Dans un entretien exclusif accordé à Dakaractu, Christophe Bigot l’ambassadeur de France au Sénégal, a jeté un regard très intéressant sur les relations entre Paris et Dakar. À 48 heures de la visite d’Etat du président Macky Sall en France, l’ambassadeur donne le tempo avant l’heure. Des passages de sept ministres français dans un intervalle de cinq mois à Dakar, en passant par la nouvelle vague d’investisseurs français prêts à en découdre avec les marocains, les Turcs et les Chinois, l’ambassadeur Bigot n’a rien laissé au hasard. Avec un langage dépouillé et un style pragmatique, le diplomate français nous a parlé à cœur ouvert… Entretien
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Excellence, quel regard jetez-vous sur votre mission quelques mois après votre prise de fonction?
C’est une mission extrêmement stimulante, de tous les instants, tant la relation franco-sénégalaise est étroite, intime, et les enjeux, que nous avons à traiter en commun, les projets d’avenir du Sénégal auxquels nous voulons contribuer, importants.
La partie visible de l’iceberg, ce sont de très nombreuses visites ministérielles. Je ne suis arrivé qu’à la mi-juin mais je constate que depuis, pas moins de 7 ministres importants du gouvernement français se sont rendus au Sénégal. Manuel Valls, en septembre, alors Premier Ministre est venu co-présider le dialogue stratégique de haut niveau entre nos deux pays. Son successeur, le nouveau Premier ministre, à l’époque où il était Ministre de l’Intérieur, M. Cazeneuve s’est déplacé pour renforcer la coordination anti-terroriste entre nos deux pays. Le Ministre des Affaires étrangères, Jean marc Ayrault, est venu échanger sur la diplomatie mondiale et africaine. M. Le Drian, le Ministre de la Défense a participé au Forum paix et sécurité de Dakar, exercice auquel il a fortement contribué dès sa fondation. Mme Nadjat Valaud Belkacem, Ministre de l’Education est allé à la rencontre des écoles françaises au Sénégal. Le Ministre de l’Agriculture, porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, est venu dans le Ferlo appuyer le travail mené par les chercheurs agronomes français et sénégalais et plaider en faveur de l’initiative 4 pour 1000.
La visite d’Etat du Président Macky Sall à Paris, la semaine prochaine, la première d’un Président sénégalais depuis 23 ans, consacrera cette extraordinaire densité.
Autant vous dire que ces derniers mois ont donc été intenses. Mais c’est ce qui est passionnant, car c’est ainsi qu’on peut le mieux faire avancer les projets très concrets. Et, croyez-moi, il y en a : dans le domaine sécuritaire, dans le partage de l’histoire et des valeurs communes, dans l’accompagnement de la jeunesse, dans les partenariats économiques qui vont contribuer au Sénégal émergent.
Vous êtes souvent sur le terrain, comme récemment à Ziguinchor. Est-ce un choix personnel d’aller au contact des gens ou plutôt une exigence de la fonction?
C’est vrai que j’ai beaucoup circulé, entre Tambacounda et Bakel, entre Kédougou et Richard Toll, entre Kaolack et Saint-Louis, comme à Ziguinchor ou Bignona. J’ai la conviction qu’on ne peut pas connaître un pays lorsqu’on reste dans son bureau ou qu’on ne sort pas de la capitale. Bien sûr, beaucoup de contacts politiques, économiques, culturels, se font à Dakar. Mais Paris n’est pas la France pas plus que Dakar le Sénégal. Dès que je le peux, je sors rencontrer les Sénégalais, pour pouvoir leur parler directement, pour connaitre leur réalité quotidienne. Comme pour voir les projets soutenus par l’AFD ou la coopération française, mes compatriotes, les entreprises. Il est crucial de saisir comment la France peut leur apporter son soutien, de concert avec le gouvernement sénégalais. Il faut voir pour comprendre, et comprendre pour agir.
Comment se porte l’axe Paris-Dakar?
Les relations entre Paris et Dakar sont excellentes, intimes, intenses. Avec un spectre très large. Le Sénégal est l’un des grands partenaires de la France, non seulement en Afrique mais aussi dans le monde.
C’est vrai quand on parle de paix et de sécurité au conseil de sécurité aux Nations Unies, d’opérations de maintien de la paix, de lutte anti-terroriste comme quand on parle de culture ou d’économie. Je garde un souvenir poignant de la cérémonie à l’hôpital principal après la disparition de cet immense artiste, Ousmane Sow, qui illustrait si bien le dialogue entre nos deux pays. La France entend appuyer l’émergence de l’économie sénégalaise et soutient pleinement le PSE. La prochaine visite d’Etat du Président Macky Sall en France, marquera les esprits, j’en suis sûr. Elle sera l’occasion de témoigner de cette rare proximité que connaissent nos deux pays, mais aussi l’occasion de faire avancer des projets ou d’en lancer de nouveaux.
Comme je le dis souvent, les relations entre nos deux pays reposent sur 350 ans d’histoire commune ! Il y eut des parts d’ombre, des tragédies mais ce qui nous rassemble aujourd’hui est plus important que ce qui nous sépare. Il y a entre la France et le Sénégal une confiance, un respect mutuel qui s‘est installé. Et surtout beaucoup de relations humaines. Les Français ont une véritable passion pour le Sénégal. Je crois que la réciproque est vraie aussi. Il y a près de 200 000 Sénégalais en France et 30 000 Français qui vivent au Sénégal. C’est ici que se trouve la plus importante communauté française d’Afrique sub-saharienne. Il y a également 10 000 étudiants sénégalais qui étudient dans des universités françaises, un effectif qui grossit d’année en année.
L’on compte également une centaine de partenariats, jumelages, coopérations, entre villes, villages et régions. Le Ministre Jean-Marc Ayrault, lorsqu’il est venu au Sénégal en novembre dernier, a d’ailleurs tenu à se rendre à Rufisque, ville jumelée avec Nantes depuis 1992. Il y a donc une sincère amitié, solide et pérenne entre nos deux pays.
Le Forum de Dakar a été une belle réussite. La France y a joué un rôle de premier plan. Quelles sont les motivations de la France dans ce dossier?
Notre intervention au Mali comme en Centrafrique l’a prouvé. La France est tout sauf indifférente au sort de l’Afrique et s’efforce de répondre présent pour lutter contre le terrorisme, préserver la stabilité des pays africains. Elle le fait à leur demande, loin de toute ingérence, de toute résurgence de la Françafrique. Le Forum, lancé par le Président Macky Sall, lors du sommet de l’Elysée de 2013, avec le plein soutien de la France, contribue à alimenter la réflexion, la discussion sur les menaces qui pèsent sur l’Afrique comme sur les moyens d’y répondre. Au-delà de l’appui opérationnel, nous souhaitons que l’Afrique puisse s’approprier ses propres enjeux de sécurité. C’est l’un des objectifs de ce Forum : contribuer à créer une forme de « culture de la sécurité », selon la formule du Ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian. Cette 3ème édition a été un grand succès par le nombre et le niveau des participants. Tous les partages d’expériences, les échanges qui se sont tenus lors du Forum permettront d’alimenter nos travaux, nos décisions au service de cette ambition partagée : davantage de Paix et de Sécurité pour l’Afrique.
Au forum, il a été beaucoup question des menaces favorisées par la pauvreté et la jeunesse de la population africaine (60% ont moins de 35 ans). Quelle lecture faites-vous de ces menaces?
La lutte contre la pauvreté et l’emploi doivent être pour tout gouvernement une priorité absolue, quel que soit le contexte sécuritaire, en Afrique ou ailleurs. Il serait en revanche simpliste d’établir un lien de causalité. A l’évidence, le lien entre pauvreté et radicalisation n’est pas exclusif. Ce n’est pas en raison de l’apparition des phénomènes de radicalisation, qu’il faut lutter contre la pauvreté. Le développement est un impératif qui n’a pas besoin d‘autre motif. Bien sûr les jeunes, lorsqu’ils n’ont pas d’emploi, pas d’occupation et pas de perspectives d’avenir, sont des proies faciles pour ces dangereux manipulateurs que sont les extrémistes. Mais comme le remarquait le Président Macky Sall au Forum de Dakar, ces derniers, des criminels qu’il faut combattre sans relâche, recrutent aussi des jeunes qui ont un emploi, qui ont fait des études, qui ne manquent fondamentalement de rien dans la vie de tous les jours. S’il faut bien sûr mettre tout en œuvre pour offrir des perspectives d’avenir à la jeunesse africaine, il faut aussi combatte l’idéologie des radicaux, dénoncer leur manipulation, avoir un discours sur le véritable islam, y associer les imams, les universités comme la grande université El Azhar du Caire. C’est ce que le Président Macky Sall a rappelé avec raison lors du Forum.
Sur le plan économique, on note un regain d’activité avec une présence plus agressive de la France au Sénégal. A quoi attribuez-vous cette situation?
Nous connaissons une phase de rebond. C’est vrai qu’il y a quelques années la présence économique française en Afrique et au Sénégal s’était réduite. Sans doute un problème de génération, peut-être aussi un recentrage sur l’Europe, l’attraction de la croissance asiatique. Mais cette période est révolue. Aujourd’hui les entrepreneurs français veulent avoir toute leur place dans cette compétition ou de plus en plus de pays s’investissent, comme la Chine, le Maroc ou la Turquie. Cette concurrence accrue qui pousse toutes les entreprises, dont les françaises, à rechercher l’excellence, ne peut que bénéficier au Sénégal et à son développement. Il n’y a pas de situation acquise. Que le meilleur gagne !
Les entreprises françaises ont l’avantage d’être au Sénégal de longue date, de tenir la barre, en temps d’hivernage comme en saison sèche. On peut compter sur elles. Elles sont là pour durer. Souvent ce sont des histoires d’amour entre un entrepreneur et votre pays. D’ailleurs, beaucoup d’entreprises françaises au Sénégal sont en réalité, des entreprises franco-sénégalaises. Leurs cadres sont sénégalais, leurs impôts sont payés au Sénégal. Leur capital est en partie sénégalais. Il y a là une sorte de symbiose et de mixité. Regarder Atos qui a déjà embauché 200 ingénieurs sénégalais et qui veut à terme porter cet effectif à 2000 ! C’est une chance pour le Sénégal qu’il y ait beaucoup d’investisseurs, et pas seulement français.
La France vient de poser un acte très fort en déclarant la Casamance comme zone qui n’est plus dans la liste rouge. A quoi attribuez-vous cette décision majeure?
Le Quai d’Orsay a simplement pris en compte la sensible amélioration de la situation sécuritaire de cette région, grâce notamment au processus politique en cours. Dix jours après mon arrivée, je suis allé sur place, d’Oussouye à Bignona, de Cap Skirring à Ziguinchor, interrogeant Maires, fonctionnaires, ONG, Nations Unies et chacun m’a dit que la Casamance avait changé. J’en ai fait part au Ministère des Affaires étrangères français qui a accepté de prendre une décision qui n’est pas facile, car nous engageons une importante responsabilité. Mais je considère que la violence a été circonscrite et que les zones minées sont bien identifiées et limitées. Il s’agit désormais d’aller au-delà, et de tout faire pour y relancer l’activité touristique, pour permettre les investissements et donner un coup de jeune aux infrastructures hôtelières. J’ai participé à cette fin aux 72 heures pour la relance du tourisme à l’initiative du Maire de Diembering.
Quels sont les chantiers et dossiers prioritaires de la France au Sénégal, sous votre magistère?
La France entend miser sur l’avenir, la jeunesse, l’éducation.
Nous avons financé la construction de 17 lycées dans le grand Dakar et nous allons continuer à remplacer des abris par des collèges en Casamance. Je souhaite qu’on s’investisse plus dans la formation des enseignants. C’est eux qui préparent les générations à venir. Il faut aussi soutenir l’agriculture, aussi bien la modernisation de l’agriculture vivrière – j’ai visité un projet très intéressant de rizières irriguées près d’Ourossogui dédié à l’agrobusiness. Le développement des infrastructures – TER et autoroutes bien sûr mais aussi pistes rurales – et d’une énergie accessible – je pense à l’électrification rurale, aux centrales solaires – sont également essentielles pour le bien être de la population comme pour permettre l’émergence économique, sortir de la culture de l’informel, avec des emplois peu qualifiés et des revenus très faibles. Les priorités sont, on le voit, nombreuses. La France est pleinement engagée. Rien que pour l’année 2016, l’Agence Française de Développement, finance des projets à hauteur de 130 milliards de FCFA. Les deux plus récents accords signés portent sur la construction de la future station de traitement d’eau potable de KMS3, qui permettra de sécuriser l’approvisionnement en eau de Dakar, sujet sensible s’il en est, comme la pénurie de 2013 est venue nous le rappeler et sur la création de deux centres de formation professionnelle (l’un à Richard Toll, l’autre à Bignona) qui offriront des formations courtes dans les domaines agricole, touristique, de la pêche, de la biodiversité. Nous allons aussi accompagner la montée du numérique et appuyer les start up. Il y a ici une matière grise exceptionnelle et la diaspora ne demande qu’à investir, si on lui offre les outils.
Le développement ne peut être assuré sans la sécurité. La sécurité du Sénégal est donc une priorité pour la France. Grâce à ma longue expérience sur les sujets sécuritaires à Paris comme sur le terrain, je sais le risque que font porter sur la région les actions menées par Daesh, Aqmi ou Boko Haram et l’importance d’une coopération étroite. Il nous faut travailler main dans la main.
Enfin le Sénégal se distingue en Afrique par sa longue tradition démocratique, son respect de l’Etat de droit et son goût pour le consensus. La France continuera donc à appuyer le débat d’idées comme récemment à l’institut français, la création culturelle comme la modernisation de la justice.
Vous le voyez, nous ne manquons ni d‘idées ni de chantiers…