Originaire de l’Aveyron, ce jeune homme de 23 ans, converti à l’islam, a écrit, mardi, au procureur de la République pour réclamer le statut d’apatride. Francetv info a pu s’entretenir avec lui.
Camille Caldini
Mis à jour le 10/02/2016
« Moi, je m’en fous d’avoir des papiers, une nationalité, ou pas. » Thomas Marchal, Français natif de Rodez (Aveyron), converti à l’islam, aura 24 ans en avril. Il a écrit une lettre au procureur de la République, mardi 9 février,« pour demander le statut d’apatride, par souci de liberté, pour faire court ». Il a raconté son projet à La Dépêche, avant de se confier à francetv info. Pour lui, « les frontières n’ont plus de valeur, la nationalité non plus. Et ça devrait être ainsi pour tout le monde ».
Pourtant, la vie d’un apatride en France n’a, a priori, rien d’enviable. Dans « Complément d’enquête« , début février, Attila racontait la déchéance de sa nationalité, cette « mort civique », qui entraîne notamment l’impossibilité de voter ou la perte de ses cotisations retraite. Thomas le sait. Il « fréquente beaucoup de réfugiés syriens et irakiens, les aide dans leurs démarches, pour les traductions ». Son projet a surpris ces réfugiés.« Forcément, eux, ils n’ont pas le choix, sans papiers ici, ils ne peuvent rien faire. Moi, je connais, c’est mon terrain », clame-t-il d’une voix sereine. De quoi vit-il ? « Je n’ai jamais touché ni chômage, ni RSA, je me débrouille », prétend le jeune homme, sans vouloir en dire plus.
« Je vais me construire un radeau »
« Vous voyez le gars dans Into the Wild ? C’est moi », résume Thomas Marchal. Dans ce film de Sean Penn, un brillant étudiant américain, aisé et fraîchement diplômé, détruit ses papiers d’identité avant de partir seul à l’aventure, dans les contrées sauvages des Etats-Unis. Sauf qu’il ne quitte pas le pays. « C’est vrai que c’est un peu plus difficile de voyager sans passeport, concède Thomas Marchal. Mais je suis partant, je vais me construire un radeau, je sais pas comment je vais faire, mais je vais le faire. »
Il a, en réalité, peu de chance de devenir apatride. « C’est l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) qui constate le statut d’apatride, selon les critères précis », explique Bruno Bochnakian, avocat spécialiste du droit des étrangers et de la nationalité. La convention de New York de 1958, ratifiée par la France la même année, définit ce statut comme « une personne qu’aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation ».
Thomas Marchal « veut inverser le droit, faire de l’apatridie sa propre décision, or c’est impossible, sinon cela permettrait à des citoyens d’échapper à leurs obligations », poursuit Bruno Bochnakian. « Tout ce qu’il peut faire, pour ne plus être Français, c’est demander une autre nationalité », confirme l’avocate Juliette Daudé, également spécialiste du droit des étrangers.
« Je n’ai pas besoin d’être français »
« Si je dois brûler mes papiers sur la place publique, je le ferai, assure tout de même Thomas, décidé à n’appartenir à aucune nation. J’aime le peuple français, je prône la solidarité, mais je n’ai pas besoin d’être français pour ça. »
Ce n’est pas la première rupture symbolique dans sa vie. En déroulant son parcours, entre l’Aveyron et la Savoie, où ses parents se sont installés alors qu’il avait 2 ans, il explique à francetv info avoir « été divergent dès l’enfance ». Diagnostiqué « enfant intellectuellement précoce », il a quitté très tôt le domicile familial, vécu dans une maison familiale rurale, à Naucelle (Aveyron), puis une maison d’enfants à caractère social, à Chambéry (Savoie).
Il évoque ensuite un premier « séjour de rupture au Maroc, pendant quatre mois » alors qu’il était encore mineur. A cette époque, il commence à s’intéresser à l’islam, jusqu’à se convertir, « il y a bientôt six ans ».
Ses parents sont catholiques « par tradition, sans conviction ». Seule sa grand-mère est « vraiment croyante ». Mais les années de catéchisme ne l’ont pas convaincu. Le jeune homme assure « avoir trouvé plus de réponses dans l’islam ». A présent, il dénonce la « tolérance hypocrite », y compris de la part de certains de ses proches. Thomas Marchal évite d’évoquer ses parents, mais parle un peu de sa sœur, Charlotte.
« Je suis un peu hyperactif, difficile à vivre »
En 2013, il s’installe à Marrakech (Maroc) pour « vivre sa religion tranquillement », et y trouve un travail sur une plate-forme d’appels. Mais en novembre 2014, avec trois autres Français, eux aussi convertis, il est soupçonné d’avoir fait des allers-retours en Syrie pour préparer des attentats, et passe plusieurs mois dans la prison de Salé II, près de Rabat.
Grâce à sa sœur, qui monte un comité de soutien et fait appel à Amnesty International, Thomas est acquitté et libéré, faute de preuves, en mars 2015. « Il n’y avait rien contre moi parce qu’il n’y a jamais eu d’ambiguïté, je n’ai jamais voulu tuer des innocents, raconte le jeune homme, évoquant les accusations qui l’ont visé. Et je n’ai jamais mis les pieds en Syrie ! C’est de la manipulation. »
De retour à Rodez, Thomas trouve un travail, qu’il quitte au bout de trois mois. « C’était vraiment un job de réinsertion, explique son ex-employeur, qui préfère garder l’anonymat. Thomas est un garçon qui se cherche beaucoup, il est fragile, un peu compliqué. » Le jeune homme reconnaît d’ailleurs être« un peu hyperactif, insomniaque, difficile à vivre ». Sur cette volonté de devenir apatride, l’ancien patron estime qu’il « veut faire parler de lui, et pas de la meilleure manière ».
Thomas le sait, « les gens ne comprennent pas trop » et ne soutiennent pas sa démarche. Il s’en fiche et veut voyager. D’abord aller à La Mecque et Medine, « mais c’est risqué d’aller en Arabie saoudite sans papiers. Et puis, j’aime ces deux villes, mais l’Etat saoudien, c’est autre chose ». Thomas voudrait aussi aller en Mauritanie, au Sénégal, en Inde, « partout en fait ». Mais ce serait plus facile avec un passeport français.