’a pas su exploiter ce que Dieu nous a donné et Dieu nous a donné un Cheikh Anta et on n’aura plus un autre Cheikh Anta », estime, pour sa part, monsieur Ly.
Alassane appelle donc le président Macky Sall à faire ce que ses prédécesseurs n’ont pas fait.
« La pensée et l’ouvre de Cheikh Anta Diop doivent être enseignées dans les universités, mais aussi dans les écoles primaires parce que je pense que c’est quelqu’un qui a fortement contribué à la formation des masses, des élites et de la conscience africaine », estime-t-il.
En phase de réhabilitation, la maison de Cheickh Anta Diop devrait normalement devenir un musée pour mettre en avant ses travaux.
Les étudiants, le connaissent-ils??
À la faculté de médecine, nombreux sont les étudiants qui partent rapidement quand on leur demande qui est Cheikh Anta Diop. Cependant, Lamine, lui, cite brièvement le chercheur.
« Cheikh Anta Diop ? C’est notre idole, en fait. Il nous a demandé de nous cultiver, de nous armer de science jusqu’aux dents », précise-t-il.
Mokthar regrette que ses professeurs de faculté évoquent rarement Cheikh Anta Diop.
« Tout le monde sait que c’est un grand scientifique, mais malheureusement on n’étudie pas réellement ses œuvres, ni tout ce qu’il a fait », dit-il.
Alassane, lui, connaît des domaines de compétences du Cheikh.
« Je dirais que Cheikh Anta Diop est un interlocuteur africain, que ce soit dans le domaine de l’Histoire, de la linguistique, de la philosophie ou encore de la physique et de la chimie », précise-t-il.
Massata, de son côté, voit avant tout l’homme politique, panafricaniste qui pensait au continent avant de voir ses intérêts.
« Ce qui l’intéressait, c’était l’Afrique tout entière. Lui, il était panafricain en chair et en os », précise-t-il.
Le fait que Cheikh Anta Diop ne soit pas encore dans les livres scolaires explique sans doute cette méconnaissance.
Auteur: RFI.FR