Ce que nous apprend l’étonnante coiffure de Donald Trump

Ce que nous apprend l’étonnante coiffure de Donald Trump

Réactiver d’anciens mythes, si profondément ancrés dans la culture politico-religieuse de ses électeurs, de manière plus ou moins avouée, se révèle une stratégie souvent gagnante pour celui qui rêve de devenir leur chef.

17/11/2016

Donald TRUMP © Malick MBOW
Donald TRUMP © Malick MBOW

La marche triomphale de Donald Trump, élu président des États-Unis le 8 novembre 2016, a de quoi surprendre. L’outsider était parti de très loin et de presque rien en termes de notoriété politique; il s’était surtout illustré auprès des Américains comme promoteur immobilier et par ses frasques liées à la téléréalité mais, n’ayant jamais été élu, ni membre d’un gouvernement, il ne représentait politiquement pas grand-chose.

Candidat à la primaire républicaine en juin 2015, les grands titres de la presse internationale n’ont vraiment commencé à le prendre au sérieux qu’à partir du début de l’année 2016, avec un mélange de sidération et de condescendance, refusant d’imaginer que le « monstre » ou le « bouffon » ne parvienne réellement à s’imposer durablement. Ce ne pouvait être qu’une erreur de casting, une aberration passagère.

Réactiver d’anciens mythes

Pourtant, on se rend bien compte aujourd’hui que Trump a mené une campagne habile dont les dérapages mêmes étaient calculés. Démagogue, il a voulu se faire le héraut d’un peuple invisible, des oubliés et des déclassés contre l’élite dominante. Son parcours rappelle celui des antiques tyrans grecs, comme Pisistrate à Athènes, qui instrumentalisèrent la rancœur populaire afin de s’emparer du pouvoir.

Trump s’oppose successivement à deux grandes familles « aristocratiques » qui se sont partagé une bonne partie de la vie politique des dernières décennies: les Bush et les Clinton. Contre toute attente, il élimine Jeb Bush, fils et frère de président, de la course à l’investiture républicaine, dénonçant au passage les mensonges de G.W. Bush, déclencheur de la désastreuse guerre d’Irak en 2003. Il n’y aura pas de Bush III à la Maison-Blanche. Ni de Clinton II. Hillary, femme de président, fait elle aussi figure de princesse, héritière d’un puissant clan aux pratiques parfois sujettes à caution.

Salomé, une figure désavouée.

À l’encontre d’Hillary Clinton, Trump instille en outre dans son discours quelques relents de misogynie: il met ouvertement en doute la capacité de la candidate à gouverner les États-Unis. Ce thème est d’autant plus porteur que jamais une femme n’a occupé le poste convoité. Les soupçons d’incapacité féminine se nourrissent aussi, de manière inavouée, de lointaines mais efficaces références bibliques: la femme n’est-elle pas pécheresse par essence, comme Ève, Dalila, Jézabel, Hérodiade ou Salomé?

La chevelure fauve du roi David

Trump est aussi l’homme à la chevelure improbable, léonine, à la teinte jaunâtre, objet de moqueries de la part des coiffeurs des stars. Ceux qui coiffent l’élite dénoncent le « mauvais goût » du candidat.

David et sa chevelure fauve. Jules-Elie Delaunay/Musée des Beaux-Arts de Nantes

On imagine que Trump s’est délecté de ces critiques qui le servaient, lui qui précisément ne prétendait pas s’adresser aux « étoiles », mais à la misère de ce monde.

C’est pourquoi il se fait un plaisir d’entretenir savamment cette coiffure, tous les matins, grâce à un spray (nommé, paraît-il, Helmet Head), afin de faire gonfler ses cheveux et de leur donner l’aspect d’une sorte de casque doré. Trump veut arborer une chevelure unique en son genre, comme une marque de fabrique personnelle, un signe de distinction, d’élection

Le brushing, un symbole de puissance? Eric Kilby/FlickrCC BY

Les moqueurs ont-ils bien saisi le sens de ce symbole? Dans la Bible, c’est David, roi des Hébreux, qui se distingue par ses cheveux fauves, considérés comme une marque du choix divin qui s’est porté sur lui (1 Samuel 16, 12; 17, 42). Cette caractéristique se retrouvera plus tard dans l’art, comme on le voit sur le très célèbre David de Michel-Ange qui, plus que la référence textuelle, aurait pu servir de modèle à Trump. David est une figure très positive dans la Bible: il est le roi-messie par excellence, au point que Jésus, dans les Évangiles, sera encore dit « Fils de David ». Trump suggère qu’il est le nouveau David, champion des faibles; il promet de terrasser le nouveau Goliath, le géant clintonien, héros de l’élite.

La chevelure de Trump n’est donc absolument pas un détail anodin, un caprice ou une faute de style. C’est un choix parfaitement calculé qui s’inscrit dans une stratégie de communication. Le milliardaire a fait de sa coupe de cheveux une sorte de fétiche de sa propre personne. Elle devient l’objet d’un véritable rite lors des meetings: Trump demande à une personne du public de monter sur scène et de lui toucher les cheveux; afin de montrer à la foule qu’il ne s’agit pas d’une perruque. « Touch my hair. It’s real », lance-t-il, lors d’une rencontre en Caroline du Sud, durant l’été 2015.

Par sa chevelure qui semble bien artificielle mais ne l’est pas en vérité, Trump est censé prouver qu’il n’est pas un menteur, pas un hypocrite; il est vraiment l’homme providentiel attendu. Sa chevelure est authentique, de même que son discours et sa mission au service des Américains: leur rendre leur grandeur, leur fierté, comme le voudrait le slogan de la campagne: Make America Great Again ! La chevelure jaune suggère que Trump est habilité à commander; elle est une marque de son prétendu charisme.

Par sa couleur elle évoque autant la combativité de David, comparé à un lion, que l’onction divine. « Quand le monde s’écroule, les gens réclament un leader fort dont la priorité est de protéger l’Amérique », affirme Trump lors d’une interview dans le New York Times, quelques jours avant la Convention républicaine de Cleveland, en juillet 2016. Trump a su très habilement jouer sur ce thème fondamental de la culture judéo-chrétienne d’un grand nombre d’Américains: David contre Goliath.

David contre Goliath, ou Trump contre l’establishment? Peter Paul Rubens/Wikimédia commons

La complicité de leaders religieux

Pour cela, le candidat républicain a pu bénéficier de la complicité de leaders évangéliques et catholiques conservateurs. Juste avant un important meeting, Franklin Graham, le puissant président de l’association évangélique Billy Graham (Billy Graham Evangelistic Associationa explicitement comparé Trump au roi David, devant 900 responsables religieux.

La comparaison avec la figure royale biblique a aussi été reprise par Jerry Falwell Jr, président de la prestigieuse université privée Liberty University de Lynchburg (Virginie). Même les « défauts » de Trump (ses femmes successives, sa « débauche »…) ont servi à montrer sa ressemblance avec l’ancien roi biblique. David non plus n’était pas parfait: il avait séduit la belle Bethsabée, déjà mariée; il avait commis quelques péchés; et pourtant Dieu l’avait jugé digne de gouverner les Hébreux.

Réactiver d’anciens mythes, si profondément ancrés dans la culture politico-religieuse de ses électeurs, de manière plus ou moins avouée, se révèle une stratégie souvent gagnante pour celui qui rêve de devenir leur chef.

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