Laser du lundi : La magistrature est-elle un pilier ou un point d’appui ? (Par Babacar Justin Ndiaye)

Babacar Justin NDIAYE - © Malick MBOW
Babacar Justin NDIAYE – © Malick MBOW

Le nouveau texte de loi organique relatif à la Cour suprême,  adopté par le Conseil des ministres du 2 novembre dernier, projette une réforme de la juridiction  suprême et injecte plus de transparence dans la gestion de la carrière des magistrats. Voilà la séduisante – la séduction n’est pas la sincérité – thèse officielle talentueusement défendue (sans surprise) par un avocat-ministre de la Justice. Un vibrant plaidoyer du ministre Sidiki Kaba qui n’étouffe pas les sérieux remous dans la magistrature, ne conjure point les vives appréhensions dans la classe politique et ne clôture guère le débat alimenté par des réflexions remarquablement élevées ou poussées, comme en témoignent les contributions de bonne facture du consultant Samba Kane Torodo et du magistrat Mame Ndianco Ndiaye.

Dans ce tumulte sans cesse croissant, les bons, les douteux et les mauvais arguments s’entrechoquent dans une ambiance de plus en plus tendue qui est fâcheusement le cimetière de l’écoute réciproque et de la sérénité requise. Le boucan et le brouillard sont tels que les observateurs déboussolés et désabusés inclinent fortement à couper la poire en deux : « tous ont raison, tous ont tort ». D’où la nécessité de pointer les responsabilités, de marquer les erreurs, de fouiller les fautes et de cerner les excès, dans un contexte pré-législatif et pré-présidentiel où la vigilance citoyenne frise démocratiquement – à juste raison – la paranoïa.

En initiant, en discutant et en adoptant le Projet de loi dans l’instance appropriée du Conseil des ministres, l’Exécutif se cantonne ou se visse fort  bien dans son rôle. Le gouvernement ne sollicite pas les suggestions des membres de l’Union des Magistrats du Sénégal (UMS), ne réagit pas au rugissement de la classe politique et n’avale pas les avis de la Société civile. Evidemment, le gouvernement n’a pas tort, car il évolue dans son champ bien délimité de compétence et exerce strictement ses prérogatives. Les seules objections ou réserves qui trouvent grâce à ses yeux, sont les amendements prévus des députés. S’agissant de l’opinion publique et de l’émotion populaire, non négligeables en démocratie, l’équipe gouvernementale dispose de canaux spécialisés par lesquels, elle les capte. En un mot, le ministre de la Justice a la latitude de produire, au nom de l’Exécutif, des projets de réformes tous azimuts dans le domaine judiciaire. N’est-ce pas lui qui administre la Justice ?

De son côté, la magistrature, en tant qu’épine dorsale de l’appareil judiciaire – j’évite volontairement d’utiliser l’expression « Pouvoir judiciaire » – développe très logiquement les réflexes aigus de sauvegarde de son statut qui ne doit pas être froissé, encore moins endommagé à tout bout de champ ou au gré d’obscurs desseins. Du coup, on comprend la vigueur débordante de la réaction de l’UMS dans la défense des intérêts matériels, immatériels et professionnels des magistrats. Notamment les intérêts immatériels ou moraux (honneur, éthique et dignité) qui sont les gages de la crédibilité des juges, de la valeur de la chose jugée et, surtout, de la qualité de la Justice distribuée au nom du peuple, c’est-à-dire la première et l’ultime source de légalité et de légitimité.

Il urge donc, au regard du vif débat en cours, de stabiliser la frontière fluide entre le rôle-clé du gouvernement dans un Etat de droit viable et la vocation salutaire du syndicat de la magistrature dans une démocratie avancée et apaisée. Féru de Droit et lecteur devant l’Eternel, le Garde des sceaux, Sidiki Kaba, a sûrement mémorisé le mot de Victor Hugo : « Le premier devoir d’un magistrat est d’être juste avant d’être formaliste ». Evitons toute collision entre le rôle dévolu à l’Etat et le devoir chevillé aux corps des magistrats ! Par voie de conséquence, une audience entre le Président de la république et des plénipotentiaires de l’UMS serait sans objet. Pire, elle brouillerait la saine démarcation entre – non pas des pouvoirs peu ou prou séparés – mais des responsabilités nettement dissociées dans une république non bananière et non totalitaire. Dans cet ordre d’idées, il convient d’exclure des conciliabules entre l’Etat et l’UMS, en vue de « de laver le linge sale en famille », comme le recommande, à tort, Samba Kane Torodo. En république, la literie et les garde-robes des ministres et celles des magistrats ne sont jamais mélangées. Elles se salissent séparément ou restent distinctement immaculées.

Le hic structurant – en filigrane –  du bras de fer entre le ministre de tutelle et les responsables de l’UMS, réside dans la coïncidence entre la mise en route du texte porteur de modifications substantielles et le moment sensible qui précède de peu les deux scrutins législatif et présidentiel de 2017 et de 2019. Sous cet angle, l’intransigeance des magistrats cible moins les innovations ajustées (inamovibilité au plus niveau de la pyramide) et les privilèges sélectifs (allongement de la carrière au-delà de 65 ans pour une poignée d’hiérarques) que les calculs sous-jacents de la réforme envisagée. Autrement dit, une grande partie de la magistrature veut être l’inflexible pilier de l’Etat de droit et non l’occasionnel point d’appui ou de consolidation d’ambitions politiques à court terme. Si l’on voulait maintenir des hommes de confiance à la tête de hautes juridictions, jusqu’au-delà des deux scrutins (2017 et 2019) décisifs pour le destin politique de Macky Sall, on ne s’y prendrait pas autrement.

Ces soupçons-là (très tenaces) rendent les généreuses et ministérielles explications totalement inaudibles. Personne n’enregistre les justifications mais beaucoup scrutent les arrière-pensées. En effet, une modification subite et suspecte des dispositifs et des règles d’arbitrage – un quart d’heure avant le début de deux matchs décisifs – provoque forcément un électrochoc qui rend sourd aux discours savants  sur les vertus d’une réforme. Inévitablement, l’idée d’une magistrature épaulée (cajolée) qui, à son tour, épaule l’Exécutif en lui renvoyant l’ascenseur, visite voire habite les esprits. C’est d’autant plus prégnant que cette réforme censée être pleine d’avantages et porteuse d’enjambées, ne figurait ni dans le programme plébiscité du « Yoonu Yokkuté », en 2012, ni dans les discours qui ont ponctué la campagne référendaire de 2016. Le réformateur en chef Macky Sall a-t-il lu la mise en garde de Jean Rostand : «Les mauvais effets d’une réforme ne condamnent point cette réforme mais la société ». Voilà pourquoi les Sénégalais qui n’ont pas peur des réformes, ont soudainement peur pour leur démocratie de plus en plus noyée dans une mer de modifications présumées…réformatrices.

Visiblement, toute la société subit la dictature du deuxième mandat qui caporalise les acteurs comme les leviers, sans un brin de finesse. Avec un remodelage tentaculaire des institutions qui mobilise plus d’énergie et de pédagogie que les réformes économiques ou l’urgente suppression des agences (sœurs siamoises des administrations classiques) fortement recommandée par le FMI. Au train où va la frénésie des réformes d’ordre conjoncturel et d’essence électorale  (sans incidence concrète sur la vie des populations) la fulgurante mousse institutionnelle supplantera la trainante émergence économique.

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